Après avoir enseigné durant près de 10 ans en Seine-Saint-Denis en tant qu’enseignant d’EPS, Guillaume Dietsch enseigne actuellement en STAPS, à l’Université Paris-Est Créteil. Il forme principalement les étudiants et les futurs professeurs d’EPS. Jury au concours de l’agrégation externe d’EPS, il enseigne notamment l’histoire de l’EPS. Il est le coauteur du livre « Une histoire politique de l’EPS. Du XIXe siècle à nos jours » publié aux Éditions De Boeck Supérieur en 2022. Guillaume Dietsch s’entretient avec le Café pédagogique sur l’enseignement et la place de l’EPS au regard de l’histoire.
Les professeurs d’EPS ont une place à part. Pouvez-vous expliquer leur particularité, en termes de formation, de relation à l’élève ?
Le métier d’enseignant d’EPS recouvre une multiplicité de facettes. Le modèle de l’enseignant d’EPS a évolué selon les époques et revêt un profil et des qualifications différentes. Le professeur d’EPS peut être, aujourd’hui, considéré comme un enseignant à part entière, où ses qualités pédagogiques et éducatives sont souvent reconnues. Cette spécificité est à envisager au regard de la trajectoire identitaire de la discipline : entre logique de différenciation du « technicien sportif » et logique de conformité de « l’enseignant concepteur ».
L’expertise d’un enseignant d’éducation physique s’observe dans sa capacité à proposer une culture commune équilibrée, diversifiée et respectueuse de toutes et tous, intégrant les attentes, les motivations et les représentations de chacune et de chacun.
Cette mission de service public requiert un haut niveau de qualification. Les enseignants d’EPS doivent être capables de concevoir et d’adapter leur enseignement en fonction des besoins prioritaires des élèves. À l’école, ils s’adressent à toutes et à tous, notamment à des élèves non volontaires. La formation ambitieuse et longue des professeurs d’EPS (à BAC + 5, niveau Master et après un concours très sélectif, le CAPEPS) les y prépare d’un point de vue didactique, pédagogique, scientifique et sportif. Leur objectif est aujourd’hui très clair : proposer une « EPS inclusive » permettant la réussite de tous les élèves.
La place à part du professeur d’EPS ne tient-elle pas aussi à l’histoire de la discipline, pourriez-vous apporter quelques éclairages sur son histoire ?
L’École républicaine donne à l’Éducation physique et au corps une place fondamentale avec la loi George (1880), qui rend la gymnastique obligatoire au sein des établissements scolaires. Le système éducatif français donne alors à l’EPS un rôle essentiel, puisque cette discipline scolaire est aujourd’hui obligatoire pour l’ensemble d’une génération d’élèves. C’est à travers elle que les corps des jeunes vont être façonnés, éduqués, à partir d’une culture corporelle jugée légitime.
Avec la crise sanitaire du Covid-19 et la problématique de sédentarité des jeunes, on assiste à une nouvelle forme de « surveillance des corps ». Le corps doit être « redressé » afin de répondre aux normes et aux valeurs socialement édictées. Les enfants doivent bouger pour être en meilleure santé et mieux apprendre. La mise en mouvement des corps est ainsi envisagée comme une propédeutique aux disciplines dites « intellectuelles ». Il s’agit de « bouger à l’école » pour favoriser la concentration et les apprentissages.
Une question de lexique, de sémantique et d’histoire de la discipline : pourquoi le passage de la gymnastique (XIXe) à l’EPS ?
L’histoire de cette discipline révèle les difficultés pour une profession à se départir de ses dénominations anciennes de « prof de gym » ou de « prof de sport », reflet très souvent d’idées reçues de la part de certains. Depuis les années 1960, le sport a toujours été une référence culturelle importante pour la discipline d’enseignement EPS. Après cette sportivisation de la discipline, les années 1980 marquent une prise de distance entre l’EPS et le sport performatif. En effet, comme le rappellent les programmes à cette époque, « l’EPS ne se confond pas avec les activités physiques qu’elle propose et organise ». Aujourd’hui, l’ouverture de l’EPS à des pratiques artistiques ou d’entretien, éloignée de la modalité compétitive, témoigne d’une volonté pour la discipline de s’inscrire dans les évolutions sociales actuelles. Entre finalité d’éducation et finalité de compétition, entre objectif de santé et objectif de performance, la discipline se positionne sur différents objectifs éducatifs.
