Il y a une semaine se tenait le salon Educatech Expo, haut lieu du numérique éducatif. L’occasion pour le spécialiste Bruno Devauchelle de revenir sur la place des ressources numériques à l’École.
Depuis de nombreuses années les pouvoirs publics qui soutiennent le numérique éducatif (locaux ou nationaux) proposent des ressources pour les enseignants. Alors qu’un compte ressource a été annoncé en janvier 2023 mais semble toujours en « investigation » ou en expérimentation, il est bon de s’interroger sur ce qui s’est passé auparavant dans les différentes initiatives concernant ces fameuses ressources utilisées par les enseignants et essayer d’en tirer les enseignements pour l’avenir. Rappelons d’abord ce que signifie le terme ressource lorsqu’il s’agit de l’enseignement. On trouve à cette adresse une proposition de définition (datée de 2010) proposée par des participants au Master AIGEME (blog personnel malheureusement rempli de publicités…) qui oublie cependant d’évoquer les « ressources humaines », pourtant indispensables au fonctionnement des autres ressources. En effet au sein d’un établissement scolaire, d’une école, ERUN, RUPN, enseignants référents, conseiller pédagogique TICE, IEN TICE et autres personnels des DAN et autres DRANE(S), le rôle des personnes identifiées comme personnes ressources est essentiel dans ce domaine. N’oublions pas, bien sûr, le rôle de l’opérateur historique CANOPE (surtout CNDP) qui a justement un rôle de « ressource » pour l’institution. Désormais consacré à la formation au et par le numérique des enseignants tout au long de la vie, cet opérateur participe aussi à la mise à disposition de ressources externes (edtech) dans le cadre de l’opération territoires numériques éducatifs (TNE) à hauteur de 25 millions d’euros sur trois années.
Depuis 1985, les mêmes propositions
Après la valise informatique de 1986 dans le cadre du plan Informatique Pour Tous (IPT), l’institution a essayé plusieurs manières d’encourager à l’utilisation de ressources par les enseignants, encourageant aussi les productions enseignantes. Toutefois, le marché des ressources numériques éducatives ne semble toujours pas suffisamment abouti pour faire vivre des structures pérennes au fil des années. Qui se souvient de ces éditeurs des années 1980 – 1995 aujourd’hui disparus ou fondus dans un marché plus large. Qui se souviendra de ce même type de structures dont certaines, pourtant fort en vue dans les salons et évènements récents, sont désormais en redressement judiciaire. Le marché des ressources pour le monde de l’Éducation nationale reste très restreint. Même le label RIP (Reconnu d’Intérêt Pédagogique créé officiellement en 1999) n’a pas suffi à générer des achats suffisants par les établissements, par les enseignants pour faire vivre les éditeurs spécialisés. Le but annoncé de ce label est (était) » d’encourager la production et la diffusion de contenus pédagogiques et scientifiques et de contribuer ainsi au développement des usages des technologies de l’information dans l’enseignement. » de plus il est précisé » Il appartient bien évidemment aux équipes pédagogiques de choisir les outils et les supports pédagogiques qui seront utilisés dans chaque école ou établissement scolaire« . Et c’est là que se trouvent les interrogations essentielles autour des ressources.
Des fonds inutilisés ? Des fonds inutiles ?
Comment expliquer que les fonds mis à disposition des équipes enseignantes par les collectivités aient été si peu utilisés ? Comment expliquer que des ressources mises gratuitement à disposition des enseignants aient été aussi peu utilisées ? Que sait-on réellement de l’utilisation des ressources dans le cadre de TNE ? On a pu remarquer que des initiatives comme le BRNE (Banque de ressources numériques éducatives) financées par l’institution ont progressivement été arrêtées. Et même l’arrivée du GAR (Gestionnaire d’Accès aux Ressources) qui voudrait rassembler et sécuriser l’accès aux ressources au travers des ENT (Environnements Numériques de Travail), ne semble pas encore connaître le succès imaginé… alors qu’il vise à unifier et faciliter l’accès aux ressources (dont entre autres celles des edtech). Pour le dire autrement, et nos enquêtes le confirment, quel écart y a-t-il entre les ressources réellement utilisées par les enseignants et ce qu’on leur met à disposition (et le coût afférent).
