Par Lyonel Kaufmann
En 2005, le portrait de Marie-Antoinette proposé par Sofia Coppola emportait l’adhésion du jury cannois et les foudres de la critique historique [Marie-Antoinette en ado lassante, Zéro de conduite]. Au moins ce film avait-il le mérite de conforter l’analyse de Marc Ferro sur le regard généralement contre-révolutionnaire de l’événement proposé par le cinéma hollywoodien :
Aux États-Unis, où la révolution est globalement rejetée par la société depuis l’indépendance, celle-ci joue le rôle de catastrophe et elle anime le genre favori des cinéastes, le mélodrame. On y retrouve toujours un personnage de victime, une jolie femme de préférence, et là Marie-Antoinette ainsi que madame du Barry jouent les vedettes ; un traitement pathétique fait adopter au spectateur le point de vue de la victime. La Révolution, comme l’a bien montré l’historien du cinéma Jean-Louis Bourget, exerce la fonction de la catastrophe, ce qui, en profondeur, connote ces films d’une signification réactionnaire. »
(Marc Ferro (2003) Cinéma, vision de l’histoire, Ed. du Chène, 2003)
Cette vision anglo-saxonne, fortement teintée de la vision d’Edmund Burke et ses Réflexions sur la Révolution de France, aboutit pour les élèves Anglo-saxons à ce que l’ensemble de la révolution, à partir de la prise de la Bastille, est assimilé à la Terreur. Plus globalement, cela s’accompagne de l’idée que la Révolution américaine est située sur un plan moral au-dessus de la Révolution française. [Casey Harison, « The French Revolution on Film: American and French Perspectives, » The History Teacher May 2005 [http://www.historycooperative.org/journals/ht/38.3/harison.html – 15 mars 2009)]. Cette tendance ne se limite d’ailleurs par à la vision de la Révolution américaine au cinéma, mais généralement à l’ensemble du traitement de la période
Curieusement néanmoins, cela n’empêcha pas le film de Sofia Coppola d’obtenir également à Cannes le Prix de l’éducation nationale par un jury formé de deux professionnels du cinéma, de deux élèves et de six enseignants.
The Flight to Varennes of King Louis XVI of France |
En ce début 2009, c’est cette fois-ci le portrait de Louis XVI et l’évocation de sa fuite et son arrestation à Varennes qui soulèvent quelques interrogations sur le traitement des personnages historiques dans les œuvres de fiction à la suite de la diffusion le 24 février dernier sur France 2 d’un docu-fiction intitulé «L’évasion de Louis XVI», deuxième volet de la collection «Ce jour-là, tout a changé» consacrée aux grandes journées de l’Histoire de France. [1]
Dans les deux cas, ces films de fiction servent de révélateurs, bien malgré eux et au-delà des vérités ou erreurs historiques qu’ils comportent, du fait qu’un personnage historique est d’abord affaire de point de vue alors que les manuels d’histoire d’antan nous proposaient ces mêmes portraits sous l’angle de la Vérité.
La lecture des commentaires apposés à la suite de la brève d’actualité consacrée au docu-fiction de France 2 sur hérodote.net (Ce soir : 21 juin 1791 : l’évasion de Louis XVI) est à cet égard éclairante :
Dès les premières images, on est surpris par un Louis XVI totalement irréel ; plutôt bel homme, raffiné et disert, au lieu du roi dont l’Histoire (la vraie) nous a laissé le souvenir : un homme grand (1,90 m) et gros, maladroit à l’égard de son épouse, emporté comme peuvent l’être tous les grands timides,…
André Larané, éditeur d’Herodote.net (25.02.2009)
Je vous trouve un peu sévère avec le téléfilm.Pour la ressemblance physique, c’est très difficile de trouver l’acteur idéal.Celui-là a au moins la vraisemblance de l’âge.Effectivement Louis XVI n’avait,à l’époque des faits, que 36 ans.?Pour bien rendre compte de l’état psychologique du personnage il suffisait de montrer la célèbre caricature de l’époque montrant Louis XVI en Janus le roi à deux têtes qui d’un côté s’adressant au Tiers dit “je soutiendrai la Constitution” et de l’autre s’adressant au Clergé “je détruirai la Constitution”. Tout le personnage est là.
Jean Durivault (01.03.2009)
bonjour
L’acteur qui jouait Louis XVI ne ressemblait pas du tout au vrai qui était plus corpulent et au visage joufflu, et Marie-Antoinette était plus grande au visage gracile, en plus ou était le Dauphin Louis XVII, je n’ ai vu qu’une gamine de 6 ans environ, il était né en 1785 et décédé en 1795
Roland (01.03.2009)
Dès le commencement du film, et suis restée perplexe devant ce fringant louis XVI!!! Je possède une vieille pièce de monnaie datant de 1793, où apparaît le profil de ce roi “des français”, profil que tout le monde connaît.
