Pour Yannick Trigance, la polémique Oudéa-castéra aura eu le mérite de mettre en débat la question de la mixité sociale au sein des établissements privés sous contrat. « L’heure n’est donc plus aux tergiversations et le volontarisme politique doit consister en l’affirmation d’une volonté sans faille et surtout de décisions qui, si difficiles soient-elles à admettre pour certains, permettront à des générations d’élèves de grandir ensemble sur le même territoire, dans une même institution, l’École, en se côtoyant au quotidien » écrit-il ans cette tribune.
La polémique déclenchée par les propos de la nouvelle ministre de l’éducation nationale aura eu le mérite – si l’on peut dire… – de placer sous les feux de l’actualité un sujet longtemps mis sous l’éteignoir mais pourtant essentiel quant à l’avenir de notre école publique et au type de société que nous voulons pour aujourd’hui et pour demain : celui de la mixité sociale et scolaire.
Le constat est dorénavant connu de toutes et tous, débattu sur la place publique, renvoyant l’image d’un système éducatif français où le « vivre-ensemble » est malmené, où l’individualisme se répand comme une traînée de poudre, où l’entre soi se banalise, prospère et où chacun finit par vivre en autarcie dans son quartier, avec sa propre école et ses propres activités.
Et nul doute que si la France apparaît au sein de l’OCDE comme le pays où l’origine sociale pèse le plus lourdement sur le destin scolaire, le séparatisme scolaire en est pour une grande part responsable, avec des effets non seulement scolaires mais aussi « civiques » désastreux sur les élèves comme sur les établissements qui dans certains quartiers accueillent majoritairement des élèves en difficultés.
Ce dont nous avons besoin aujourd’hui, une fois le constat établi et connu de tous, c’est d’un volontarisme politique qui s’empare de ce sujet pour l’inscrire dans un véritable projet de société dont le postulat consiste à ce que chaque enfant accède aux mêmes conditions de scolarisation, quelles que soient ses origines ou son lieu d’habitation, et au sein d’un brassage social porteur de nos valeurs républicaines.
C’est une problématique particulièrement sensible, complexe mais absolument cruciale dans un contexte où une logique de choix et un « consumérisme scolaire » prévalent chaque jour un peu plus, affaiblissant dangereusement notre système d’enseignement public déprécié et dévalorisé sous l’effet de la politique ultra-libérale mise en œuvre depuis 2017.
L’heure n’est donc plus aux tergiversations et le volontarisme politique doit consister en l’affirmation d’une volonté sans faille et surtout de décisions qui, si difficiles soient-elles à admettre pour certains, permettront à des générations d’élèves de grandir ensemble sur le même territoire, dans une même institution, l’École, en se côtoyant au quotidien.
Les leviers politiques sont connus pour rendre cette mixité sociale et scolaire effective partout sur nos territoires. C’est à l’État de prendre ses responsabilités sous au moins deux aspects parmi d’autres :
-fermeté face à l’enseignement privé : la politique de l’autruche doit cesser. L’Etat ne peut rester passif face à un enseignement privé financé à hauteur de 73 % sur les deniers publics sans contrainte aucune, triant ses élèves pour mieux aggraver un séparatisme scolaire mortifère. Il y a urgence à instaurer par la loi un système de modulation des moyens des établissements en fonction des caractéristiques sociales des élèves et par la même mettre fin à la stratégie de l’enseignement privé parfaitement résumée par la désormais célèbre formule du Comité National d’Action Laïque au sujet de l’enseignement privé : « l’argent tout de suite, les objectifs plus tard, la contrainte jamais ! »
-engagement auprès des collectivités pour passer de « l’expérimentation » à la « pérennisation » : l’État doit changer de braquet en passant de « dispositifs », « d’expérimentations » trop souvent dépendants des volontarismes locaux à une obligation républicaine en faveur de la mixité sur tous les territoires. Or à ce jour le niveau local est bien plus volontariste que le niveau national. L’Etat doit s’engager résolument dans la mise en place d’un cadre stabilisé, pérenne et structurant afin de répondre aux besoins locaux de concertation, de partenariats et de financements.
Malgré la timide tentative – rapidement évacuée – du ministre Pap N’DIAYE pour tenter d’infléchir une situation de séparatisme qui gangrène notre système d’enseignement, les gouvernements successifs depuis 2017 ont opté pour le renoncement à toute politique en faveur de la mixité sociale et scolaire, laissant la compétition, la sélection et l’entre soi prévaloir sur une école de la coopération, du commun et de la fraternité.
Les incantations présidentielles quant à l’urgence d’un « réarmement civique » trouveraient assurément un début de crédibilité si la mixité sociale et scolaire était enfin portée par un volontarisme politique affirmé et assumé.
On en est loin.
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Ile-de-France