L’éducation au développement durable est un sujet sensible et clivant en France. Certains s’en désintéressent totalement quand d’autres dénoncent le greenwashing pédagogique à l’œuvre – ainsi que l’autosatisfaction généralisée qui l’accompagne – qui, selon eux, éloignent notre système éducatif du respect des objectifs de la Stratégie Education 2030. Dans un ouvrage récent consacré à l’éducation au développement durable, Stéphane Germain évoque le greenwashing pédagogique en précisant : « Il est aisé de constater que les objectifs de l’éducation au développement durable n’ont pas fait pleinement leur entrée dans les attendus des différents systèmes éducatifs nationaux. […] Ce constat interroge car dans tous les pays, les systèmes éducatifs ont été construits selon une logique de service public qui doit répondre à une mission d’intérêt général. Or l’intérêt général, au 21ème siècle est de déployer en urgence les modalités de l’éducation au développement durable dans les systèmes éducatifs. Comment peut-on expliquer cette relative inaction qui relève parfois du greenwashing pédagogique lorsque les dirigeants des systèmes éducatifs affichent une forme d’autosatisfaction en matière d’éducation au développement durable ? La réponse est complexe. » Pour aider à comprendre la complexité du sujet, l’auteur répond à nos questions.
Avant d’aborder les différents aspects du greenwashing pédagogique, est-il possible de préciser brièvement ce qu’est l’éducation au développement durable ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que le développement durable est un concept porté par l’Organisation Mondiale des Nations Unies (ONU), qui se décline actuellement autour de 17 objectifs abordés avec les élèves dès le collège et parfois à l’école primaire. L’éducation au développement durable, quant à elle, a été formalisée par l’UNESCO, après avoir été mandatée par l’ONU pour le faire. Le premier forum mondial de l’éducation au développement durable s’est tenu en 2014. Il a permis de s’accorder sur les compétences essentielles de développement durable, ce qui a favorisé la conception du référentiel d’éducation au développement durable proposé en 2017. Le forum de 2021 a permis de conforter la démarche stratégique pour 2030 en établissant une feuille de route assortie de nombreuses recommandations.
Est-il possible d’en dire plus sur ce référentiel ?
Comme son nom l’indique, il s’agit de la référence mondiale commune pour l’éducation au développement durable. Très concrètement, le référentiel contient 255 compétences que les élèves doivent acquérir afin de permettre un développement durable de l’humanité et de la planète. Ces compétences sont reliées aux 17 objectifs de développement durable. Elles se déclinent en compétences cognitives – il s’agit de comprendre les enjeux, en compétences socio-émotionnelles – il s’agit de se mettre en lien avec autrui et avec les écosystèmes – et en compétences comportementales – il s’agit de passer à l’action. On estime qu’il faut environ 600 heures sur l’ensemble de la scolarité, à partir de la maternelle jusqu’à la licence 3, pour permettre l’apprentissage des compétences contenues dans le référentiel, ce qui correspond à une ou deux heures par semaine, en moyenne, selon les niveaux d’enseignement. Outre les compétences décrites dans le référentiel, celui-ci comprend de nombreuses recommandations sur les méthodes et approches pédagogiques permettant l’apprentissage des compétences de développement durable. La logique générale est celle d’une pédagogique active permettant de mettre les élèves face à des choix au travers de mises en situation concrètes.
Ce référentiel a-t-il un caractère contraignant ?
Contrairement à la démarche européenne qui repose sur une logique de libre coordination, la démarche mondiale a un caractère – légèrement – plus contraignant. La résolution 74/223 de l’Assemblée générale des Nations Unies, adoptée en 2019, encourage les gouvernements à redoubler d’efforts en vue d’intégrer et d’institutionnaliser l’éducation au service du développement durable dans le secteur de l’éducation. De la même façon, les 184 Etats membres de l’UNESCO se sont engagés collectivement en faveur de l’éducation au développement durable, en 2015, en adoptant la Déclaration d’Inchéon. Celle-ci a été élaborée au cours du forum mondial de l’éducation visant à définir un cadre d’action commun portant le nom de Stratégie Education 2030. Elle est assortie d’un agenda strict d’actions à mettre en œuvre dont certaines concernent l’éducation au développement durable. L’alinéa 5 précise : « Reconnaissant le rôle important de l’éducation en tant que vecteur principal du développement et de la réalisation des autres objectifs de développement durable (ODD) proposés, notre vision est de transformer la vie grâce à l’éducation. Conscients de l’urgence, nous nous engageons en faveur d’un agenda pour l’éducation, unique et renouvelé, qui soit holistique, ambitieux et mobilisateur, en ne laissant personne de côté. Cette nouvelle vision […] est inspirée par une vision humaniste de l’éducation et du développement fondée sur les droits de l’homme et la dignité, la justice sociale, l’inclusion, la protection, la diversité culturelle, linguistique et ethnique, ainsi que sur une responsabilité et une obligation de rendre des comptes, partagées. Nous réaffirmons que l’éducation est un bien public, un droit fondamental et un préalable à l’exercice d’autres droits. Elle est essentielle à la paix, à la tolérance, à l’épanouissement de l’individu et au développement durable ». La Déclaration d’Inchéon n’est pas un traité international, ni même un accord-cadre. Il s’agit d’une simple déclaration d’intention, entendue comme une modalité de droit souple permettant aux Etats membres d’adapter librement leurs systèmes éducatifs. Certains ont pris cette déclaration au pied de la lettre quand d’autres l’ont tout simplement ignorée. Il faut comprendre qu’en matière d’éducation, l’UNESCO joue un peu le même rôle que l’OMS pour la santé. Les recommandations ne sont pas élaborées à la légère. Elles reposent sur un long processus réunissant chercheurs, experts et praticiens de différents pays selon une logique d’intelligence collective.
