Comment se passe une première rentrée, quels sont les enjeux, les questionnements ? Boris Chiron raconte ses premières semaines de directeur d’école dans l’académie de Bordeaux et partage son expérience et ses interrogations. « savoir cloisonner, intellectuellement et spatialement, la vie de l’école et la vie personnelle, afin de sortir de la bulle éducation nationale ».
C’est la rentrée, et pas n’importe quelle rentrée. Depuis la rentrée, j’occupe le poste de directeur d’une école maternelle de 7 classes. Un défi à appréhender, anticiper, préparer, depuis le jour où j’ai appris ma nomination en juin dernier. Après une première année (et cinq ministres) comme professeur des écoles stagiaire, une montagne se dressait face à moi, une montagne qu’il a fallu depuis transformer en colline pour, à terme, se sentir dans un pays le plus plat qui soit. Mais comment faire ? Comment asseoir sa légitimité, donner confiance et gérer un établissement de 180 élèves pour une vingtaine d’adultes, quand on a si peu d’années d’exercice derrière soi ?
Entamer une première année à la direction d’une école c’est se transformer, enfiler de multiples vestes au sein d’une même journée d’exercice. L’éventail des possibles va de gestionnaire à secrétaire en passant par comptable, responsable des ressources humaines ou encore spécialiste risques et incendies, organisateur d’événements, réparateur de photocopieur, formateur en numérique, soignant… Une liste qui nous ferait presque oublier le métier que l’on exerce en premier lieu, professeur des écoles, qui, à l’heure d’une rentrée où les tâches de direction s’accumulent, ne représente qu’une infime partie du temps consacré à l’établissement. Autant de casquettes avec lesquelles il faut savoir jongler sans y avoir touché, ou presque, avec toujours en ligne de mire l’objectif de pouvoir répondre à l’ensemble des interlocuteurs qui se présentent et comptent sur nous.
Parce que, lorsqu’on est directeur ou directrice d’école au sein d’une commune de 10 000 âmes, on mesure à quel point ce rôle est central pour une multitude d’acteurs. Depuis la rentrée scolaire, et pendant les semaines de préparation, j’ai pu échanger avec des élus, des enseignantes, des parents d’élèves, des membres des services communaux, des ATSEM, des responsables de l’accueil de loisir, des intermittents du spectacle, des inspecteurs, des fournisseurs, des livreurs ou encore des architectes. Autant de parties prenantes auxquelles il faut s’adapter, et avec lesquelles il faut souvent concilier afin d’installer le climat le plus sain autour des élèves, centre des préoccupations de chacun. Tous veulent savoir à qui ils ont affaire, et vous êtes le petit nouveau au sein d’un monde qui se côtoie depuis des années. Certains arrivent avec leurs doléances, d’autres leurs conditions, tous sont indispensables au bon fonctionnement de l’école et le rôle de la direction est de réussir à les rendre compatibles. Un collègue me soufflait que le directeur, la directrice, d’un établissement scolaire, s’apparente à ce que l’on appelle en sociologie des organisations le marginal sécant[1], en géopolitique le diplomate, cet acteur qui est partie prenante dans plusieurs systèmes d’action en relation les uns avec les autres et qui peut, de ce fait, jouer un rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’actions différentes, voire contradictoires. Il s’avère que cette affirmation est bien réelle, et fait de ce poste une expérience parfois éprouvante, mais le plus souvent riche et stimulante, au contact de l’humain, et très formatrice.
Parlons justement de formation, ou plutôt n’en parlons pas puisqu’elle est assez minime. Ayant été affecté par le biais du mouvement annuel des professeurs des écoles, qui consiste à faire des vœux pour ensuite se voir désigner une destination en fonction de ses points, j’ai été nommé directeur, mais à titre provisoire. De ce fait, je n’ai reçu presque aucune formation de la part des services de l’éducation nationale, si ce n’est une demi-journée de présentation du logiciel ONDE et une autre de conseil sur la préparation de la rentrée, deux jours avant la pré-rentrée, autant dire trop tard. J’étais donc livré à moi-même au jour de l’annonce de mon affectation, et la solidarité entre collègues a été déterminante. Ma formation, ou plutôt mon apprentissage, au cours de cet été de transition s’est donc construite grâce à la rencontre et au retour d’expérience de plusieurs autres directeurs des environs, qui ont su m’accueillir, me conseiller, et sur lesquels je sais pouvoir compter pour m’aiguiller tout au long de cette première expérience.
Enfin, fort de tous ces conseils, des principes sont à mettre en place pour ne pas se voir noyé par ce rôle, qui, s’il est mal appréhendé, peut devenir un puits sans fond menant à l’arrêt de travail. Tout d’abord, être proactif, c’est-à-dire régler une question dès que celle-ci se présente à nous, tout en s’adonnant à une tâche à la fois pour ne pas perdre son énergie dans la dispersion. Parfois mettre à distance lorsque le sujet ne demande pas un intérêt immédiat. Sur un autre plan, il est essentiel d’écouter les conseils et préoccupations de l’ensemble des personnes côtoyées au sein de l’établissement, et ne pas hésiter à s’appuyer sur elles lorsque l’on n’est pas certain de nos choix. Déléguer permet aussi parfois de partager une responsabilité (le directeur ou la directrice ayant un dos large mais tout de même limité aux capacités humaines). Par ailleurs, partager son expérience, notamment avec ses collègues, aide souvent à prendre du recul et relativiser, chose essentielle pour vivre sainement certaines situations. Pour finir, et c’est peut-être le plus important, savoir cloisonner, intellectuellement et spatialement, la vie de l’école et la vie personnelle, afin de sortir de la “bulle éducation nationale”. Cela passe par exemple par l’absence de travail chez soi ou bien dans un espace bien déterminé, la coupure des réseaux de communication qui maintiennent le lien avec l’école (Whatsapp, mail ou encore téléphone), ou encore la pratique d’activités hors du champ scolaire. Cette liste n’est pas exhaustive et sera sûrement rallongée tout au long de l’année, mais ces premiers principes, posés dès le départ, permettent également d’entrer sereinement dans ce poste.
En bref, une rentrée de directeur débutant, c’est mener sa barque, naviguer à vue, et ce, jour après jour, au fil des péripéties qui peuvent se présenter. Mieux vaut pour cela bien s’entourer, consulter, écouter et s’écouter, et surtout savoir s’adapter. Mais l’année ne fait que commencer, suite au prochain épisode.
Boris Chiron
[1] Crozier M. et Friedberg E., 1977, L’acteur et le système, Paris, Seuil
« Enseigner en petite section, ça me fait aussi peur que d’être directeur »