Docs sur l’Éduc est un podcast en construction sur la pratique des métiers de l’éducation dans les quartiers populaires, sur l’histoire et les perspectives de l’éducation prioritaire. Réalisé par Alain Barlatier documentariste et ancien enseignant à Marseille, le podcast présente un regard croisé de chercheur·es, de militant·es syndicaux·ales, de professeur·es et personnels exerçant principalement en éducation prioritaire à Marseille et dans sa région. Chaque semaine l’auteur présente un épisode de cette série que vous pouvez écouter directement à partir de notre site. Aujourd’hui, il donne la parole à Ariane Richard-Bossez, enseignante-chercheuse en sociologie de l’éducation.
Inégalités sociales et inégalités scolaires rompre ce lien délétère
C’est Émile Durkheim (1958-1917) qui a conduit les premiers travaux dans le domaine de la sociologie appliquée à l’éducation. Il s’agissait à cette époque-là, de considérer que l’école était un facteur d’intégration sociale, elle contribuait à « faire société ». Depuis les sujets de recherche ont bien évolué, notamment dans la période contemporaine (années 1950-1960) sous l’impulsion de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (Les Héritiers, les étudiants et la culture, 1964) qui avaient mis en évidence les liens entre inégalités sociales et scolaires constitutives du milieu étudiant.
Depuis il est un fait acquis : le système scolaire n’est pas neutre, il reproduit en son sein les inégalités sociales et est spontanément le reflet d’une société qui ne réserve pas le même sort à chacun de ses membres.
Le problème politique est donc de savoir si les propositions de l’État vont dans le sens de la réduction de ces inégalités ou alors s’adaptent à cette situation et s’en accommodent, voire pire l’accompagnent.
Les structures éducatives évoluent, les inégalités persistent et se transforment
La France est le pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques ) où les origines sociales marquent le plus la destinée scolaire des jeunes scolarisé.es. Et nécessairement la sociologie a continué à se pencher sur cet état de fait, en s’intéressant de plus près à ce qui se passe au sein même du système pour expliquer les raisons de l’incapacité de l’école française à résorber ces inégalités. Il y a certes de plus en plus d’élèves qui obtiennent le baccalauréat mais leur répartition est la conséquence de forts marqueurs sociaux : le bac Pro pour les jeunes issu.es de familles populaires et qui au mieux poursuivront leurs études en BTS (1 % des titulaires d’un bac Pro obtient un Master), le baccalauréat général (si possible avec un jeu d’options scientifiques) pour les élèves issus de milieux sociaux favorisés qui effectueront leur poursuite d’études dans des filières considérées comme filières d’excellence.
La dernière enquête PISA 2022 est là pour le démontrer
Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est une évaluation créée par l’OCDE, qui vise à tester les compétences des élèves de 15 ans (quelle que soit la classe fréquentée) en lecture, sciences et mathématiques. Cette évaluation se déroule tous les 3 ans, avec une interruption en 2021 en raison de la pandémie de Covid-19.
Selon les résultats rendus publics au mois de décembre 2023, la moyenne de la France (8000 élèves testés) en culture mathématique (le thème majeur de cette édition 2022), restée stable entre 2006 et 2018, a baissé de 21 points et est la plus basse jamais mesurée depuis 2000. Le score des adolescents en compréhension de l’écrit a lui, perdu 19 points depuis 2018, tandis qu’il est resté stable en sciences, troisième domaine de PISA. Il est à noter que ce décrochage s’inscrit dans une dynamique internationale (baisse de 15 points en mathématiques sur l’ensemble des pays de l’OCDE).
Par contre les résultats mettent en évidence une grande disparité chez les élèves testés qu’ils soient en seconde générale, en seconde pro, ou redoublant la classe de 3ème.
On retrouve sur cette infographie, les disparités scolaires et sociales dont nous parlions précédemment.
À partir des années 2000, les travaux de chercheurs comme Jean-Yves Rochex, Daniel Frandji montrent l’évolution des différentes conceptions de l’Éducation Prioritaire. Il ne s’agit plus alors comme vingt ans en arrière, de travailler sur un groupe social pour lui permettre de progresser et de « raccrocher » le train de l’éducation en élevant le niveau de la masse des élèves mais de repérer dans un public scolaire en difficulté d’apprentissage, les meilleurs éléments, ceux qui auraient un potentiel des plus élevés et de leur proposer un parcours dit de réussite. Cette logique repose sur l’idée que l’élément déterminant est la volonté des élèves, en faisant l’impasse sur les causes qui conduisent ou ne conduisent pas à cette volonté (disparité filles/garçons, élèves bien intégrés ou pas dans le système, environnement culturel…).
Le service public ou du moins ceux qui le dirigent considérait qu’après avoir rempli ce contrat, l’essentiel du travail était fait. Ce qui revient à abandonner tous les autres à leur triste sort. « Le choc des savoirs » cher à l’actuel Premier Ministre s’inscrit en droite ligne de cette conception étriquée de l’éducation prioritaire (groupes de niveau, orientation précoce, transformation du Brevet en outil d’orientation et de sélection). Nous reviendrons dans les épisodes suivants sur ces sujets.
On touche du doigt ici la différence entre « égalité des chances » et « démocratisation de l’enseignement ».
Dans un prochain entretien avec Ariane R-B, nous développerons les questions de mixité sociale, le rôle de l’enseignement privé dans cette dérégulation, la mise en concurrence des établissements et la façon caricaturale, dont Marseille, ville de tous les extrêmes, porte et entretient ces inégalités.
L’évolution libérale du système éducatif nous conduit dans une impasse, celle de la reproduction jusqu’à l’outrance des inégalités. Il est vraiment urgent d’inverser les critères politiques pour faire de notre école laïque et républicaine, un véritable creuset constitutif d’une société plus égalitaire, permettant la réussite de toutes et tous.
Alain Barlatier
Pour écouter le podcast: « Ariane Richard-Bossez, sociologue, enseignante-chercheuse », c’est par ici
Quelques chiffres
Nombre de collèges REP + sur Marseille et Bouches-du-Rhône
Marseille : 23 collèges (sur 56 collèges publics) plus 6 collèges REP soit la majorité des collèges publics de la ville
Bouches du Rhône : 27 collèges soit 25000 collégiens sur 101 000 au total dans le public
Vaucluse : 6
Académie : 33 (sur 211 collèges publics)
Académie : Nombre de Collégiens en Rep + : 14 % , en Rep : 14 %,
Les cités éducatives
Les cités éducatives se veulent un lieu de mise en commun des politiques menées par l’Éducation nationale, l’État, les acteurs locaux (Ville, associations) éventuellement la Métropole (c’est le cas dans un certain nombre de grandes villes dont Marseille). Elles sont censées fédérer une communauté d’intervenants autour de projets définis pour une durée déterminée. Elles interviennent pendant et hors temps scolaire (notamment pendant les vacances). Le gouvernement s’est engagé à les financer jusqu’en 2027.
Elles ne correspondent pas forcément à la carte de l’éducation prioritaire, certains établissements REP ou REP+ peuvent en être ou pas, ce qui crée au sein de l’Éducation Nationale des inégalités de traitement. Elles sont au nombre de 208 et couvrent 385 QPV (Quartiers prioritaires politique de la ville) sur les 960 existant en France métropolitaine.
La carte de l’éducation prioritaire doit être revue pour la rentrée 2025 dans l’objectif d’aligner les labels (EP, QPV, Cités éducatives) avec le risque réel de voir l’Éducation Prioritaire échapper au ministère de l’Éducation Nationale au profit d’une gestion décentralisée et tripartite .
À Marseille, elles sont au nombre de cinq et sont administrées de façon quadripartite par l’État (politique de la ville), la Municipalité, la Métropole et … l’Éducation nationale.
Le gouvernement affiche l’objectif de « généraliser » les cités éducatives dans les QPV d’ici 2027.
La question du fonctionnement des cités éducatives se pose d’ores et déjà : hormis le fait que celles-ci fonctionnent sur la base d’appel à projets qui peuvent ou non être retenus, ces actions ne sont pas, par définition, des actions pérennes. Elles sont labellisées pour trois ans. Une chose est certaine dans le contexte actuel : elles ne bénéficieront pas du même niveau de financement en se généralisant et fragilisent l’engagement à long terme des personnels.
Les cinq cités éducatives à Marseille
Territoire Marseille Centre-ville : 1er, 2ème et 3ème arrondissements
17 écoles (16 REP+ et 1 accompagnée), deux collèges de deux réseaux REP+ différents (Vieux-Port et Edgar Quinet.
La part des moins de 25 ans est de 35,7%, le taux de pauvreté du QPV représente 52% de la population
Territoires Les docks : 2ème, 3ème et 15ème arrondissements
19 écoles REP+, trois collèges REP+ (Izzo – Versailles – Rosa Parks), deux lycées Le Chatelier (LP) et Victor Hugo (LGT) ces deux lycées ont été classés en ZEP avant d’être sortis du dispositif.
La part des moins de 25 ans est de 29,8%, le taux de pauvreté du QPV se situe à 50% de la population
Territoire Marseille Malpassé Corot : 13ème arrondissement
10 écoles REP+, 2 collèges REP+ (Edmond Rostand, Auguste Renoir ). La part des moins de de 25 ans est de 44,5%, le taux de pauvreté du QPV s’élève à 58,7% de la population.
Territoire Marseille Nord Littoral : 15 ème et 16ème arrondissements
12 écoles REP+, 4 écoles non REP, 2 collèges REP+ (Henri Barnier, Elsa Triolet)
Les quartiers concernés sont La Castellane, La Bricarde, Plan D’Aou, Saint Antoine
La part des moins de 25 ans est de 45%, le taux de pauvreté du QPV est de 56,3% de la population
Territoire Bon Secours, les Rosiers, Marine Bleue, Grand Saint-Barthélémy : 14ème arrondissement
31 écoles REP+, 5 collèges REP+ (Henri Wallon – Marie Laurencin – Clair Soleil – Manet – Pythéas)
La part des moins de 25 ans est de 43,9%, le taux de pauvreté du QPV est de 56% de la population