Comment expliquer que le référentiel d’éducation au développement durable ne soit pas pris en compte ?
La réponse est complexe. Tout d’abord, on peut noter que le référentiel n’est porté par personne. Il est, en quelque sorte, un non sujet. Les médias n’en parlent pas. Les autorités éducatives n’y font pas référence, au sens où la démarche qu’elles mettent en avant ne fait pas mention de celle qui est recommandée par l’UNESCO. Très concrètement, en France, l’éducation au développement durable est envisagée presque exclusivement au travers des programmes scolaires, ce qui comporte le biais de focaliser sur les compétences cognitives au détriment des compétences socio-émotionnelles et comportementales. Pour des élèves déjà exposés aux catastrophes environnementales au travers des médias, l’approche cognitive qu’ils découvrent à l’école vient renforcer leur éco-anxiété au lieu de leur apprendre les modalités concrètes du développement durable. L’institution se retrouve ainsi en décalage avec les attentes des élèves portant précisément sur l’apprentissage des mises en action préconisées par le référentiel UNESCO. La France n’est pas un bon élève, alors même que le siège de l’UNESCO se trouve à Paris. A ce titre, certains estiment qu’elle devrait être le pays qui montre l’exemple en matière d’éducation au développement durable.
C’est en cela qu’il y a greenwashing pédagogique ?
Je ne suis pas un adepte des formules chocs car elles ont tendance à simplifier la complexité en effaçant la richesse des nuances. Cependant, dans un monde dominé par la communication, où la parole des chercheurs et des organismes internationaux est relayée au second plan, quand elle n’est pas totalement ignorée, il n’y a pas d’autre choix que de recourir au procédé pour alerter sur des problèmes majeurs. Le greenwashing pédagogique comprend deux aspects. Il s’agit, bien sûr, de la non-implémentation du référentiel d’éducation au développement durable mais aussi de toute la démarche d’autosatisfaction qui l’accompagne.
Implémentation. N’est-ce pas un terme un peu pompeux, à la mode, et qui ne veut pas dire grand-chose ?
Les mots ont leur sens. Quand il s’agit d’indiquer le fait qu’un système éducatif, dans toutes ses composantes, doit s’approprier un référentiel : on utilise le verbe implémenter. Cela signifie que chacun doit faire sa part. Les autorités éducatives doivent être en posture de facilitation. Les enseignants doivent être en mesure de concevoir et de mutualiser les activités pédagogiques permettant l’apprentissage des compétences contenues dans le référentiel. Celui-ci existe depuis plus de six ans maintenant. Si les premières années étaient celles de la gestation des activités pédagogiques d’éducation au développement durable, nous sommes maintenant arrivés au stade de la maturité. De larges possibilités de diffusion de ces activités sont permises grâce aux réseaux pédagogiques. Tout est donc une question de volonté collective.
Est-il possible d’expliquer la démarche d’autosatisfaction, le deuxième aspect du greenwashing pédagogique ?
L’éducation au développement durable comprend un volet important d’apprentissage de la connaissance de soi, notamment d’identification des freins à l’engagement. Il s’agit du déni, de la culpabilité, de l’éco-anxiété, de l’incompréhension, etc. Les freins sont toutes les attitudes qui bloquent le processus de l’engagement individuel et collectif. Parmi ces freins, le dédouanement consiste à se donner bonne conscience en se persuadant que les actions individuelles que l’on a engagées sont largement suffisantes. Cela permet de se soustraire à l’action collective portée par les nombreuses sollicitations extérieures. Affirmer que l’on fait déjà largement sa part, en termes d’éducation durable, est une forme d’autosatisfaction qui permet de justifier le renoncement à l’implémentation du référentiel UNESCO.
Que doit-on penser de la démarche de labellisation E3D portée par le ministère ?
Je préfère ne pas formuler d’avis personnel sur le sujet. Plusieurs analystes internationaux, cependant, s’interrogent sur cette approche typiquement française. Proposer une démarche de labellisation revient à définir une norme vers laquelle les établissements doivent tendre. Cette norme est très éloignée de la démarche recommandée par l’UNESCO. Faire de l’E3D, ce n’est pas faire de l’EDD, au sens de l’UNESCO. La démarche E3D française marque ainsi la volonté de se détacher de la dynamique mondiale en lui préférant une approche nationale largement revisitée. Elle permet aussi d’instaurer une forme d’autosatisfaction institutionalisée. Quand tous les établissements scolaires auront été labellisés au niveau 3 de la démarche E3D, la France aura pleinement remplit les objectifs qu’elle s’est elle-même fixée ? Sera-t-elle dans le respect de ceux qui sont portés par la démarche mondiale de Stratégie Education 2030 ?
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Lien vers le référentiel EDD de l’UNESCO : https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000247507
Lien vers la feuille de route EDD 2030 de l’UNESCO :https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000374891
Lien vers le Guide pratique pour l’éducation au développement durable https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807351387-guide-pratique-pour-l-education-au-developpement-durable