« Fakebook » est un site qui permet de créer de faux profils et de faux murs ressemblant à ceux du célèbre réseau social. Professeure de lettres au collège Les Hauts Grillets à Saint-Germain-en-Laye, Elsa Copete l’a utilisé pour demander à ses 4èmes de faire vivre leur lecture de romans de Victor Hugo et d’Emile Zola. Sur la Page des Lettres de l’Académie de Versailles, elle éclaire les objectifs, les étapes et les intérêts de ce dispositif d’adaptation via un réseau social d’une œuvre littéraire patrimoniale. Les étudiants de Raphaël Luy, professeur de français en Suisse, ont quant à eux donné vie directement sur Facebook aux personnages du « Père Goriot » de Balzac. Eclairages de l’enseignant….
Dans quel contexte ce projet d’adaptation a-t-il été mené ?
J’ai proposé ce projet à une classe de 19 élèves de 2e année à l’ECCG de Martigny, en Suisse (Ecole de Commerce et de Culture Générale, les élèves de la classe étaient âgés de 17 à 19 ans). Le programme de deuxième année prévoit l’étude de quatre auteurs francophones du 19e siècle. Mon choix s’est porté, entre autres, sur Balzac, et plus précisément sur son roman Le Père Goriot. La transposition sur Facebook a eu lieu après une étude « classique » du roman (commentaires de textes, histoire littéraire, cours sur le réalisme en littérature).
Concrètement, comment l’avez-vous mis en œuvre ?
Les élèves ont pu choisir parmi différents rôles. 16 élèves se sont répartis en groupes de 4 et chaque groupe a choisi de travailler sur l’une des quatre parties du roman. Il s’agissait pour ces élèves de centrer leur attention sur les moments-clés de l’intrigue ; à partir des dialogues, ils devaient effectuer un travail de résumé, en isolant ce qui aurait pu correspondre à un statut et à des commentaires sur Facebook. Chaque groupe a ainsi imaginé plusieurs statuts et commentaires, qui ont été rédigés de manière manuscrite et regroupés sur plusieurs pages. Le passage du papier à Internet était de la responsabilité d’une autre élève, qui a assumé le rôle de responsable de la publication. C’est elle qui a créé la page et qui a publié chronologiquement les statuts élaborés. Une autre élève s’est occupée des relations avec la presse régionale (radio et journaux), afin de faire connaître le projet. Enfin, une élève a endossé la fonction de responsable de projet ; elle a été responsable de contrôler l’avancement des travaux de chacun, et de les coordonner, afin que le projet avance de manière optimale.
Transposer un roman de Balzac sur Facebook, c’est un choix qui pourrait paraitre à certains sacrilège : en quoi cette réécriture vous semble-t-elle formatrice et justifiée ?
A travers son œuvre, la Comédie humaine, Balzac a créé un monde. Ses personnages, que l’on retrouve fréquemment dans plusieurs romans, deviennent « réels » dans l’esprit du lecteur. Si la distance temporelle qui nous sépare de la publication des ouvrages de Balzac a inévitablement rendu surannés les personnages décrits et l’univers dans lequel ils évoluaient, leurs préoccupations restent actuelles. L’ambition d’un jeune homme qui souhaite entrer dans la société, l’amour d’un père pour ses enfants, voilà des thèmes qui ont traversé les siècles sans prendre une ride. Il est donc légitime de se demander ce que des personnages comme Rastignac, Vautrin ou Madame Vauquer, par exemple, auraient publié sur les réseaux sociaux si ces derniers avaient existé à l’époque. En effet, ces personnages ne cessent de communiquer dans le roman, que ce soit pour déclarer leur flamme, proposer un marché ou encore faire la morale, par exemple. Ce sont ces dialogues réalistes, entres autres, qui donnent l’illusion de l’existence de ces personnages. Balzac a su créer le « réseau social » qui donne vie à son œuvre. De là à l’idée de la transposition sur Facebook, il n’y avait qu’un pas. En réalisant ce travail, les élèves ont pu entrer dans la peau des personnages et comprendre, parfois, des enjeux qui n’avaient pas toujours été clairs lors de la première lecture.
Dans quelle mesure un tel travail vous semble-t-il participer aussi à l’éducation à internet ?
Je crois que ce projet permet de donner une autre dimension aux réseaux sociaux. Dans la mesure où ces derniers sont de véritables moyens de communication, ils peuvent servir à relayer d’autres éléments que les événements de notre vie quotidienne. Sans vouloir caricaturer, disons que si les jeunes consultent fréquemment Facebook, Twitter et autres, il n’est peut-être pas inutile que des œuvres dites « classiques » y prennent leurs quartiers.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés par une telle aventure ?
Je leur dirais, dans un premier temps, de se contenter de suggérer l’idée à leurs élèves. Il serait même intéressant que l’idée vienne des élèves. On pourrait simplement leur demander de quelle manière ils imaginent qu’une œuvre datant de plusieurs siècles pourrait être actualisée sans être dénaturée. Car, au final, l’objectif était bien là : improviser une rencontre entre des élèves, bien réels, du début du 21e siècle et des personnages, à peine moins réels, qui ne méritent pas de rester silencieux sur l’étagère d’une bibliothèque.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut