Publié le 22 janvier 2024, le rapport du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes sur l’état des lieux du sexisme en France est sans appel : « le sexisme s’ancre, voire progresse » ; il y a urgence à agir et à s’attaquer aux racines du mal. Violences sexistes et sexuelles de plus en plus graves, et à des taux toujours plus alarmants, réflexes masculinistes et comportements machistes en constante progression, en particulier chez les hommes de 25 à 34 ans, régression dans les représentations du rôle des femmes … : autant de constats désormais qualifiés de gravissimes. Un rapport électrochoc qui fait siens les propos de la tribune d’Isabelle Carré publiés dans le magazine Elle du 27 décembre 2023 : « Le sexisme, on sait très bien comment ça commence et il est grand temps que ça se termine. ».
Regarder la réalité en face : le sexisme s’enracine
Premier constat du HCE : l’adhésion aux stéréotypes de genre reste massive et continue de progresser, qu’il s’agisse des rôles ou des comportements sociaux à adopter. Les hommes sont ainsi encore 70 % à penser « qu’un homme doit prendre soin de sa famille financièrement pour être respecté », tandis que les femmes estiment majoritairement être « naturellement plus douces que les hommes » et devoir « pour correspondre à ce que l’on attend d’elles » se montrer sérieuses et discrètes.
Second constat lui aussi inquiétant : alors que les femmes sont désormais 9 sur 10 à déclarer avoir déjà « modifié leur comportement pour ne pas subir de sexisme », les hommes sont de moins en moins nombreux à condamner les situations sexistes, en particulier chez les 15-34 ans. Très majoritairement ils ne trouvent pas anormal qu’ « un homme ait un salaire supérieur à celui de sa collègue à poste égal » et sont encore près de 30% à penser « que les hommes sont plus performants dans les carrières scientifiques » et « davantage faits pour être patrons ».
Dernier constat, plus alarmant encore : l’augmentation des taux de violences sexistes et sexuelles. Si l’on croyait la notion de consentement en voie d’acquisition, on en est encore loin. Même s’il est vrai que la libération de la parole et la dénonciation des violences sexuelles progressent, près de 50% des femmes de 25 à 49 ans déclarent « avoir vécu au moins une situation de non-consentement » dans l’année, tandis que « seulement 23% des hommes reconnaissent en avoir été l‘auteur ». La culture sexiste véhiculée par l’industrie pornographique contribue dangereusement à renforcer la banalisation de cette violence, en en faisant une norme acceptable et acceptée : « alors que 90 % des contenus pornographiques présentent des actes non simulés de violences physiques, sexuelles ou verbales envers les femmes, une partie importante de la population ne les considère pas comme problématiques, voire s’en inspire ». Les jeunes hommes de 25 à 34 ans, en particulier, sont 64 %, à déclarer « que la pornographie donne envie de reproduire les gestes sexuels observés », et pensent d’ailleurs, pour beaucoup d’entre eux, que les filles s’attendent à cette violence et l’apprécient.
Les trois « incubateurs » du sexisme ou comment peut-on en être encore là ?
Le HCE insiste tout d’abord sur le fait que l’éducation au sexisme commence dès l’enfance, à la maison, bien souvent sans qu’on en ait conscience. Ainsi alors même que les parent·es sont convaincu·es du contraire, « 62 % des filles de 15 à 24 ans estiment ne pas avoir été éduquées de la même manière que leurs frères ». Dès l’âge de 2 ans les stéréotypes de genre se mettent en place, à travers notamment le choix des vêtements et des jouets : 97% des garçons par exemple n’ont jamais reçu de poupée en cadeau, et 96% des filles de voiture. Quant à la répartition des tâches ménagères, elle reste largement inégalitaire. De manière insidieuse, une spécialisation et une hiérarchisation des genres se diffusent ainsi, ouvrant ou fermant déjà des portes vers des futurs possibles.
