Les débuts d’année scolaires offrent l’occasion de prendre de bonnes résolutions. Pour cette rentrée 2024, conscients du retard pris par la France, certains enseignants sont décidés à s’engager pleinement dans l’éducation au développement durable. Il s’agit de s’emparer de son pouvoir d’agir professionnel, de rejoindre les réseaux d’éducation au développement durable et de faire émerger dans les établissements scolaires des collectifs de travail permettant de s’approprier le référentiel EDD de l’UNESCO.
Prendre conscience du retard français en matière d’éducation au développement durable
Une rapide mise en perspective permet de comprendre le retard pris par de nombreux systèmes éducatifs en matière d’éducation au développement durable.
En 2014, s’est tenue la première Conférence mondiale sur l’éducation au développement durable à Aichi-Nagoya au Japon. Les pays participants ont alors adopté une Déclaration qui affirme que l’éducation au développement durable peut permettre aux élèves de se transformer et de transformer la société dans laquelle ils vivent en développant les connaissances, les aptitudes, les attitudes, les compétences et les valeurs requises pour relever les défis actuels et futurs de la citoyenneté mondiale et locale.
L’année suivante, au Forum mondial de l’éducation, les pays membres de l’ONU ont élaboré la Stratégie Education 2030 au travers de la déclaration d’Inchéon : « Reconnaissant le rôle important de l’éducation en tant que vecteur principal du développement et de la réalisation des autres objectifs de développement durable (ODD) proposés, notre vision est de transformer la vie grâce à l’éducation ».
En 2017, la résolution 72/222 de l’Assemblée générale des Nations Unies réaffirme le rôle de l’UNESCO en tant qu’organisme chef de file pour l’EDD. Celle-ci publie alors le référentiel mondial EDD contenant l’ensemble des compétences (cognitives, socio-émotionnelles et comportementales), rattachées aux objectifs de développement durable. Le volet pédagogique énonce clairement une démarche d’apprentissage transformationnel orientée vers l’action.
Cependant, malgré les bonnes intentions affichées par les décideurs publics, la mise en œuvre concrète de l’éducation au développement durable dans les établissements scolaires se fait attendre. En 2019, La résolution 74/223 de l’Assemblée générale des Nations Unies : « encourage les gouvernements à redoubler d’efforts en vue d’intégrer et d’institutionnaliser l’éducation au service du développement durable dans le secteur de l’éducation et les autres secteurs concernés ». Après avoir constaté que « le leadership des gouvernements n’a pas été démontré dans la phase actuelle », l’UNESCO élabore la feuille de route EDD 2020-2030 qui expose les principaux axes de mise en œuvre du cadre L’EDD pour 2030. Cette feuille de route, en définissant cinq domaines d’action prioritaire, énonce clairement que la responsabilité de mise en œuvre de l’EDD ne doit pas reposer sur la seule initiative des décideurs publics. Elle invite chacun – chefs d’établissements, enseignants, élèves, partenaires locaux – à s’emparer de son pouvoir d’agir pour mettre en œuvre collectivement l’éducation au développement durable dans les établissements scolaires. Cette invitation marque la naissance du réseau mondial pour l’EDD (#EDDpour2030, #ESDfor2030), dont les initiatives sont confortées par la Déclaration de Berlin, lors de la deuxième Conférence pour l’éducation au développement durable réunie en 2021. La motivation première, affichée par ceux qui rejoignent le réseau, est l’insatisfaction ressentie au regard de la lenteur de déploiement de l’EDD dans les systèmes scolaires. Cette insatisfaction génère un irrésistible besoin de passer à l’action.
S’ouvrir aux préconisations de l’UNESCO
Dans le processus long qui mène à s’engager en faveur de l’éducation au développement durable, après le temps de la prise de conscience et de l’insatisfaction, la seconde étape est celle de l’ouverture au monde. De façon très concrète, il s’agit de prendre connaissance des préconisations de l’UNESCO en matière d’EDD. Celles-ci sont intégralement contenues dans deux documents de référence évoqués précédemment : le référentiel EDD de 2017, et la feuille de route EDD 2020-2030.
Le référentiel EDD, très complet, contient les 255 compétences de développement durable que les élèves doivent acquérir sur l’ensemble de leur scolarité, ainsi que de nombreuses propositions d’activités pédagogiques. La logique générale est celle de l’apprentissage transformationnel. Il précise : « L’EDD vise à autonomiser et à motiver les élèves pour qu’ils deviennent des citoyens actifs et sensibles au développement durable, capables de penser de façon critique et de participer à l’élaboration d’un avenir viable. Les approches pédagogiques requises à cet effet sont axées sur les élèves, orientées vers l’action et transformatrices. […] Dans l’EDD, on privilégie les méthodes qui favorisent l’acquisition de compétences par l’apprentissage actif. » Comme son nom l’indique, le référentiel de l’UNESCO est la référence mondiale pour la mise en œuvre de l’éducation au développement durable. S’agissant de travailler en partenariat avec des établissements scolaires étrangers, il offre le cadre pédagogique commun nécessaire à la mutualisation des pratiques.