Le fait qu’ils n’utilisent pas vraiment les fonds alloués tout comme les ressources gratuitement mises à disposition (nos enquêtes en témoignent) demande à être analysé. Les éditeurs de manuels scolaires ont depuis longtemps assis leur position : l’histoire de ces manuels nous fait remonter au milieu du XIXè siècle… Il faut dire que le support papier du livre, très valorisé dans le monde scolaire, a aussi des vertus que n’ont pas vraiment les ressources numériques. En particulier la souplesse d’usage et la complétude. D’une part, ils sont « à portée de la main » et, d’autre part, ils couvrent le plus souvent une année scolaire ou des pans entiers d’activités scolaires bien identifiées par les enseignants, ils sont « complets ». Même les entreprises et associations qui ont misé sur les manuels numériques ont fini par les offrir au format livre/papier. C’est, en fait le problème des ressources globales et des ressources ponctuelles ou liées à des contenus spécifiques ainsi que leur « utilisabilité » qui est posé. L’enseignant, l’établissement doivent-ils aller faire l’acquisition de multiples produits (jadis sur supports physique, désormais en ligne) pour leur activité et passer par des procédures rarement aisées au quotidien. Alors que les livres scolaires apportent une réponse pluri annuelle, nombre de ressources numériques sont très « variables » voire évolutives, quand elles ne sont pas instables.
Les enseignants braconniers !
Si les supports eux-mêmes peuvent être mis en cause, une autre hypothèse se fait jour : les enseignants braconnent et bricolent. En s’appuyant sur les analyses désormais anciennes de Michel de Certeau, Luce Giard et Pierre Mayol (l’invention du quotidien Gallimard 1980), cela met en évidence une liberté limitée liée aussi aux environnements techniques et matériels auxquels ils sont confrontés. Pour le dire autrement, on ne change pas une culture professionnelle par de simples outils techniques, fussent-ils numériques, en peu de temps. Si résistance il y a à l’égard des nouveautés comme les ressources éducatives, c’est qu’il y a un contexte et des pratiques quotidiennes ordinaires qui ne se transforment pas autant qu’on pourrait le croire et certains l’espérer. Les pratiques d’assemblage qui sont au coeur du métier d’enseignant ont du mal à intégrer des ressources qui leur paraissent difficiles d’utilisation dans le cadre de leur enseignement. Aussi ont-ils davantage recours à leurs découvertes personnelles indépendamment des volontés de promotion d’outil et de ressources. C’est dans ces temps de préparation, de recherche personnelle, d’échange avec des collègues, temps qui sont tous semi-formels, que se construisent la pratique et l’usage des ressources choisies par eux-mêmes. Si parfois cela correspond à l’offre, souvent ce n’est pas le cas. Nous avons vu ainsi certains établissements utiliser assez largement des ressources mises à leur disposition quand d’autres, similaires, les ignoraient ou se tournaient vers d’autres produits en dehors du cadre. Il suffit d’analyser les traces numériques pour le constater (ce que font les éditeurs de toutes les ressources pour aussi orienter leur offre). Il serait nécessaire que ces évaluations chiffrées soient rendues publiques et s’accompagnent d’analyses approfondies. Or les entreprises qui vendent ces solutions s’intéressent d’abord à la conclusion du marché initial, mais n’ont pas les moyens de véritablement suivre les usages réels… (même s’ils le font parfois), au risque d’être déçus… et de décevoir leurs commanditaires…
Et si on évaluait vraiment !
La question des ressources mérite d’être posée au moment où un dernier avatar est en cours de mise en place : le compte ressources… dont l’ambition est de « Faciliter l’achat de ressources éducatives par le corps enseignant » (SIC)… Certes ce compte est annoncé comme « produit en investigation« . L’argumentaire de ce projet confirme, en creux, notre analyse. On ajoute qu’il ne suffit pas d’avoir l’intention de mettre en place un outil ou un service si l’on ne prend pas le temps d’analyser et d’évaluer les politiques antérieures pour éviter de reproduire les mêmes errements… A suivre…
Bruno Devauchelle