« La loi Debré ne prévoit qu’un dialogue direct entre l’État et l’établissement, elle ne prévoit aucun intermédiaire », note le député Paul Vannier qui dénonce « un dialogue de gestion chaque année entre le SGEC et le ministère de l’Éducation nationale tout à fait opaque. Il n’en existe aucun compte-rendu ». La question du financement de l’école privée sous contrat est à nouveau débattue à l’Assemblée nationale. Le député Paul Vannier (NFP) présente aujourd’hui mercredi 20 novembre 2024 une proposition de loi visant à la refondation du modèle de financement public des établissements privés sous contrat. L’idée est de garantir la mixité sociale. Co-rapporteur d’un rapport sur le financement du privé sous contrat, Paul Vannier répond aux questions du Café pédagogique.
Vous avez mené une mission d’information sur le financement de l’école privée en avril dernier. Qu’a-t-elle révélé ?
Elle a d’abord révélé l’impossibilité de mesurer le financement de l’école privée et c’est peut-être le plus sidérant : personne dans notre pays ne mesure, même pas à l’euro près mais au milliard d’euros près le total des dépenses publiques consacrées aux établissements privés sous contrat. La publication de mon rapport en avril dernier estimait les dépenses entre l’État – collectivités dans une fourchette située entre 10 et 12 milliards d’euros. Aujourd’hui, avec la poursuite d’entretiens et d’auditions, je pense qu’on est entre 12 et 15 milliards d’euros. Les montants sont difficiles à mesurer en raison de sous-évaluations, de non-estimations.
Il y a des dépenses qui ne sont jamais intégrées au calcul comme celles de services administratifs, qui représenteraient près de 800 000 euros par an. Cette somme-là n’est jamais évoquée quand on parle du total de la dépense. Ensuite, nous montrons dans ce rapport qu’il y a des dérives, des fraudes potentielles dans ce système très opaque. Il y a des contrôles financiers quasi-inexistants, il faudrait 1500 ans au rythme actuel pour auditer tous les établissements privés sous contrat du pays et en l’absence de contrôle qui permet de tracer l’usage des fonds publics, il y a des risques de fraude possible. Nous confirmons dans le rapport ce que disait la Cour des Comptes : dans 21% des cas, le contrat d’association n’existe plus, contrat qui justifie en principe le financement d’argent public chaque année.
Vous interrogez la notion comme l’existence même de contrat des établissements privés sous contrat. Pourquoi ?
On peut vraiment s’interroger sur la nature-même du contrat puisque l’une des deux parties peut au fond ne rien respecter, comme l’exemple du collège Stanislas qui est un établissement qui viole l’ensemble des conditions que la Loi Debré. La loi Debré a trois exigences pour permettre la contractualisation : que l’on dispense les programmes comme dans les établissements publics, que l’on respecte la liberté de conscience des élèves, que l’on ne les discrimine pas lorsqu’ils souhaitent accéder à l’établissement. Or, on a un rapport de l’Inspection Générale qui dit que le collège Stanislas viole les trois obligations de la Loi Debré, on parle d’atteinte à la liberté de conscience, d’un climat homophobe, de violences sexistes qui sont systémiques dans cet établissement. Il y a des élèves qui sont mis en danger de ce fait, c’est extrêmement grave.
Pourtant jamais le contrat ne va être interrogé. Jamais le financement public n’est interrogé. Ça, c’est une découverte, en principe, le contrat peut être renégocié chaque année, il est signé par le préfet au nom de l’État et par l’établissement mais on constate que cette marge de manœuvre de la renégociation n’est jamais utilisée. En principe, les établissements privés sous contrat qui relèvent du service public d’éducation doivent atteindre les objectifs de mixité sociale et scolaire, d’inclusion, de campagne de santé publique. Des établissements, qui reçoivent des fonds publics, 75% de leur budget, ne mettent pas en œuvre, par exemple, la campagne de vaccination contre le papillomavirus.
Enfin le rapport révèle un système opaque, à la dérive et hors cadre légal parfois : on découvre dans ce rapport l’importance des réseaux d’établissements. Les établissements sous contrat sont rattachés à un réseau, principalement le SGEG à 96%. Ces réseaux n’existent pas dans la loi Debré : la loi Debré ne prévoit qu’un dialogue direct entre l’État et l’établissement, elle ne prévoit aucun intermédiaire. Il existe un dialogue de gestion chaque année entre le SGEC et le ministère de l’Éducation nationale qui est tout à fait opaque, il n’en existe aucun compte-rendu. Ce dialogue de gestion concourt à l’allocation de milliards d’euros d’argent public. Il me paraît de ce fait hors cadre légal parce qu’il n’est pas reconnu par la Loi Debré et il est probablement attentatoire à l’article 2 de la Loi 1905 qui dit que l’État ne reconnaît aucun culte.
Il se trouve que le Secrétaire Général de l’enseignement catholique a une dimension cultuelle dès lors qu’il est nommé par la conférence des évêques de France, une autorité religieuse qui devient l’interlocuteur de l’État. On peut s’interroger sur une forme de dérive qui conduit à une zone grise où beaucoup de décisions sont prises dans un cadre qui paraît se situer en-dehors de ce qui est prévu en-dehors de la Loi Debré. On a un système qui est obsolète, opaque et hors-cadre légal.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
Dans le Café
Mixité et école : « recoudre les fractures de ce pays relève de la responsabilité des élus »
Le rapport Vannier – Weissberg soulève les tabous sur l’enseignement privé