Faire émerger les collectifs de travail
Après les étapes de la prise de conscience, de l’insatisfaction et de l’ouverture au monde, l’engagement pour l’EDD passe ensuite par la création des collectifs de travail en établissement scolaire. S’emparer de son pouvoir d’agir professionnel est un acte collectif. C’est en réalisant l’impact de leur activité professionnelle sur le développement du monde que les individus décident de mettre en œuvre leur pouvoir d’agir. En la matière, les enseignants font partie des professions dont la portée est la plus significative. Ils ont, collectivement, la possibilité de transformer la façon dont le monde se développe. Ce constat – cette évidence – était déjà posé, il y a dix ans, à la première Conférence mondiale sur l’éducation au développement durable : « La session plénière d’ouverture a donné le ton à la Conférence en définissant l’EDD non pas comme une intervention technique mais comme un processus social revêtant une importance capitale, indispensable pour relever les défis omniprésents et de plus en plus graves de ce début du XXIᵉ siècle ; pour permettre à tous de mener une existence décente ; et pour favoriser un véritable renforcement des capacités et une transformation sociale vers un ordre mondial plus viable et plus juste. » Qu’ils soient à l’initiative des enseignants, des élèves, des chefs d’établissements ou des partenaires locaux, les collectifs de travail émergent spontanément à partir du moment où plusieurs personnes motivées décident de sortir de leur isolement afin de mutualiser leurs efforts et leurs approches pour créer collectivement des pratiques nouvelles ancrées dans la démarche du référentiel UNESCO.
Rejoindre les réseaux d’éducation au développement durable
Les collectifs de travail sur l’éducation au développement durable naissants en établissement scolaire ne partent pas de zéro. Leurs pratiques pédagogiques émergentes reposent généralement sur d’autres, déjà éprouvées par des collectifs existants dans des établissements scolaires. C’est toute la force des réseaux d’éducation au développement durable que d’être capables de mutualiser les bonnes pratiques – celles qui sont reconnues comme telles par les pairs des réseaux – afin qu’elles puissent être appropriées, adaptées, transformées, enrichies. Rejoindre un ou plusieurs réseaux d’EDD est la dernière étape du processus d’engagement. Quels sont ces réseaux ? Combien fédèrent-ils de personnes engagées pour l’EDD ?
Les réseaux d’éducation au développement durable sont nombreux. A côté du réseau-mère mondial qui est celui des écoles associées de l’UNESCO, il existe de nombreux réseaux qui sont souvent attachées à des pratiques pédagogiques spécifiques, comme celles liées à la constitution de fresques (du climat, de la biodiversité, du plastique, de l’eau, de l’alimentation durable), à la mise en œuvre de défis collectifs (réduction d’empreinte carbone, plastique, matière, eau, numérique), à une analyse scientifique de mesure d’impact, à la participation à un éco-days, à la démarche d’entreprenariat durable, etc. L’entrée dans un réseau ouvre la porte vers d’autres réseaux et il est fréquent que les collectifs de travail EDD en établissements scolaires s’impliquent au travers de 4 ou 5 réseaux différents.
Au total, combien y-a-t-il, en France, d’enseignants engagés en faveur de l’éducation au développement durable, c’est-à-dire attachés à mettre en œuvre les recommandations de l’UNESCO selon une logique d’apprentissage transformationnel ? En l’absence d’enquête exhaustive sur le sujet, la réponse ne peut être qu’approximative. Le réseau des écoles associées à l’UNESCO compte 145 établissements scolaires en France (sur les 12 000 au niveau mondial). Ce chiffre peut paraître confidentiel au regard des presque 60 000 écoles et établissements du second degré mais les membres du réseau diffusent largement leurs pratiques pédagogiques, au-delà de leur seul périmètre interne. D’autres réseaux d’éducation au développement durable sont beaucoup plus conséquents en termes d’établissements associés, notamment ceux qui sont structurés sous forme d’associations. Certains réseaux de fresques ou de défis revendiquent plusieurs millions de participants dont de nombreux établissements scolaires affiliés. Cependant, ces chiffres plus conséquents portent sur des pratiques bien spécifiques qui n’attestent en rien de la démarche globale et transformatrice retenue par le référentiel EDD de l’UNESCO. Pour être proche de la réalité, on peut se risquer à avancer une fourchette de 3 000 à 6 000 enseignants qui développent des pratiques pédagogiques d’éducation au développement durable ancrées dans le référentiel EDD de l’UNESCO. Au regard des 850 000 d’enseignants du premier et du second degré, cette communauté en réseau peut paraître insignifiante mais elle ne demande qu’à grossir. Il suffit pour cela que des enseignants, conscients et insatisfaits de la lenteur de déploiement de l’éducation au développement durable en France, décident collectivement de prendre une bonne résolution à la rentrée 2024.
Stéphane Germain
Lien vers le référentiel EDD de l’UNESCO
Feuille de route EDD de l’UNESCO
Déclaration de Berlin sur l’éducation en vue du développement durable