Dominique Schnapper, présidente du Conseil des Sages de la Laïcité et des Valeurs de la République (CSL) aura fini par avoir la peau d’Alain Policar, membre du conseil dont la nomination par l’ancien ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye avait fait polémique. À l’opposé d’une vision « intransigeante » de la laïcité portée par « ceux qui la transforment en valeur identitaire et, ainsi, contribuent à valider le soupçon selon lequel certaines parties de la population ne pourraient, en raison de leur foi, se plier à ses exigences » , le sociologue se dit être « fidèle au principe de laïcité en insistant sur sa consubstantielle dimension d’inclusivité ». Il répond aux questions du Café pédagogique.
Comment avez-vous appris votre « éviction »?
Après une lettre de Dominique Schnapper, présidente du CSL, à la ministre de l’Éducation nationale, dans laquelle elle réclamait mon éviction, j’ai été reçue par Nicole Belloubet, le lundi matin. Il m’alors été confirmé que mon départ était souhaité. La ministre a annoncé ma « démission » lors de la séance plénière du Conseil l’après-midi même. En réalité, je n’ai pas, au sens strict, démissionné : j’ai été démis.
Que vous reproche la ministre ?
Elle juge mes positions à propos de la loi du 15 mars 2004 incompatibles avec ma fonction de membre du CSL. Je lui ai dit que tel n’était pas mon point de vue : un expert n’est pas un fonctionnaire d’autorité et il est, dès lors, supposé garder sa liberté de parole. Rien, par conséquent, n’empêche un membre du Conseil d’avoir un avis réservé sur l’application de la loi de 2004 et de l’exprimer. On doit même considérer qu’il s’agit là d’un gage de pluralisme, de nature à renforcer la légitimité de l’institution.
Votre nomination avait fait des remous, en quoi votre conception de la laïcité n’est pas en « accord » avec celle attendue ?
Je ne peux aborder ce point en détail, mais je souhaite insister sur un aspect fondamental. Je pense être plus fidèle au principe de laïcité en insistant sur sa consubstantielle dimension d’inclusivité que ceux qui le transforment en valeur identitaire et, ainsi, contribuent à valider le soupçon selon lequel certaines parties de la population ne pourraient, en raison de leur foi, se plier à ses exigences. Je crois l’être plus également lorsque je mets l’accent sur la nécessité de rendre accessibles les fondements de ce principe que ceux qui refusent de chercher à comprendre les causes du soupçon de partialité que la loi de 2004, du moins son application zélée, alimente.
Et, parmi les causes de ce soupçon, j’insiste, contrairement à la vulgate dominante, sur notre passé colonial et, en l’espèce, sur les cérémonies imposées de dévoilement des femmes musulmanes en Algérie. Aussi, Le voilement des jeunes filles, à l’aune de l’histoire, apparaît-il ainsi, au moins dans certains cas, comme une affirmation identitaire et non, seulement, comme une manifestation non équivoque de prosélytisme. Une semblable attention au passé n’est pas ignorance de notre présent, et des dangers que fait courir l’islamisme politique, tout particulièrement sa volonté de déstabiliser l’École de la République. Mais on peut estimer que la chasse aux signes religieux n’est pas une stratégie efficace contre une telle entreprise. Elle est même, très probablement, contre-productive, car de nature à être instrumentalisée par l’islamisme afin de persuader les musulmans qu’ils doivent se reconnaître avant tout dans la communauté des croyants, plutôt que dans celle des citoyens. En revanche, la volonté des élèves, et de leurs familles, de se dispenser de certains enseignements doit être fermement sanctionnée, les fondements en la matière étant autrement consistants que ceux concernant le port du voile.
Que dit cette éviction de la vision de la laïcité promue par Nicole Belloubet ?
Je ne ferai pas porter l’essentiel de la responsabilité sur la ministre. La laïcité intransigeante, fermée à la tolérance, s’est installée en France dès 1989 et est devenue une véritable religion civile tout au long de notre siècle. Qui dit religion, dit dogme et gardiens du temple. Et ces derniers sont nombreux, le Printemps républicain en tête dont l’obsession sur le voile confine à l’islamophobie. Si ce terme n’est pas sans ambiguïté, il est assez étonnant que parmi ceux qui le critiquent, on trouve des islamophobes revendiqués, car il ne s’agirait pour eux que de critique rationnelle de la religion. Ils sont donc islamophobes comme l’on peut être, disent-ils, christianophobes, athéophobes. Judéophobes et homophobes également ? est-on tenté de leur rétorquer. Je l’ai fait lors d’un débat : je ne suis pas certain que la force de l’argument les ait ébranlés.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Dans le Café pédagogique
Alain Policar, une nomination qui fait des remous