Quelques 560 000 élèves de seconde générale et technologique devraient partir en stage d’observation en entreprise (ou dans le milieu associatif) dès lundi 17 juin, et ce pour deux semaines. Annoncée par Gabriel Attal, alors ministre de l’Éducation nationale, comme la mesure phare pour « reconquérir le mois de juin », il s’avère que près d’un·e lycéen·ne sur deux restera finalement à la maison.
C’est bien connu, et cela ne date pas d’hier, les cours au lycée s’arrêtent quand les épreuves du baccalauréat commencent. Depuis des années, les gouvernements successifs multiplient les promesses de reconquête du mois de juin. Gabriel Attal, lorsqu’il était locataire de la rue de Grenelle, n’a pas failli à la règle. Et pour rendre cette promesse concrète, le ministre de l’Éducation nationale d’alors, n’a pas hésité à annoncer un départ en stage pour tous les élèves de seconde. Une décision politique prise sans avoir consulté les principaux concernés : personnels de son ministère, élèves et parents. Un peu comme à son habitude…
Aujourd’hui, c’est Nicole Belloubet qui est à la manœuvre. Et son ministère se veut rassurant.
Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO), défend cette mesure qu’il estime porteuse de plus d’égalité. « Faire des stages lorsque l’on est élève en lycée général, ce n’est pas nouveau. Les familles de milieu favorisé avaient pour habitude d’inciter leurs enfants à en faire pour les aider dans leur choix d’orientation, mais aussi, si ce n’est surtout, parce que ce type d’expérience est valorisable dans le parcours scolaire », dit-il. « Aujourd’hui, notre ministère décide de rendre obligatoire ce qui était le fait de stratégies familiales connaisseuses de l’École. On offre la possibilité à tous les élèves de valoriser une expérience professionnelle. Cette première expérience peut aider à conforter le choix des spécialités. Il y aura donc forcément un bénéfice ».
Selon son ministère, au 13 juin, un peu plus de 70% des élèves de seconde avaient trouvé un stage et avaient fait signer des conventions. « On devrait être à beaucoup plus, puisqu’on sait que nombreux sont les retardataires pour tout ce qui est administratif », a d’ailleurs affirmé le DGESCO qui a salué la plateforme 1 jeune 1 solution. Plateforme qui accueille des offres de stages des entreprises et associations désireuses d’accueillir en stage d’observation les jeunes lycéens. « 1 jeune 1 solution a fait des efforts considérables pour trouver des offres valorisantes sur les territoires les moins favorisés », a assuré Edouard Geffray.
« Personne ne sait combien de lycéens ont trouvé un stage », estime Bruno Bobkiewicz
Si la rue de Grenelle semble satisfaite de cette mesure, sur le terrain, l’heure n’est pas à la satisfaction.
Du côté des chef·fes d’établissement, on est loin des chiffres affichés par le DGESCO. « Cette affirmation est fausse », nous dit Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN, principal syndicat des personnels de direction. « Ni nous ni le ministère ne sait combien d’élèves seront effectivement en stage les deux prochaines semaines. Personne ne dispose des chiffres réels, il faut l’admettre. Selon nos remontées, la semaine dernière nous étions globalement à moins de 50%, même si cela augmente tous les jours ». Le responsable syndical, par ailleurs chef d’établissement, évoque le cas de son lycée. « Dans notre lycée, nous avons bien 70% de lycéens de seconde qui seront en stage. Mais notre établissement dispose de caractéristiques très avantageuses : familles favorisées et en zone urbaine. Les établissements dont les caractéristiques sont plus standards, les établissements ruraux ou ceux qui accueillent des élèves de milieux moins favorisés sont loin de ce taux. On a donc probablement dépassé les 50%, mais pas plus ». Quand on l’interroge sur le delta entre ce qu’annonce le ministère et son syndicat, le secrétaire général ne semble pas étonné. « Le ministère a sondé quelques établissements dans quelques académies. En réalité personne n’en sait rien ». Et si 50% des élèves ne sont pas en stage, ce « n’est pas grave », tempère-t-il.
Avant de s’attaquer à la seconde quinzaine du mois, il aurait fallu reconquérir les quinze premiers jours s’agace Bruno Bobkiewicz. « Les conseils de classe de seconde ont lieu à la fin du mois de mai, parce que le ministère n’a pas modifié les calendriers d’affectation et d’orientation. Les élèves sont démobilisés dès lors. La mission Marois devait mettre cela en lumière. Mais les conclusions n’ont jamais été publiées… »
Du côté de la FCPE, principale fédération de parents d’élèves, on fait le même constat. Cette mesure « se heurte au principe de réalité et exacerbe les inégalités sociales et territoriales », écrit l’association. Une mesure « irréaliste » qui transfère sur « les familles et la société la responsabilité « d’occuper » ce mois de juin que le lycée ne peut reconquérir faute de moyens ». Afin de dresser un état des lieux de la question, l’association a lancé une enquête auprès des familles. « Près de 3 000 familles de tous les territoires ont répondu en quelques jours à l’enquête diffusée par notre fédération et leurs réponses confirment toutes nos craintes. Les familles qui ont trouvé un stage ont pu le faire en mobilisant leur réseau professionnel, familial ou amical. Les stages trouvés se feront à proximité immédiate du domicile des lycéens chanceux et là encore, sans accompagnement de leur lycée, faute de moyens ». Autrement dit, pas de réseau, pas de tissu économique ou associatif dense à proximité, pas de stage. L’association dénonce aussi la plateforme 1 jeune 1 solution, qui «devait proposer plus de 200 000 offres de stages » et qui serait « ridiculement dotée ».
La FCPE estime qu’un élève sur deux restera à la maison lundi prochain. Autre point, et non des moindres, la concurrence qu’offre ces élèves de seconde générale et technologique à leurs camarades de la voie professionnelle pour qui ce stage est nécessaire pour la valorisation de leur cursus. « La recherche massive et simultanée de centaines de milliers de stages vient perturber dans leurs recherches les lycéens de la voie professionnelle qui ont également des stages obligatoires à effectuer à cette même période. Ils sont nombreux à être eux aussi en échec malgré leurs démarches ».
Décidément la reconquête du mois de juin s’avère être un art bien difficile…
Lilia Ben Hamouda