Article mis à jour avec ajout de réactions syndicales le 8 mars à 6h30
Les élèves de sixième et cinquième seront-ils répartis dans des groupes de niveau à la rentrée prochaine ? « À titre dérogatoire, et sous la responsabilité des chefs d’établissement, il sera possible de préserver des temps d’enseignement en classe entière en français et en mathématiques », indique-t-on au ministère de l’Éducation nationale. Une façon de reculer sans perdre la face pour le gouvernement sur la mesure phare du Premier ministre Gabriel Attal. Autre reculade, et non des moindres, l’appellation de ces groupes. La rue de Grenelle n’évoque plus de groupes de niveau, mais parle de groupes de besoin. Un changement lexical loin d’être anodin.
Cela fait trente jours aujourd’hui, Nicole Belloubet succédait à la ministre aux multiples polémiques Amélie Oudéa-Castéra à la tête du ministère de l’Éducation nationale. C’est aussi aujourd’hui que Nicole Belloubet rencontrait toutes les organisations syndicales siégeant au conseil social d’administration pour faire le point sur le plan du « Choc des savoirs ».
« Quand la ministre est arrivée, certains travaux étaient déjà bien engagés tels que la refonte de certains programmes, la labélisation des manuels… » explique-t-on au ministère. « D’autres chantiers des mesures du choc des savoirs étaient programmés et sur le point d’être mis en œuvre. C’est le cas des groupes de besoin ». Et si la ministre a mis du temps à se positionner, c’est parce qu’elle souhaitait « recueillir et confronter les différents points de vue – syndicats enseignants, direction, parents, recteurs… » assure-t-on. « Elle s’est aussi saisie de toutes les occasions pour échanger avec les acteurs de terrain, pour recueillir leur questionnement, pour identifier les éléments qui rendent la mise en œuvre délicate ». Et si la mesure emblématique des groupes de niveau était au centre des principales « interrogations et craintes », « tout le monde partage la même préoccupation face aux résultats et à la difficulté de gestion de l’hétérogénéité en classe ».
Des dérogations possibles pour enseigner en groupe classe
Si on assure au ministère que l’ensemble des mesures du « Choc des savoirs » sera appliqué, la ministre laisse finalement les chefs d’établissements se dépatouiller. Elle souhaite que les équipes pédagogiques, supervisées par les chefs d’établissement réfléchissent à la manière d’organiser au mieux ces groupes dans leur établissement. « Ce qui est essentiel, c’est que les élèves puissent travailler en groupe toute l’année », affirme-t-on tout en indiquant qu’à titre dérogatoire et sous contrôle de l’inspection générale, des temps en classe entière seront possibles. « Les textes à paraître n’indiqueront pas de limitation de ces temps de travail en classe entière », assure-t-on dans l’entourage de la ministre. « Le principe est celui de l’organisation en groupe de besoins. Par dérogation et pour des périodes limitées, on peut avoir des regroupements en classe entière ».
Concrètement, sur le terrain, les chefs d’établissement auront la charge d’appliquer ou non cette réforme. Ils pourront décider de mettre en place des groupes de besoin sur certaines compétences, à certains moments de l’année – ce qui existe dans bon nombre d’établissements. Quant à la taille des groupes, aucune indication sur le nombre d’élèves qui les constitueront.
« Les groupes de besoins seront constitués en fonction des compétences à atteindre. Il n’y aura donc pas d’assignation à un groupe faible ou fort. Un élève qui rencontre des difficultés en géométrie sera donc un groupe adapté à ses besoins en géométrie. Et s’il est bon en numération, il sera dans un groupe adapté là aussi. Ces groupes, qui brasseront plusieurs classes, permettent de personnaliser pédagogiquement les approches ». C’est l’usine à gaz qui s’annonce pour les équipes, et surtout pour les chefs d’établissement. On imagine mal la mise en œuvre avec une telle personnalisation hors de la classe. Si un élève est bon en lecture, mauvais en grammaire et en production d’écrits, cela suppose combien de groupes différents ?
Quant à l’enseignement privé sous contrat qui avait indiqué qu’il ne pourrait pas mettre en place ces groupes de niveau, au ministère, on tempère. « Le secrétariat général de l’enseignement catholique ne s’est pas exprimé sur un refus de leur mise en œuvre, il a simplement attiré notre attention sur la difficulté à les mettre en œuvre ». « La ministre a exprimé très nettement sa volonté de voir appliquer cette nouvelle organisation dans l’enseignement privé sous contrat au même titre que l’enseignement public », assure-t-on.
Réactions syndicales
« Les groupes de niveaux disparaissent des textes, ils ne se mettront donc pas en œuvre à la prochaine rentrée, c’est un recul de la ministre à mettre au crédit de la mobilisation des personnels », se réjouit Sophie Vénétitay du Snes-FSU. « Il reste encore beaucoup de flou dans l’organisation, ce qui est annoncé – groupes sur tout l’horaire et à certains moments, il faudra vite des éclaircissements pour que les groupes se fassent bien dans l’intérêt des élèves et des personnels ». « Mais le gouvernement n’entend pas toucher au cadre général du choc des savoirs, alors même qu’il est massivement rejeté par les personnels, car il est le symbole de cette école passéiste et conservatrice », dénonce la secrétaire générale.