Distinguer l’EPS du « sport » tel que l’entend le grand public, ce n’est pas seulement référer à l’histoire ou à des différends sémantiques. C’est distinguer l’enseignement dû à tout élève de la République, de ce qui, hors l’école, dépend de l’environnement culturel et familial, du temps et des moyens financiers dont les familles disposent pour pratiquer du « sport » et y impliquer leurs enfants. L’EPS répond à la promesse républicaine de l’égalité des chances. Rappelons que de nombreux enfants n’ont d’autre expérience sportive qu’au travers de l’EPS à l’école et du sport scolaire (USEP, UNSS).
Quelles sont les finalités de l’enseignement de l’EPS ?
Dans le contexte post-crise sanitaire que l’on connait, tout se passe comme si l’histoire de l’éducation physique se répétait. Durant son histoire, l’EPS a oscillé entre plusieurs finalités : militaristes, hygiénistes, sportives, citoyennes. Les discours politiques actuels se fondent à nouveau sur la santé et l’hygiène de la jeunesse française.
Cette dimension hygiéniste ne peut suffire au développement global et à long terme des enfants et des adolescents. Les études ont montré que les pratiques hygiénistes sont peu favorables à un engagement durable dans une vie physique active, notamment pour des élèves non volontaires éloignés de la culture sportive. En effet, l’implication des adolescents dans une activité sportive ne va pas forcément de soi en milieu scolaire. Ils doivent d’abord percevoir le plaisir associé à ces pratiques afin d’être en mesure de s’engager durablement, au-delà des cours puis dans leur vie d’adulte.
En s’adressant à l’ensemble d’une génération de jeunes, l’EPS a un rôle à jouer dans la formation du citoyen de demain. Cette discipline par sa singularité – le corps comme objet d’enseignement – peut aussi agir et répondre au défi de l’urgence écologique. En EPS, les expériences vécues, la confrontation des élèves à différents environnements physiques et sportifs (à travers les activités physiques de pleine nature notamment, mais aussi les activités artistiques) permettent de renforcer l’éducation à l’environnement par le corps et de former de véritables éco-citoyens.
Que pensez-vous des propositions actuelles sur l’activité physique quotidienne ?
Le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse cherche à généraliser différents dispositifs pour promouvoir la santé et encourager l’activité physique des enfants et des adolescents : trente minutes d’activité physique quotidienne en primaire, ou encore deux heures d’activités physiques et sportives supplémentaires au collège pour des élèves volontaires, en complément des heures d’EPS obligatoires.
La sédentarité est ainsi envisagée comme un problème de santé publique dont la réponse logique serait de mettre les corps en mouvement. Cette orientation semble révéler un glissement vers une EPS exclusivement sanitaire. Cela fait craindre une confusion déjà bien présente entre « EPS » et « Activité physique », réduisant ces cours à un moment de défoulement pour l’élève.
Le flou organisationnel autour de la mise en place des « 30 minutes d’activité physique quotidienne » pose la question des inégalités territoriales et des moyens réellement engagés. Il ne suffit pas d’inciter à « bouger » ou d’énoncer les vertus du « sport » comme un leitmotiv. Encore faut-il que les jeunes bénéficient d’un encadrement et d’un accompagnement suffisant.
On peut relever un « mille-feuille » de dispositifs proposés à l’école, regretter également une externalisation de l’enseignement des APS plutôt qu’un renforcement de l’EPS, avec des moyens humains et en formation à la hauteur de l’ambition politique. Les dispositifs scolaires existants (associations sportives scolaires, sections sportives scolaires ou d’excellence, etc.) permettent de tisser des partenariats et d’offrir des temps de pratiques physiques et sportives supplémentaires. En effet, l’AS est un espace propice à la complémentarité entre acteurs du monde scolaire et acteurs du monde associatif et fédéral. Le sport scolaire peut ainsi être considéré comme le prolongement de l’EPS. D’ailleurs, statutairement, les enseignants d’EPS disposent d’un forfait de 3h inclus dans leur service pour faire vivre ces AS.
L’UNSS permet des passerelles entre l’école et les fédérations, et possède des missions spécifiques qui fondent sa particularité et sa richesse. Ce prolongement de l’EPS contribue à promouvoir la pratique régulière d’activités physiques, sportives et artistiques dès le plus jeune âge, quel que soit le niveau de pratique. Il rassemble des jeunes de milieux sociaux différents autour des valeurs de l’école de la République. Renforcer l’EPS à l’école, c’est garantir une égalité d’enseignement à l’échelle du territoire national.
L’utilisation inadaptée du « sport à l’école », de même que la confusion apportée par les « 30 minutes d’activité physique quotidienne », tend à déconsidérer les apprentissages fondamentaux visés en EPS, et plus largement la place du corps et du mouvement à l’école.
Propos recueillis par Djéhanne Gani