Dans sa série sur l’enseignement professionnel, le Café pédagogique vous propose de partager « une tranche de vie » de ce lycée particulier, attaqué de plein fouet par le gouvernement avec la réforme annoncée Aujourd’hui, Marion Dupré nous présente Serge, professeurs de PSE – Prévention Santé et Environnement. Une discipline peu connue des enseignants évoluant dans la voie générale.
Mardi matin, 7H43. Je viens de dérailler. Je n’étais pas partie très tôt, ma fille avait du mal à se préparer, il fallait la secouer. Elle a pris le bus, moi le vélo. Descente, montée, descente, changement de plateau. J’ai déraillé. Les gants pleins de cambouis, je repars. Je vais être en retard. J’arrive au lycée alors que la sonnerie retentit. Le temps d’attacher le vélo, je passe en salle des profs poser mon casque et mes gants. Christelle est tranquillement installée. Je suis plutôt étonnée.
– Bonjour Marion, tu veux un café ? me propose-t-elle.
– Sarah n’est pas là ?
Sarah est une élève aux besoins particuliers, Christelle est son AESH (Assistante d’Élèves en Situation de Handicap). Notre cours aurait dû débuter depuis quelques minutes. Elles devraient toutes les deux m’attendre devant la salle.
– Mais non Marion ! Tu ne les as pas. Ils passent la journée avec Serge, pour le SST. Ça commence à 8h30.
Le SST, c’est le brevet de Sauveteur Secouriste du Travail. Il n’est obligatoire que pour les élèves de CAP. Serge et Soraya, nos professeurs de PSE (Prévention Santé et Environnement) se battent chaque année pour le faire passer à tous les élèves du lycée. Les démonstrations, manipulations et validations s’étendent sur deux journées. Elles mettent l’élève face à des situations concrètes. Souvent ils en profitent pour parler, ils révèlent des évènements qui les ont marqués, puis arrivent à dépasser leurs mauvaises expériences.
Quand Serge prend les élèves pour leur faire passer ce brevet, ce sont deux journées qui sont banalisées. Aujourd’hui, un bloc de trois heures d’Infographie durant lesquelles j’avais prévu de démarrer la découverte d’un nouveau logiciel. Avec les réformes successives, les heures d’enseignement professionnel sont devenues peau de chagrin. Alors je pourrais râler, demander à ce qu’il trouve d’autres créneaux. Mais d’une part, il m’avait prévenue, il m’en avait parlé et toutes les dates sont affichées. Et d’autre part, ce SST est de l’enseignement professionnel. Quel salarié n’aimerait pas que son collègue sache comment réagir s’il se blessait, faisait un malaise ou se retrouvait dans une situation délicate ?
Je trouve rapidement d’autres choses à faire de mon côté. Quelques mises au point sur les projets, mails aux collègues, aux intervenants et autres tâches administratives dans lesquelles je prends systématiquement du retard. Merci Serge finalement !
Quand il est arrivé au lycée, il y a quelques années, je n’ai pas tout de suite accroché. L’air toujours décontracté. Il était souvent décalé. Faisait ses photocopies au dernier moment. Je lui parlais d’un tel ou d’un autre, il savait rarement de qui il s’agissait. Il faut dire que dans sa discipline, il a plus de deux-cents élèves qu’il ne voit qu’une heure par semaine. Des Léa, des Théo ou des Adem, il en a connus quelques-unes et quelques-uns.
Avec eux, il aborde des sujets très variés. Comme l’indique le nom, dans cette matière, il s’agit surtout de faire de la prévention, aussi bien pour ce qui concerne la santé, le monde professionnel ou l’environnement. Et plus largement, tout ce qui interpelle les adolescents : la sexualité, l’alimentation, les addictions, le sport, comment gérer un budget, qu’est-ce qu’un contrat, comment éviter de détruire la planète, prendre conscience que nos actes ont un impact, comment faire quand on est en galère d’argent, de santé ou au niveau social… Alors que certains collègues restent cantonnés à leur référentiel et leurs progressions, lui, fait face à une réalité plus concrète. Ses cours ne sont jamais les mêmes, il faut toujours les remettre à jour ! C’est finalement nous qui sommes décalés.