Au SE-Unsa, on ne crie pas victoire trop vite, même si le syndicat se dit très « satisfait de la suppression de la notion de niveau et donc du tri social des élèves ». « C’était très important pour nous. La profession, largement mobilisée contre ce dispositif – y compris à travers notre pétition NON au choc des savoirs – a fait infléchir le ministère », nous dit Élisabeth Allan-Moreno. « Pour autant, nous sommes en attente de précisions supplémentaires. Nous avons besoin que les textes à paraître nous donnent une souplesse réelle et de la confiance aux équipes pour organiser les groupes et les temps de retour en classes de référence. Nous avons aussi besoin de consignes rapides et claires, mais non contraignantes et que des temps soient dégagés pour préparer la rentrée ». La secrétaire générale fait aussi le lien entre l’abandon de ces groupes et l’austérité budgétaire annoncée par Bercy. »Il ne faut pas négliger le poids de l’insuffisance des moyens alloués dans ce rétropédalage« , souligne-t-elle. « Tout comme il ne faut pas imaginer une seconde une réorientation de la politique éducative macronienne ».
« La ministre a annoncé la disparition de la notion de niveau de l’arrêté présenté au CSE du 8 février et rejeté à l’unanimité. C’est une première victoire pour les personnels fortement mobilisés contre le tri social de leurs élèves » écrit la CGT Éduc’Action dans un communiqué. « La nouvelle version du texte n’a pas été communiquée aux organisations syndicales, mais elle semblerait, de façon alambiquée, ouvrir la voie à une remise en cause de l’obligation d’organiser l’intégralité des heures en groupes dans les deux disciplines ». « Le nouvel arrêté et les consignes ministérielles de mise en œuvre ne doivent pas instituer une usine à gaz qui serait inepte sur le plan pédagogique et dégraderait les conditions de travail des personnels. De même, cet arrêté ne doit pas conduire les établissements, pour son application, à devoir abandonner dédoublements en langues ou sciences, projets pédagogiques ou options » ajoute le syndicat qui demande l’abandon pur et simple du Choc des Savoirs.
« La contestation forte contre les groupes de niveau, par les personnels enseignants et de direction, les parents d’élèves a permis de faire bouger la ministre de l’Éducation Nationale », se réjouit le Sgen-CFDT. « Les mobilisations des équipes dans toute la France, la signature massive de la pétition contre le choc des savoirs, les différentes interventions du Sgen-CFDT auprès des ministres successifs ont permis d’obtenir une évolution de la philosophie d’une réforme du collège qui ne dit pas son nom ». Le syndicat acte la « confiance à l’expertise du terrain et aux sachants que sont les chefs d’établissement » mais renouvelle sa demande de temps de concertation pour définir et réguler cette nouvelle organisation. « La ministre a annoncé qu’il y aura deux demi-journées banalisées d’ici la fin de l’année scolaire pour permettre aux équipes d’avoir le temps de penser leur fonctionnement pour la rentrée. Lors du CSE, nous avions demandé une heure de pondération pour les enseignants concernés, sans succès. Ce temps manque aux personnels qui accumulent les heures supplémentaires, le pacte, les enseignants absents sur de longues durée et non remplacés« . Le syndicat continue « de s’opposer fortement aux mesures du choc des savoir dans leur ensemble« . « Le choc des savoirs n’est pas une orientation de politique éducative qui nous convient » rappelle-t-il.
Le Snalc pour qui la réforme du collège ressemblait au collège modulaire porté par le syndicat depuis 10 ans, « accuse le ministère d’avoir saboté sa propre mesure, en n’ayant ni expertisé, ni mis les moyens horaires et humains suffisants, ni écouté les lanceurs d’alerte que nous sommes« . « La question des élèves en difficulté est désormais bien loin » écrit le syndicat qui « prédit que d’ici deux ans, le volontarisme politique aura été digéré par l’ « autonomie de l’établissement »« .
Chez SUD éducation, on comprend que derrière les circonvolutions, « le ministère s’est rendu compte de son incapacité à imposer son projet contre la volonté des personnels. La ministre Nicole Belloubet laisse aux équipes l’autonomie nécessaire pour déroger à la règle de casser les groupes classes, alors dérogeons ! ». Le syndicat appelle à « maintenir le cadre de la classe comme cadre principal des enseignements et à répartir les moyens parmi les différentes disciplines enseignées au collège selon les besoins des élèves pour permettre par exemple des dédoublements« .
La dérogation à la règle, on le sait, devient facilement la règle. Le cas de la semaine à 4 jours et demi dans le premier degré est assez révélateur de ce que signifie la dérogation dans un contexte d’opposition de la communauté éducative à une réforme. Très rapidement, l’exception est devenue la règle dans le cadre de la réforme des rythmes. La très grande majorité des communes a fait une demande de dérogation et fonctionne aujourd’hui sur quatre jours.
La nouvelle ministre de l’Éducation nationale a finalement désavoué le projet de Gabriel Attal. Une victoire à mettre sur le compte de la mobilisation des communautés éducatives – enseignant·es, chef·fes d’établissement, vie scolaire, parents, élus… Et de la réalité du budget de l’Éducation nationale…
Lilia Ben Hamouda