Chaque vendredi, le café pédagogique publie un épisode du podcast consacré aux métiers de l’éducation « Docs sur l’Éduc, la parole à celles et ceux qui font l’école » réalisé à Marseille auprès de personnels travaillant ou ayant travaillé en Éducation prioritaire. Aujourd’hui, c’est une Inspectrice Pédagogique Régionale (IA-IPR), qui a enseigné pendant vingt ans en éducation prioritaire, qui est à l’honneur. « Les propos que j’entends aujourd’hui chez mes collègues illustrent un épuisement professionnel face à la multiplication des tâches et une réaction forte face à une forme de mépris de la hiérarchie. On nous demande d’appliquer les réformes, ce qui n’est pas notre travail. Il serait plutôt utile de les expliquer, pas de les défendre, ni de vanter leur bien-fondé […] Notre expertise qui est réelle est très peu prise en compte. Pour l’inspection, comme pour les enseignants, la demande est assez simple : Laissez-nous faire notre métier, faites-nous confiance» confie Evelyne Bechtold.
Qui êtes-vous Evelyne Bechtold ?
« J’ai enseigné la philosophie pendant plus de vingt ans au lycée polyvalent l’Essouriau aux Ulis (classé ZEP à ce moment-là) dans l’Essone, dans l’académie de Versailles. J’ai aussi participé à l’Institut de Recherches de la FSU dans lequel travaillent chercheur.ses et militant.es syndicaux.ales. Puis j’en ai été la présidente. Je me suis plus particulièrement intéressée aux questions du « Nouveau Management Public » qui est la volonté d’appliquer aux services publics les critères de gestion et d’évaluation du secteur privé. Je suis IA-IPR de philosophie depuis quatre ans dans l’académie d’Aix-Marseille. »
Les missions et la semaine d’une IA-IPR.
« Sans être exhaustive, ni présenter le catalogue de l’ensemble de nos tâches, je peux dire que le métier d’inspecteur est un métier mille-feuilles. En tant que prof, je n’en connaissais que l’aspect visite-évaluation qui doit rester selon moi un accompagnement. Il y a aussi dans nos missions un aspect formation initiale auprès des professeurs stagiaires à l’INSPE et formation continue en ce qui concerne les collègues titulaires ou contractuels. Nous faisons un travail sur la pédagogie et la didactique de la discipline en lien avec les Inspecteurs généraux. Nous pouvons être sollicités sur tel ou tel aspect de la pratique enseignante comme par exemple la possibilité d’enseigner la philosophie en lycée professionnel. Nous sommes aussi membres des jurys de concours CAPES, CAPET, Agrégation internes et externes. Chaque mois, le collège des IPR se réunit et réfléchit aux problèmes que nous rencontrons – avec les professeurs contractuels, les professeurs stagiaires, pour l’organisation par discipline des examens (DNB, Baccalauréat, BTS…). Je fais régulièrement le point avec mes collègues de ma discipline des autres académies.
Depuis peu nous avons aussi une nouvelle mission consistant à l’évaluation des établissements. Chaque inspecteur est chargé de l’évaluation de deux ou trois établissements par an. Pour l’instant ces évaluations sont plutôt bienveillantes et ne donnent pas lieu à des décisions qui pourraient aller à l’encontre du bon fonctionnement du service. Mais je reste vigilante sur ce sujet. Dans les pays anglo-saxons d’où est issu le Nouveau Management Public, ces dispositifs déterminent les moyens alloués à l’établissement et un avis négatif a pour conséquence immédiate, la baisse des dotations, voire la fermeture de l’établissement.
Nous sommes aussi en charge du contrôle « de l’obligation scolaire ». Cela concerne les familles qui ne scolarisent pas leur enfant à l’école publique (ou sous contrat). Nous rencontrons les familles et nous évaluons la façon dont les enfants acquièrent ou pas les éléments du socle commun. Nous avons une attention particulière sur les conditions dans lesquelles ils sont instruits à la maison, je pense notamment aux possibles dérives sectaires ou fondamentalistes. »
Les conditions de travail des IPR n’échappent pas aux conséquences de la diminution de l’investissement de l’État dans le fonctionnement des services publics. À l’occasion de la mise en application de la RGPP – Révision Générale des Politiques Publiques en 2007 sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy – des milliers de postes administratifs ont été supprimés dans les services et de fait cela a occasionné un transfert de charges au détriment des personnels (IPR, enseignants, personnels de santé…) qui ont d’eux-mêmes assumer les tâches administratives – saisies de documents, de publications, de rapports… – qui auparavant étaient effectuées par les secrétariats aujourd’hui largement démantelés.
L’évolution récente des mécanismes d’inspection des enseignants.
