Manon Plasschaert est une ancienne élève allophone arrivée des Pays-Bas à l’âge de dix ans. Après avoir poursuivi sa scolarité en France, elle s’est dirigée vers des études d’anglais pour devenir enseignante. Après avoir obtenu le CAPES, elle a enseigné en Guyane pendant plus de dix ans avant de retrouver l’académie de Toulouse où elle multiplie les casquettes au service de l’enseignement des langues étrangères et de la langue française langue étrangère.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de votre formation ?
Après le bac, j’ai poursuivi mes études en faculté d’anglais et en faculté de néerlandais. Ce n’est que lorsque j’enseignais en Guyane que j’ai repris mes études dans le cadre d’un MASTER 2 Didactique des Langues Parcours FLES. J’ai senti le besoin d’approfondir mon bagage théorique pour pouvoir adapter mon enseignement au contexte guyanais où près de 40 langues se côtoient au quotidien. En parallèle, j’y animais des formations axées sur le plurilinguisme aux enseignants en tant que formatrice REP+ mais aussi auprès des étudiants en master MEEF à l’INSPÉ de Saint Laurent du Maroni. Lorsque je suis rentrée en métropole, j’ai contacté l’Association DULALA car je souhaitais continuer à animer des formations dans ce domaine. Je n’ai pas pu être recrutée tout de suite dans le contexte du COVID mais je l’ai été en juillet 2022. Depuis, j’enseigne en UPE2A dans un lycée dans le Lot à hauteur de 12h et en complément je travaille pour DULALA. Cela me permet d’avoir un pied dans l’enseignement et un pied dans le monde de la formation et de la recherche.
Vous animez des ateliers de philosophie autour de la diversité linguistique et culturelle. Pourriez-vous nous parler de ce projet ?
En mars 2024, Dulala a publié une nouvelle ressource. Il s’agit de « Philolala : le guide pour animer des ateliers philo au collège autour de la diversité linguistique et culturelle* ». Des linguistes de renom ont participé à la réalisation de cette ressource, notamment Philippe Blanchet, Bien Dobui et Christine Hélot mais cette ressource a aussi vu le jour grâce à la collaboration avec Johanna Hawken, directrice de la Maison de la philo à Romainville, et Anne-Sophie Cayet qui vient de publier : Philosopher avec des adolescents migrants plurilingues : Un enseignement-apprentissage de la rencontre interculturelle chez l’Harmattan.
J’ai donc pu tester en avant-première certaines séances et je suis convaincue par l’intérêt de ce genre d’ateliers que je place un peu au même niveau que le théâtre.
En classe, je pose rarement directement la question sur les vécus, les expériences ou les trajectoires géographiques et linguistiques des élèves. Par le détour des ateliers philo certaines choses sortent toutes seules. Ce sont des activités primordiales lorsqu’on travaille avec des personnes de différentes origines qui peuvent avoir vécu des traumatismes. Par ailleurs, le fait qu’ils viennent de régions différentes peut contribuer à l’enrichissement des échanges. Et parfois, on finit par s’apercevoir que sur les thématiques de l’apprentissage des langues ou du racisme, les avis ne divergent pas tant que ça.
Comment passe-t-on de l’enseignement des langues à des ateliers philo ?
En réalité je ne passe pas de l’un à l’autre…ça s’intègre assez naturellement finalement. Dans les dispositifs UPE2A on a la chance d’avoir du temps pour faire des projets. On travaille très régulièrement autour de projets. Ainsi cette année j’ai décidé de me lancer dans la réalisation d’un kamishibaï plurilingue dans le cadre du concours de DULALA. Lorsque l’association m’a contactée pour tester les séances de leur nouvel outil Philolala, j’ai tout de suite répondu par l’affirmative. Ce nouveau challenge me plaisait. On peut parfois avoir l’impression que la philo est une discipline réservée à une élite. Lorsque je disais à des collègues que je voulais faire de la philo en classe je ressentais un peu le syndrome de l’imposteur car je n’y connais pas grand-chose en philo. Je connais peu les courants, les philosophes et les citations. Néanmoins, je connais bien les questions de discriminations et de plurilinguisme, ce qui m’a permis de me sentir à l’aise pour me lancer dans l’animation de ces ateliers. D’ailleurs, Philolala cite des « penseurs » qui ne sont pas toujours reconnus comme philosophes, je pense notamment à Judith Butler, Philippe Blanchet… ce sont des personnes dont je connais bien les travaux et cela m’a rassurée.
Les activités pédagogiques telles que les « débats » ou en l’occurrence « dé-libérations » comme le dit si joliment Anne-Sophie Cayet, sont souvent perçus comme étant périlleuses pour les enseignants. On sait d’où on part mais on ne sait pas trop où on va ? Comment gérer la parole des élèves ? On peut avoir peur de perdre la main. Ce livret accompagne très bien les enseignants et animateurs. Tout est clé en main : les apports théoriques, les déroulés des séances, les questions et relances toutes prêtes si besoin. Je pense qu’on en a besoin, surtout au début. Je vois qu’après plusieurs séances tout le monde a compris le fonctionnement et on est beaucoup plus à l’aise : tant les élèves que les enseignants.
Comment réagissent les élèves ?
Dans ma classe, j’ai une quinzaine d’élèves, certains sont très timides et d’autres très bavards mais les rôles se sont bien équilibrés. J’ai toujours des volontaires pour distribuer la parole, gérer le temps ou écrire les grands axes. On fait société. Les plus timides ne lèveront pas le doigt mais si on leur demande leur avis ou si on leur demande de réagir à ce qu’a dit un camarade, ils répondent et expriment des choses importantes ! Ils s’expriment avec leurs mots, des phrases souvent courtes et évidemment pas grammaticalement correctes mais des phrases puissantes ! Une élève qui habituellement s’exprime très peu a dit qu’elle était plus timide lorsqu’elle devait parler français plutôt qu’en ukrainien car elle manquait de confiance. C’est une insécurité linguistique qu’elle exprime et je pense que c’est important que ce soit exprimé et entendu ! Les élèves sont très heureux d’avoir un espace de parole « safe » et respectueux. Je n’en ai pas encore eu l’occasion, mais je pense que c’est aussi un outil que je vais utiliser avec les adultes à qui j’enseigne le FLE dans le cadre de l’OEPRE. Alors bien entendu, ce n’est pas une activité que je commence dès le mois septembre mais je pense que dès janvier cela peut s’organiser.
Propos recueillis par Djéhanne Gani
L’ouvrage d’Anne Sophie Cayet est disponible ici
extrait du guide ici