Avec Serge, les élèves sont rapidement en confiance, ils abordent tous les sujets, sans tabou, sans moquerie. Chacun le ressent et ce qui se dira ne sortira pas de la salle. La bienveillance n’empêche pas quelques moments délicats. Une élève qui s’épanche sur des pratiques sexuelles indécentes voire humiliantes. Un autre qui prend la mouche quand on lui dit « Ici, t’es pas chez mémé ! », alors qu’elle venait de décéder. Ou encore des suggestions de substances plus que douteuses. Des moments un peu gênants dont finalement personne ne s’offusquera. Nos élèves sont des révélateurs. S’ils sont à l’aise, s’autorisent à être eux-mêmes, à cet âge où les apparences priment, c’est qu’ils sont face à quelqu’un de cohérent.
Du côté des collègues, le crédit a vite suivi. Serge a rejoint la liste diverse des représentants des enseignants. Il s’est investi alternativement dans plusieurs instances de l’établissement. Le conseil d’administration, la commission des menus, le fond social, le conseil de vie lycéenne ou le conseil de discipline. Petit à petit, notre professeur de PSE est devenu un personnage clé. Il fait partie de ces collègues dont la présence rassure. J’ai appris à le connaître, nous discutons souvent du lycée, mais pas seulement. Il arrive aussi que nous nous voyons en dehors de l’établissement.
Serge a une femme et trois enfants. Nous sommes quelques-uns à avoir des enfants d’âges proches, nous avons des préoccupations similaires, nous avons sympathisé. Nous organisons des sorties de temps en temps, l’occasion de mieux se connaître et de partager autre chose qu’une pile de bulletins trimestriels. Un à-côté qui nous conforte tous dans le choix du métier.
Avant, Serge travaillait en milieu hospitalier. Bien que l’enseignement l’ait toujours attiré, il avait raté le CAPES de Physique-Chimie (Concours d’Accès au Corps des Professeurs de l’Enseignement Secondaire) mais réussi le concours d’infirmier. Il a passé plusieurs années aux urgences avant de choisir un statut libéral. Il a rencontré la souffrance, la mort, l’intimité, parfois l’horreur et l’agonie. Il était passionné. Il arrivait toujours à relativiser. Mais avec les semaines de soixante-dix heures et les tâches administratives tout aussi chronophages, il a vite compris qu’il ne passerait pas plus de temps avec le petit dernier que sa femme attendait, qu’avec les deux aînées qu’il n’avait pas vues grandir. Il travaillait un week-end sur deux, à Noël, à Pâques, et deux fois plus pendant l’été. Alors il a tenté le CAPLP (Concours d’Accès au Corps des Professeurs de Lycée Professionnel). En tant qu’infirmier, il avait le choix entre Biotechnologie ou STMS (Sciences et Techniques Médico-Sociales). C’est un domaine qu’il connaissait puisque sa femme l’enseignait et l’enseigne toujours. Il a choisi Biotechnologie. Il a réussi.
Chez nous, Serge enseigne la PSE, mais il pourrait, dans d’autres établissements, intervenir en Biologie, en Microbiologie, en Sciences appliquées à l’alimentation, dans les techniques de nettoyage, la couture, la cuisine, etc.
Beaucoup d’enseignants en lycée professionnel sont polyvalents. Ils se spécialisent en fonction du poste et de l’établissement qui les accueille, poursuivent ainsi toute leur carrière ou changent, volontaires ou contraints, pour un autre lycée, une autre spécialité.
Serge est arrivé dans notre établissement par choix géographique plus que stratégique. Il habite à la périphérie de la ville avec sa femme et ses enfants et a désormais un peu plus de temps à leur consacrer. Il a choisi de rester parce que c’est un lycée à taille humaine. En classe, il a de petits effectifs. Il partage sa matière avec une collègue ouverte et bienveillante. Avec les années, Serge continue à s’investir, à défendre notre lycée, notre vision de l’enseignement. Il est moteur de projets qui permettent aux élèves de se sentir bien, à l’internat comme au quotidien. Il est toujours au conseil d’administration et autres commissions.
Aujourd’hui, il forme mes élèves et m’offre quelques heures, c’est avec plaisir que je lui consacre ces quelques lignes.
Marion Dupré