Longtemps l’inspection a été vécue comme une inspection-sanction, l’IPR venait inspecter tous les collèges de la discipline de l’établissement. Et cela sur quelques rendez-vous dans la carrière. Avec le système de l’avancement à l’ancienneté, au choix ou au grand choix, il y avait une grande disparité dans le déroulé de carrière des collègues. Un écart de 10 ans entre les deux vitesses extrêmes de changement d’échelon pouvait exister, ce qui représentait un manque à gagner pouvant s’élever à 150 000 € cumulés.
Depuis la mise en application du protocole PPCR en 2017 – Parcours Professionnel, Carrière, Rémunération – le volet « inspection-sanction » a perdu beaucoup de son importance sur le déroulé de carrière ou profit de la « visite-conseil » .
« Le reproche qui est souvent fait aux Inspecteurs – et qui est tout à fait justifié – est qu’en une heure d’observation, il est impossible de tenir un propos général sur la façon dont l’enseignant gère sa classe. La réforme du PPCR est de mon point de vue très positive, avec l’idée que l’évolution de carrière doit être plus régulière et égalitaire avec trois rendez-vous importants (voir aussi la note 3 NDLR). Le déroulé de carrière peut être un peu accéléré – deux ou trois ans – ce qui limite énormément l’impact salarial de telles inspections. Le gain devient anecdotique et nous permet de nous concentrer sur l’aspect visite-conseil et l’accompagnement des collègues. L’échange qui suit la séance devient un temps de réel dialogue. Nous pouvons aller dans les classes à la demande d’un professeur ou éventuel d’un chef d’établissement et apporter les conseils nécessaires, proposer des mesures pour sortir d’une éventuelle situation de grande difficulté – je pense aux professeurs débutants, aux jeunes contractuels. Bien connaître l’ensemble des enseignants me permet aussi de faire des propositions pour utiliser telle ou telle compétence disponible, pour conseiller sur l’avenir professionnel, sur les différentes options possibles. Cela me permet aussi d’avoir une vision précise de l’état de la philosophie dans l’académie ».
La mise en œuvre des réformes.
« Depuis que je suis IPR j’ai dû connaître cinq ou six ministres différents avec autant de réformes souvent contradictoires. La dernière en date est le positionnement du concours de recrutement. Master ou licence, ce n’est pas vraiment pareil, cela sous-entend un profil différent d’enseignant et en conséquence une formation initiale et continue différente. C’est la même chose pour la question des groupes de niveau et du choc des savoirs. On nous demandait jusqu’à maintenant de former les enseignants à la différenciation pédagogique, à l’hétérogénéité du groupe – ce que je trouve très bien – et maintenant il faudrait faire marche arrière, travailler sur des groupes considérés comme homogènes ! Recevoir des injonctions contradictoires est extrêmement chronophage et fatiguant intellectuellement. On nous demande d’appliquer les réformes, ce qui n’est pas notre travail. Il serait plutôt de les expliquer, pas de les défendre, ni de vanter leur bien-fondé ».
L’évolution de l’organisation du service d’inspection.
« Pour l’instant notre hiérarchie est double, nous dépendons directement du Recteur, sans intermédiaire pour le fonctionnement académique et de l’Inspection Générale pour des réflexions et des missions d’ordre général. L’IGEN se tourne très souvent vers nous pour avoir une vision précise de la réalité de terrain.
Une forme de mise en concurrence se met en place avec une rémunération au mérite, avec la définition de trois catégories, de « la plus à la moins méritante ». Ce schéma est en total décalage avec la réalité du service ; les collègues sont des fonctionnaires extrêmement motivés qui ne comptent ni les heures, ni les journées de travail. Le classement en troisième catégorie de telle ou telle personne ne peut avoir qu’un effet démobilisateur et infantilisant.
Le Ministère précédent travaillait aussi sur la création d’un échelon intermédiaire entre le Recteur et nous, un directeur de la pédagogie, un administratif au sein du rectorat qui évaluerait et dirigerait le travail des inspecteurs. Il va sans dire que ces propositions ont fait l’unanimité contre elles ».
Pour un fonctionnement apaisé de l’institution.
Il y a aujourd’hui un vent de révolte au sein des corps intermédiaires qui illustre la coupure existant entre le pouvoir politique et ces personnels. Cette contestation n’échappe pas au corps d’inspection.
« Je suis frappée par l’évolution du discours de mes collègues, il y avait jusqu’alors une forme de loyauté et de légalisme. Les propos que j’entends aujourd’hui illustrent un épuisement professionnel face à la multiplication des tâches et une réaction forte face à une forme de mépris provenant de la hiérarchie. Notre expertise qui est réelle est très peu prise en compte. Pour l’inspection, comme pour les enseignants, la demande est somme toute très simple : Laissez-nous faire notre métier, arrêtez de nous envoyer des injonctions contradictoires, faites-nous confiance».
Pour écouter l’intégralité de son entretien, CLIQUER ICI
Alain Barlatier