Mais à quoi donc joue Gabriel Attal ? Invité à l’émission C à Vous vendredi 8 mars, le Premier ministre a affirmé que « les groupes de niveau étaient et restent une très bonne idée ». « À partir de la rentrée prochaine, les élèves de sixième et de cinquième seront dans des groupes de niveau en français et en mathématiques », a-t-il ajouté, « ce sera sur l’intégralité des heures de la semaine». Un discours à rebours des déclarations de la ministre de l’Éducation nationale et de son ministère jeudi 7 mars qui eux parlaient de « groupes de besoin » – et plus du tout de groupe de niveau – et d’un système dérogatoire possible. Le Premier ministre souhaite-t-il sauver la face ou remet-il au pas sa ministre de l’éducation nationale qui abandonne sa mesure phare ?
Nicole Belloubet et son équipe s’étaient bien gardés de parler de groupes de niveau lors de leurs déclarations du jeudi 7 mars. Et comme l’expliquait le Café pédagogique, ce changement lexical est loin d’être anodin. « Si un élève a des lacunes sur une compétence, à un moment donné, on lui donnera la possibilité, grâce aux groupes de besoin, de retravailler cette compétence en petit groupe », avait expliqué le ministère. Cette organisation semble loin de celle voulue par le Premier ministre.
La ministre de l’Éducation nationale et la rue de Grenelle promettaient aussi que les textes, à paraître au Bulletin officiel de jeudi, permettraient aux équipes, sous la supervision des chefs d’établissement et le contrôle de l’inspection générale, de déroger à une organisation sur toute l’année et sur tout le contingent horaire de mathématiques et de français. « Les élèves pourraient par exemple être accueillis en classe entière en début d’année, le temps de les évaluer et de cibler leurs besoins », avait expliqué le ministère, « avant les conseils de classe aussi pour permettre aux équipes de se retrouver, de faire le bilan et de construire d’autres groupes en fonction des compétences à travailler ».
Le chef du gouvernement semble avoir une autre lecture de cette dérogation. « La ministre a raison de dire qu’il faut laisser de la flexibilité et de la souplesse aux établissements. Il faut qu’un élève qui est dans le groupe des élèves en difficulté, qui progresse bien, puisse passer dans le groupe au-dessus ». Il n’évoque pas le cas des élèves qui décrocheraient dans le groupe des forts, soit dit en passant… Pour Gabriel Attal, les moments de regroupement, ce serait au mois de septembre et à la fin de l’année. Basta. « Ça veut dire qu’à partir de la rentrée prochaine, en français et en mathématiques, en sixième et en cinquième dans un premier temps, les élèves seront dans des groupes de niveau avec des élèves du même niveau » a- t-il réaffirmé.
Des moyens qui ne suivent pas
Si beaucoup voient dans l’intervention de Gabriel Attal un recadrage de Nicole Belloubet, beaucoup y voient aussi une façon de faire bonne figure. Concrètement ses groupes de niveau sont impossibles à mettre en œuvre dans les collèges, faute de moyens.
Le Premier ministre a beau rappeler qu’il a alloué des moyens supplémentaires pour mettre en œuvre sa réforme, dans les établissements, les DHG sont arrivées et très rares sont celles qui tiennent compte de l’organisation voulue par l’ancien ministre de l’Éducation nationale. Dans beaucoup de collèges, si les groupes se mettent en place, ce sera au détriment d’autres disciplines et des options. Mais Gabriel Attal tient bon. Jeudi, il rappelait avoir obtenu en décembre « des crédits supplémentaires pour mettre en place les groupes de niveau » et n’excluait pas « d’en rajouter un peu ». « L’essentiel est que cela soit mis en place et que les moyens soient au rendez-vous », assène-t-il.
Agacement chez les syndicats
Au Snes-FSU, on est agacé. « Les propos de Gabriel Attal sont très révélateurs de sa vision du dialogue social : il ne l’accepte que quand ça va dans son sens », tempête Sophie Vénétitay. « Ça a un petit côté mauvais perdant assez peu raccord avec la fonction de Premier ministre. On a l’impression qu’il est vexé que la ministre de l’Éducation nationale ait écouté les syndicats… ». Mais pour la secrétaire générale du syndicat, ces propos sont surtout significatifs de sa vision de la démocratie. « C’est surtout, si le Premier ministre n’accepte aucun bougé à un projet de réforme qui fait la quasi-unanimité contre lui, un vrai problème démocratique. C’est même irresponsable dans le moment de crise que vit l’École et de crise démocratique que vit notre société ». « Jeudi, nous avons alerté la ministre de l’Éducation nationale : si Gabriel Attal continue de parler de groupes de niveau, ça va profondément agacer la profession – comme quand Macron dit partout qu’il nous a augmentés de 10% – mais aussi être source de confusion », avertit-elle. « On nous a répondu qu’il s’adressait en fait aux parents et qu’ils comprenaient mieux ainsi. Ce n’est pas très convaincant ». « Au final, on a la confirmation que Gabriel Attal continue de servir de l’Éducation pour asseoir sa stature et son identité politique plutôt que pour vraiment servir l’École et ses personnels. Et au milieu de tout ça, l’École publique continue de s’effondrer ».
Même agacement au SE-Unsa, « Comme à son habitude, Gabriel Attal ne veut rien lâcher de sa communication, car les groupes de niveau du temps où il était rue de Grenelle se sont arrêtés à de la communication », nous déclare Élisabeth Allan-Moreno. « Nicole Belloubet, elle, doit gérer désormais la mise en œuvre avec des moyens défaillants et l’opposition de la communauté éducative », poursuit la secrétaire générale qui estime que « le Premier ministre devrait surtout laisser sa ministre de l’Éducation agir et décider ». « On a besoin de stabilité et de pilotage, on n’a cessé de le dire ces derniers mois. Si Nicole Belloubet écoute mieux et répond mieux aux besoins de l’École, ce sera dans l’intérêt de tous. Que le gouvernement le veuille ou non et même si cela impacte la feuille de route macronienne ! »
Dans tout cet imbroglio, la publication des textes est très attendue par la communauté éducative. « Nous regarderons avec beaucoup d’attention les formulations retenues dans les textes publiés, mais je n’oublie pas que Nicole Belloubet nous a dit, et nous l’avons fait répéter, que la mention « de niveau » disparaissait des textes », prévient Sophie Vénétitay. « Les textes seront le juge de paix pour savoir qui joue aux pompiers pyromanes avec l’Éducation nationale ». Au SE-Unsa aussi, on attend la publication des textes « pour vérifier que les annonces de la ministre sur le réaménagement du dispositif seront confirmées ». « Dans le cas contraire, on ne laissera pas passer », alerte Élisabeth Allan-Moreno. « Désormais, nous devons pouvoir préparer la rentrée et il sera inconcevable de le faire au détriment de nos élèves et de nos conditions de travail ! ».
Lilia Ben Hamouda