Nicole Belloubet a confirmé vouloir travailler sur une modification de la carte de l’éducation prioritaire (EP). Une éducation prioritaire dont on attend le bilan depuis 2018 mais qui ne semble toujours pas d’actualité. Yannick Trigance, spécialiste des questions d’éducation, revient sur les besoins de cette dernière.
À l’occasion d’une question de la députée socialiste Claudia Rouaux au gouvernement le mercredi 22 mai 2024 dernier à l’Assemblée nationale, la ministre de l’Éducation Nicole Belloubet a annoncé qu’elle travaillait à une révision de la cartographie de l’éducation prioritaire « pour la rentrée 2025 », la précédente refonte de la carte de l’éducation prioritaire pour les écoles et collèges datant de 2015.
Créée par Alain Savary en 1981, avec l’idée de « donner plus à ceux qui ont le moins », le nombre de zones d’éducation prioritaire n’a depuis 40 ans cessé d’augmenter avec aujourd’hui plus de 1,7 million d’élèves dans les quelque 7000 établissements de l’éducation prioritaire, à savoir les Réseaux d’éducation prioritaire (REP) et les Réseaux d’éducation prioritaire renforcés (REP+) pour les quartiers les plus défavorisés.
La politique d’éducation prioritaire doit impérativement conserver l’objectif qui consiste à corriger l’impact des inégalités sociales et économiques sur la réussite scolaire par un renforcement de l’action pédagogique et éducative dans les établissements des territoires qui rencontrent les plus grandes difficultés sociales.
Dans le cadre du travail que la ministre de l’éducation annonce mener sur cette refonte, le rapport de la Cour des Comptes d’octobre 2018 sur la politique en matière d’éducation prioritaire devrait lui apporter des éléments de bilan permettant de tracer des pistes quant à la nécessaire évolution de ce dispositif pour mieux l’adapter à la réalité de nos territoires et pour garantir le principe républicain du droit à la réussite pour chaque jeune, à l’opposé de la suppression des REP que proposaient Nathalie Elimas et Jean-Michel Blanquer en 2020.
A rebours de celles et ceux qui s’acharnent à dénoncer la faillite de cette politique d’éducation prioritaire, le rapport reconnaît son utilité et ne parle à aucun moment « d’échec », bien au contraire : la situation serait plus préoccupante encore si les moyens n’avaient pas été investis, quand bien même les effets de cette politique restent insuffisants, notamment au regard des sommes investies (2,3 milliard d’euros en 2023 pour environ 20% des élèves scolarisés en éducation prioritaire).
C’est d’ailleurs en ce sens, ce que ne précise pas le rapport qui ne traite pas la période 2016-2018, que les moyens ont été concentrés en 2015 sur la question des effectifs enseignants, de leur rémunération et de leur formation, réforme menée par Najat Vallaud-Belkacem et qui avait fait l’objet d’une large concertation, d’une mise en œuvre progressive avant d’être généralisée en 2016 sur la base d’orientations particulièrement volontaristes : nouvelle cartographie, scolarisation des moins de trois ans, dispositif « plus de maîtres que de classes », allègement du service d’enseignement pour dégager du temps de travail en équipe.
Ce rapport de la Cour des Comptes souligne également avec justesse l’impact de la dégradation des conditions de scolarisation en partie indépendantes de l’école elle-même et rappelle notamment que « ces dispositifs ne sont pas pensés pour remédier à une ségrégation socio-spatiale aussi forte qu’elle ne l’est aujourd’hui, à laquelle se greffe une ségrégation scolaire sans précédent », ce qui explique pour partie le développement de « l’effet label», à savoir l’évitement des établissements REP et REP+ particulièrement répandu dans les catégories sociales favorisées.
Ceci nous amène à réaffirmer que la politique d’éducation prioritaire reste indissociable d’une politique globale pour les quartiers en difficulté : convenons que depuis l’enterrement du plan Borloo, rien ne semble être prévu alors que les problèmes continuent à s’accumuler.
Or, si l’école peut beaucoup, elle ne peut tout régler et constitue plus que jamais le miroir de l’environnement dans lequel elle évolue : les problématiques de logement, de santé, d’accès au sport, à la culture, et plus généralement aux services publics, ne sont pas neutres dans le processus de réussite éducative, loin s’en faut.
Par ailleurs, la politique de l’éducation prioritaire reste aujourd’hui encore une politique essentiellement territoriale avec des conséquences pour le moins problématiques au sens où elle bénéficie à seulement 30% des élèves défavorisés vivant sur les territoires des réseaux prioritaires : quid des 70% d’élèves défavorisés en dehors de ces réseaux ?
Enfin, elle demeure particulièrement dommageable pour les établissements situés juste au-dessus des seuils et qui ainsi ne disposent pas d’aide spécifique alors que leurs publics scolaires sont souvent en difficultés.
C’est ainsi que selon un rapport remis à l’ancien ministre Pap Ndiaye en avril 2023, 745 écoles dotées d’un Indice de Position Sociale –IPS- inférieur à 80 ne sont pas dans le dispositif d’éducation prioritaire et ne bénéficient donc d’aucun moyen spécifique. Dans le même temps, sous l’effet d’une paupérisation croissante, certains REP présentent aujourd’hui un IPS inférieur à celui de certains REP +.
Il y a donc nécessité à mettre en place une modulation des moyens alloués aux écoles et aux collèges mais également une augmentation de ces moyens si l’on veut, comme cela est plus que nécessaire, abaisser les effectifs dans le premier degré et au collège.
En ce sens le rapport de 2023 cité plus haut relativise fortement l’autosatisfaction permanente déployée par l’actuel gouvernement concernant le dédoublement des classes de CP et CE1 –mesure phare mise en place sous l’ère Macron-en soulignant notamment que « de façon générale, si des éléments positifs sont repérés concernant les apprentissages des élèves bénéficiant d’un enseignement en classe dédoublée, force est de constatée que tous les bénéfices attendus de cette mesure ne sont pas encore obtenus aujourd’hui ».
Ce même rapport recommande par ailleurs de substituer au dédoublement dans certaines situations « le soutien d’un maître supplémentaire au moins six heures par semaine dans la classe », ce qui renvoie au dispositif « plus de maîtres que de classes » mis en place dès 2012 et que le ministre Blanquer s’est empressé de supprimer dès son arrivée en 2017…
Alors que 77% des enfants de cadres obtiennent leur baccalauréat général contre seulement 31% d’enfants d’ouvriers, alors que les résultats des élèves français ont baissé de 21,5 points aux évaluations PISA entre 2018 et 2022, plus personne aujourd’hui ne peut contester cette impérieuse nécessité de « donner plus à ceux qui ont moins ».
Le défi auquel fait face l’Ecole de la République se pose donc en des termes nouveaux et qui ne peuvent être éludés : comment, de la maternelle au lycée, s’occuper des 70% d’élèves en difficultés aujourd’hui totalement « oubliés » ?
L’enjeu est là. Il y a urgence.
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Ile-de-France