Qu’en est-il de l’Ecole ? Elle dont une des missions fondamentales est d’œuvrer pour l’égalité entre filles et garçons, comment est-elle perçue ? Force est de constater qu’on est hélas loin du compte puisque « plus d’une personne sur deux considère que femmes et hommes n’y connaissent pas le même traitement », et qu’elle est même perçue comme de plus en plus inégalitaire. Le dernier rapport du CNESCO sur les inégalités à l’Ecole ne dit malheureusement pas autre chose « la France reste un des pays les plus socialement inégalitaires en matière d’éducation, ce qui s’applique aussi en termes de genre ».
Il y a donc urgence à prendre conscience que « si le sexisme s’ancre dès la petite enfance, c’est à l’école qu’il s’installe véritablement ». Les chercheur·ses en éducation ont ainsi mis en évidence les nombreux biais sexistes à l’œuvre à l’Ecole, par exemple le fait qu’une fille est interrogée « 30 % de temps en moins qu’un garçon », ce qui a une « implication directe sur la confiance en soi et l’ambition scolaire », qu’elle est moins souvent déléguée de classe, plus souvent reprise sur ses tenues vestimentaires, complètement reléguée à la périphérie de la cour, où le foot occupe 90% de l’espace disponible…
Si l’Ecole est le lieu d’une certaine forme d’effacement des filles, elle est aussi le lieu où les trois quarts des élèves ayant reçu une punition ou une sanction disciplinaire sont des garçons, « chiffre qui grimpe à 96,7 % pour les cas de « violence sur autrui » au collège ». S’y construit donc, peu à peu, une culture de la virilité basée sur la domination et la violence dont on connait les conséquences pour les hommes que deviendront ces garçons, pour les femmes qu’ils rencontreront, et pour la société dans son ensemble : son coût s’élevant selon l’historienne Lucile Peytavi « à 100 milliards d’euros par an, soit plus que le déficit annuel de la France ».
Comment dès lors s’étonner de la prégnance des mécanismes d’orientation genrée et inégalitaire mis en œuvre dans ce système scolaire où, malgré leur plus grande réussite, les filles sont sous représentées dans « les filières prestigieuses et porteuses d’emplois en particulier les sciences dures et le numérique » ? Comment s’étonner que 74 % des femmes déclarent n’avoir jamais envisagé de carrière dans le domaine scientifique ou technique, et 67% des garçons n’avoir jamais envisagé de carrière dans le domaine dans le domaine du soin et du care ? On récolte ce qu’on a semé…
Le rapport du HCE se termine par l’évocation des réseaux sociaux, dernier incubateur du sexisme après la famille et l’école. Parmi les différents éléments de réflexion proposés, on en retiendra plus particulièrement deux. Un pourcentage édifiant tout d’abord : 68% des 100 contenus les plus regardés sur YouTube, Instagram et Tiktok diffusent, sous couvert souvent d’humour, stéréotypes, paroles et propos sexistes ; chiffre qui s’élève à 100% lorsqu’on observe la répartition des rôles, les dialogues, les spécialisations physiques, les hiérarchies de genre véhiculé.es dans les contenus destinés aux plus jeunes, c’est-à-dire aux moins armé.es pour les mettre à distance. Et, en second lieu, le succès actuel inquiétant des hashtag #tradwife et #stayathomegirlfriend qui « marque, au moins dans les mentalités, une réassignation des femmes à la sphère strictement domestique », et fait particulièrement écho chez les femmes de 25 à 34 ans qui, à « 54 %, pensent qu’on attend des femmes qu’elles aient des enfants (contre 47 % des femmes en moyenne) et, à 58 %, qu’une femme doit faire passer sa famille avant sa carrière professionnelle (contre 46 % en moyenne) ».
Quelles recommandations du HCE pour s’attaquer aux racines du sexisme ?
Le rapport se clôt sur plusieurs recomandations sous-tendues par la conviction que « s’attaquer aux racines du sexisme implique d’agir de la petite enfance jusqu’à l’âge adulte, dans tous les aspects de la vie privée comme publique surtout nécessite une prise de conscience collective de la part de celles et ceux qui, dans la société, diffusent parfois contre leur gré les stéréotypes de genre et participent activement à la construction sociale du sexisme. Cela concerne particulièrement les parents, ainsi que le système scolaire et les plateformes numériques. »
En matière d’éducation scolaire, le HCE rappelle notamment l’urgence à mettre en place de manière réellement effective la loi sur l’éducation à la vie affective et à la sexualité dans un délai de trois ans, à « assurer une formation initiale et continue obligatoire sur l’égalité filles‑garçons pour tous les personnel·les de l’Education nationale et de la petite enfance », et à s’emparer du projet de labellisation des manuels à la rentrée 2024 pour bâtir une charte d’engagement contre les stéréotypes genrés et l’invisibilisation es femmes. Il propose aussi en termes d’orientation d’assurer une plus grande parité et mixité dans les filières de l’informatique et du numérique par un système de bonification dans Parcoursup pour les filles.
Le rapport invite enfin à actionner davantage les outils juridiques qui font du sexisme un délit, trop souvent encore minimisé dans les faits ; à s’inspirer des réformes espagnoles pour diffuser une « culture de la crédibilité des victimes » ; à faire évoluer la loi sur le viol afin que les femmes n’hésitent plus à porter plainte, tant le caractère tragiquement dérisoire des condamnations les en dissuade car, rappelons-le, sur 90 000 viols déclarés chaque année moins de 1% des auteurs sont condamnés …
Et maintenant, que faisons-nous ?
A comparer le rapport du HCE de janvier 2023 à celui de janvier 2024, on a malheureusement le sentiment de lire un copier / coller, tant la situation semble s’être peu améliorée … Des 10 recommandations du rapport de 2023, combien ont été mises en place ? « Instaurer une obligation de résultats pour l’application de la loi sur l’éducation à la vie sexualité et à la vie affective » ? Le rapport de janvier 2024 ne peut qu’appeler à nouveau de ses vœux sa mise en place, alors que trop de jeunes ont recours à des contenus pornographiques pour trouver des réponses à leurs questions. « Rendre obligatoires les formations contre le sexisme par leurs employeurs » ? On sait ce qu’il en est de la mise à mal de la formation des enseignant.es depuis la rentrée de septembre 2023. « Interdire la publicité pour les jouets genrés sur le modèle espagnol » ? On en est loin… Soyons honnêtes, même si on en a peu parlé, « La journée nationale de lutte contre le sexisme » a bien été institutionnalisée le 25 janvier, et on ne peut que s’en féliciter. Mais, on l’a compris, c’est une action publique autrement plus forte que nécessite la situation, qui ne cesse de se dégrader ; et c’est la société toute entière que le rapport du HCE appelle à la mobilisation, de toute urgence. L’Ecole a conscience de ses failles et de ses manques ; mais elle sait qu’elle a un rôle essentiel à jouer dans ce combat. Elle s’y attelle chaque jour, déployant un réseau actif de référent.es, multipliant les actions, mobilisant les énergies… Elle peut mieux, indubitablement, mais pour progresser elle a aussi besoin de moyens, notamment en matière de formation, et, comme tout·e élève, d’accompagnement et de soutien…
Claire Berest
Rapport annuel 2024 sur l’état des lieux du sexisme en France du HCE
Pour une lecture en ligne du Rapport de 2024
Comment l’école amplifie-t-elle les inégalités sociales et migratoires – Rapport du CNESCO
Pornocriminalité : mettons fin à l’impunité de l’industrie de la pornographie – Rapport du HCE
Rapport annuel 2023 sur l’état des lieux du sexisme en France du HCE
Spot : « Faisons du sexisme de l’histoire ancienne » !