Comment une résidence d’auteur peut-elle favoriser la créativité littéraire ? Céline Vallée, coordonnatrice REP+ a mené un projet inter degré d’écriture avec l’écrivaine Marie Desplechin. L’enseignante nous raconte cette rencontre généreuse de l’auteure avec les professeures comme avec les élèves. Sans chercher l’extraordinaire, Céline Vallée sait aussi que beaucoup se joue pour les élèves « d’une rencontre à une autre, mine de rien », comme elle le dit.
Comment est né ce projet d’écriture ? Car il y a l’histoire de ce projet…
Il est en effet des rencontres dont les souvenirs ont laissé l’impression qu’on y reviendrait, qu’on retenterait, idée qu’on garde quelque part, dans un coin, mine de rien. Alors, ma rencontre avec Marie Desplechin, commence avec ses livres, bien sûr, par la médiation d’une enseignante formatrice passionnée de littérature de jeunesse, qui au tout début de ma carrière de professeur des écoles, initiait ses jeunes élèves dans sa classe et ses jeunes stagiaires hors les murs, dans des rencontres littéraires autour entre autres de La prédiction de Nadia – renommé le Ciel de Samir-, Verte ou du Sac à dos d’Alphonse.
Ces premières découvertes littéraires ont ensuite été enrichies par d’autres, comme Babyfaces, cette fois, dans ma propre classe avec mes élèves de CM2. Et puis, nous avons invité Marie, chez nous, dans une école du Bas Belleville, dans le 20ème arrondissement de Paris. Elle est venue à la rencontre de ces écrivains en herbe autour d’un recueil de textes que nous avions intitulés Chez elle, en hommage à un album de Béatrice Poncelet, et que nous lui avions lu. Ce recueil était une sorte de camaïeu de nos lectures suivies et de nos débats littéraires avec les productions écrites de mes élèves : leurs points de vue sur ses romans, des critiques littéraires, la description de personnages, illustrées par des portraits peints des personnages.
Et cela vous a mené à un souvenir extraordinaire ?
Oui, ce projet a littéralement ouvert la porte de l’univers de Marie, puisque par la suite Marie nous a invités chez elle, oui, oui chez elle, dans son immeuble, son appartement, sa cuisine, ses bibliothèques et sa grande table où nous avons partagé à 23 un goûter préparé par ses soins.
C’est un souvenir impérissable pour mes élèves et moi. Quand je rencontre certains élèves dans le quartier, ils me parlent encore, 12 ans après : « Maîtresse, tu te souviens… »
Et j’ai voulu que ce souvenir résonne à nouveau avec les pratiques de lectures littéraires des classes du REP+ Besson, pour lequel je suis aujourd’hui coordonnatrice REP+, sur ce même territoire Belleville Ménilmontant, qui m’est cher. Créer, accompagner, soutenir des projets interdegrés étant l’un des objectifs de ma nouvelle mission, j’ai cherché une idée, une piste…
J’avais envie que ce souvenir s’inscrive à nouveau autour d’une rencontre avec un ou une auteure. Alors, comme une évidence, je suis retournée vers Marie.
J’ai tenté. Elle a accepté. Dans un coin, mine de rien, je le savais.
Coordonnatrice d’un réseau REP+ à présent, comment avez-vous imaginé ce projet ?
Nous avons alors construit avec les enseignants et avec l’aide du CNL une résidence d’auteure à destination de quatre-vingts élèves de quatre classes, deux classes de CM2, une classe de CM1-CM2 des écoles Dolet et Tourtille et une classe de 6ème du collège du REP+ Besson autour de trois ateliers d’écriture par classe.
L’idée était d’éveiller les élèves à la créativité littéraire en leur offrant une expérience d’écriture immersive avec Marie, tout en les accompagnant à une meilleure compréhension de textes littéraires, en leur donnant une image valorisante de leurs capacités à écrire et à s’exprimer, et en favorisant par la création d’une culture littéraire commune, une continuité sur le cycle 3 du réseau.
En amont des ateliers d’écriture, les enseignants ont lu avec les élèves des livres de Marie, en lecture plaisir, ou en ont fait des lectures et des débats littéraires, les ont mis en réseau ; tout cela pour mieux s’approprier son univers, son écriture.
La consigne d’écriture « « Faire le portrait d’une personne qu’on aime » a été proposée par Marie. Rapidement acceptée par les enseignants acteurs du projet dans leurs classes respectives, elle a permis l’engagement émotionnel des élèves par le biais de l’écriture, la découverte de soi, des autres, l’acceptation des sentiments de chacun et chacune dans le respect et l’empathie.
Et alors comment ce projet d’écriture sur l’amour s’est passé pour les élèves ?
Cela n’a pas été si évident. Pas si facile de se livrer, de partager des sentiments, pas si facile d’écrire sur sa maman, son frère, sa grande sœur, son meilleur ami, sa grand-mère ou l’animateur de l’association de quartier…
Pas si facile d’écrire, de démarrer son texte, d’accepter les conseils de Marie, ses aides de ré-écriture, de compléter, renoncer, recommencer, réécrire une fois, deux fois…
Pas si facile de lire son texte, d’entendre son texte lu par un autre, devant les autres élèves, devant Marie, devant les parents, les enseignants, parfois même devant le sujet même du texte, tous présents à la restitution finale en juin. Pas si facile, certes. Mais de ce projet sont nés de vrais textes, des jolis mots, de l’écoute, du travail, des regards croisés, des histoires partagées, de la créativité et du plaisir.
Ce projet est un pari réussi. D’une rencontre à une autre, mine de rien, dans un coin… Qui sait… ?
Propos recueillis par Djéhanne Gani