Jeanine Jumet (01.03.2009)
Concernant ce pauvre Louis XVI, roi cultivé, ouvert aux sciences! (voyages de La Pérouse) mal conseillé par Mirabeau, qui est un personnage ambigu, depuis sa jeunesse! (enfermé par son père au chateau d’If à cause de la vie dissolue qu’il menait à Aix en Provence)et également un tribun qui trahissait le révolution(voir l’épisode de la fameuse armoire de fer) Louis XVI aurait pû devenir un grand roi […]
Pierini (01.03.2009)
J’ai été également choqué par l’approche physique de Louis XVI. De plus si le roi n’était pas le bénêt que se figurent une majorité de gens il n’était pas non plus le monarque éclairé que l’on nous dépeint.
Massé Christian (01.03.2009)
Lorsque j’ai commencé à regarder ce téléfilm, une scène de chasse m’est apparu à l’écran avec un personnage nommé roi par ses compagnons qui avait l’allure physique d’un Louis XV avec les réparties autoritaires d’un Bonaparte. Un peu plus tard, lorsqu’il a regagné une tente, j’ai appris qu’il s’agissait de Louis XVI, un Louis XVI très agressif verbalement et particulièrement antipathique. Voyant celà, m’estimant trompé sur la marchandise, et déçu une fois encore par la télévision que je ne regarde que très rarement, préférant lire, je l’ai éteinte.
Dominique Baguet (07.03.2009)
Etant donc affaire de point de vue, tout événement historique ou portrait d’un personnage historique nécessite un traitement en classe multiple, basé sur des supports documentaires divers et variés. A ce titre, les ressources présentes sur l’Internet, tels les commentaires figurant sur le site d’hérodote.net, seront d’une grande utilité pour un travail en classe.
Bons, moyens ou franchement mauvais, il est difficile de ne pas utiliser de telles œuvres de fiction se rapportant à un événement ou à un personnage historique, car comme l’indiquent Pierre Guibert et Michel Oms, auteurs de L’Histoire de France au cinéma, il apparaît qu’un personnage tel que Louis XVI :
«aux yeux éblouis de plusieurs générations de spectateurs, Louis XVI [a] pris pour longtemps les traits de Pierre Renoir, Jacques Morel, Robert Morley ou Jean-François Balmer. Cependant, en sens inverse, des personnages romanesques issus de la grande littérature ou du feuilleton populaire ont pris pied dans l’Histoire, tel le bossu au contact du régent, ils ont acquis l’épaisseur de la vérité historique. Voici comment, inextricablement, à la faveur de la confusion qu’engendrent les salles obscures, la fiction et le réel, mais aussi le passé national et le passé du spectateur se sont croisés pour former la trame du tissu culturel français»
[GUIBERT P., OMS M. (2003) “l’Histoire de France au cinéma” in Cinémaction H. S., Ed. Corlet, 1993, cité par Vincent Marie dans Cinehig)
Dans l’exemple qui nous occupe, on adjoindra au docu-fiction de France 2 la Révolution française de Robert Enrico et la Nuit de Varennes d’Ettore Scola pour nous présenter différents points de vue tant sur le portrait du Roi que sur l’événement narré. Concernant le film de Robert Enrico, il est possible de trouver sur youtube ou dailymotion des extraits significatifs de ce film, emblématiques de la vulgate officielle proposée pour le Bicentenaire (“Révolution française” de Robert Enrico sur DailyMotion). L’Internet Movie Database recence l’essentiel de la production cinématographique où Louis XVI est à l’écran.
On s’étonnera peut-être de trouver la Nuit de Varennes dans cette sélection. En effet, du roi (Michel Piccoli) on ne voit que les pieds, un habit, une effigie, des médailles. On entendra sa voix l’espace de quelques courtes répliques. Lorsque le roi et la reine apparaîtront finalement, au cours d’une brève scène, nous distinguerons uniquement leurs jambes à travers les barreaux d’une rampe d’escaliers, ce qui accentuera l’infranchissable gouffre entre le peuple et une monarchie de plus en plus isolée. C’est aussi une manière très forte d’indiquer que désormais ce n’est plus le roi est au centre de l’histoire, mais les idées politiques, philosophiques et morales issues des Lumières et surtout l’éveil du peuple et son pouvoir récemment acquis.
On complètera l’approche filmique par des sources iconographiques ou textuelles :
* les 600 sources documentaires du site américain Liberty, Equality, Fraternity ainsi que leurs essais et approches didactiques (pour l’intérêt et les limites du corpus et des ressources présentées, on pourra lire mon article éponyme). On pourra sélectionner une série de représentations du roi Louis XVI ou de la fuite à Varennes.
* Retour de Varennes à Paris (l’Histoire par l’Image)
* Les portraits du Régent, de Louis XV, Louis XVI, de Marie Antoinette et de Necker (cliotextes) pourront être utilisés, mais sont moins intéressants dans la mesure où ils n’offrent guère de points de vue différents.
Pour l’enseignant, un tel travail suppose également de sa part une excellente connaissance des divers traitements historiographiques et filmiques relatifs à un événement ou à un personnage. Là aussi, les ressources disponibles sur l’Internet peuvent se révéler utile. Ainsi, concernant le traitement de la Révolution française au cinéma, nous disposons sur le net des articles cités de Cinehig avec ses fiches de travail et celui de Casey Harison dans History Teacher. Ce dernier propose par ailleurs des exemples intéressants d’utilisation d’extraits de films en relation avec des événements ou thèmes en lien avec la Révolution française :
«Some of the films cited here could be employed as teaching tools in college or high school classrooms in courses on American, European or even world history. A teacher might, for instance, use all or part of Marie Antoinette and La Nuit de Varennes to compare and contrast different film representations of the French monarchy. « Valid » or « invalid » views of the Parisian crowd might be drawn from Orphans of the Storm, La Marseillaise and Jefferson in Paris. The political machinations and some of the personal rivalries of the period are amply illustrated in Danton, The Black Book and L’Anglaise et le Duc. A class might examine how the figure of Lafayette is presented in American film by reviewing scenes in Jefferson in Paris and The Black Book. Broader historical issues, like the development of modern variants of nationalism and revolutionary messianism, might be explored by screening La Marseillaise and portions of Napoléon.»
Au niveau historiographique, il sera utile de replacer le docu-fiction de France 2 en fonction de la biographie de Louis XVI par son conseiller scientifique Jean-Christian Petitfils, parue en 2005 aux Éditions Perrin et présentée de la manière suivante pas son auteur :
Fruit de près de sept années de recherches, s’appuyant sur une documentation considérable (pièces d’archives, correspondances, mémoires, rapports…), cet ouvrage balaie les clichés de l’imagerie traditionnelle, s’attachant à restituer le vrai visage de ce personnage complexe et secret. Non, Louis XVI n’était pas le benêt que l’on dit, mais au contraire un homme plein de finesse et d’intelligence, d’une mémoire prodigieuse, d’une culture remarquable, un roi scientifique, passionné par les explorations et les grandes découvertes. Il joua un rôle déterminant dans la reconstitution de la marine royale, qui permit la victoire sur l’Angleterre et l’indépendance américaine. Loin d’être un conservateur crispé, prisonnier de son éducation, il voulut réformer en profondeur son royaume par une véritable Révolution royale et populaire, malheureusement contrée par la fronde généralisée des privilégiés.
1786-1792 : la chute de Louis XVI (CanalAcadémie)
On ne manquera pas de compléter avec Varennes de Mona Ozouf[2] ou de l’historien américain Timothy TACKETT et de son ouvrage Le roi s’enfuit. Varennes et l’origine de la Terreur. Pour ce dernier, la fuite du roi est des plus importantes pour comprendre le développement à plus long terme de la Révolution et la question qui l’intéresse consiste à comprendre pourquoi la Révolution française, peu violente à ses débuts et destinée, comme la Révolution américaine, à suivre une voie libérale, s’est radicalisée avec la Terreur pour devenir en 1794 un régime politique brutal. Pour Tackett, à l’inverse de l’interprétation marxiste, «la seule crise que les révolutionnaires ne purent surmonter fut le refus de l’idée même de monarchie constitutionnelle par le monarque régnant». En ce sens, la fuite à Varennes fut un traumatisme, marque le changement d’attitude spectaculaire à l’égard du roi et également le transfert de souveraineté du roi à la nation.[3]
Pour des plus téméraires, il est aussi possible de lire avec intérêt La mort du Roi – Prologue (I) de Big Blogger. Stimulant et touffu, mais qui met le doigt sur une des diffultés de l’ouvrage concernant le monarque : on ne connaît Louis XVI qu’indirectement et pour lequel il serait impossible de constituer un « «Louis XVI» cohérent ; que son étude par l’historiographie est exceptionnellement difficile ; que l’interprétation du personnage, de ses actes, de son rôle dans la Révolution, est ouverte.”
Enfin, grâce à l’académie de Lille, nous disposons d’une séquence pédagogique fort intéressante pour nous servir de premier canevas au portrait du roi et du changement opéré concernant celui-ci à la suite de sa fuite de Varennes : Un même personnage, des images contradictoires : Louis XVI.
Vous avez maintenant de quoi transformer un mauvais docu-fiction en séquence pédagogique réussie. À l’insu de son plein gré.
PS : il ne faut cependant pas se forcer de ne regarder que de mauvais docu-fictions. Il est possible d’aller voir de vrais et bons films traitants de personnages emblématiques. Il ne faut alors pas hésiter à aller voir Harvey Milk de Gus Van Sant et lire Antoine de Baecque (2009) Harvey Milk par Gus Van Sant «Briser les portes du placard». In L’Histoire, no 340, mars, p. 32-33
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, HEP-VD à Lausanne (Suisse)
[1] Vous pouvez découvrir le contenu de cette polémique sur le site clioweb et sur le blog de Louis Brun ainsi que la Lettre ouverte publiée sur le site revolution-française.net.
[2] On lira avec intérêt le compte-rendu de l’ouvrage par Annie Duprat, «Varennes. La mort de la royauté», in Annales historiques de la Révolution française, Numéro 348, [En ligne], mis en ligne le : 23 juillet 2008. URL : http://ahrf.revues.org/document9683.html. Consulté le 15 mars 2009.
[3] Deux comptes-rendus du livre : La Révolution française et le blog Révolution 1789.