On n’améliorera pas le bien être à l’Ecole sans toucher à ses fondamentaux. C’est une des conclusions de la deuxième journée de la conférence de comparaisons internationales organisée par le Cnesco le 22 novembre. Agnès Florin, présidente du Cnesco revient sur cette journée qui a mis en avant les changements opérés dans plusieurs pays pour améliorer le bien être. Malgré l’annonce de cours d’empathie, la France semble encore bien éloignée d’une évolution qui nécessiterait un engagement réel de tous les acteurs de l’Ecole.
La première journée de la conférence de comparaisons internationales du Cnesco sur le bien être à l’Ecole avait posé la question des indicateurs et du niveau des programmes. La seconde journée apporte une réponse :pour changer l’Ecole, il faut un réel changement systémique qui demande du temps, de l’argent et de la volonté. C’est ce que montrent les exemples présentés le 22 novembre. Margaret Barry (université de Galway) montre comment la promotion du bien être psychologique dans les écoles irlandaises a nécessité une approche globale déclinée au niveau des établissements mais aussi de chaque classe. Cela nécessite l’engagement des enseignants mais aussi des parents. Bong Joo Lee présente l’exemple sud coréen. Dans ce pays, en tête du classement Pisa, l’obsession pour la compétition scolaire se fait aux dépens du temps de jeu et des relations familiales. Le pays se retrouve champion du mal être scolaire. Au point que le gouvernement réussit à casser depuis 2016 la compétition scolaire, imposant des semestres sans examen où les élèves mènent leurs projets. En Italie, Annalaura Nocentini retrace l’émergence d’un programme de lutte contre le harcèlement, testé en Toscane puis généralisé après une dizaine d’années de tests et d’aller retours entre chercheurs et praticiens. Ce programme repose sur des élèves référents qui forment, sous controle des enseignants, leurs camarades. France Gravelle présente une enquête unique sur le bien être des personnels de direction en France et au Québec. L’épuisement professionnel de ces personnels tient à la charge de travail mais aussi à l’absence de soutien de la hiérarchie, au sentiment d’être « entre l’arbre et l’écorce » pour imposer des réformes précipitées. Ces exemples montrent à la fois qu’il est possible de faire avancer la cause du bien être à l’Ecole. Mais que cela nécessite des changements systémiques profonds.
Agnès Florin, connait-on des pays sui ont amélioré le bien-être à l’Ecole ?
Oui on en a plusieurs. On a vu lors de la seconde journée de la conférence l’exemple de l’Italie, de l’Irlande ou encore l’école dehors au Danemark. Ce sont des pays qui initient des politiques ambitieuses.
Comment font-ils ?
Ce qui apparait c’est une conception plus globale qui traverse les pratiques quotidiennes dans l’accueil des enfants et des familles et dans les gestes quotidiens de la classe. On a des méta analyses qui montrent les effets positifs du développement des compétences psychosociales sur le sentiment de bien-être et la réduction des problèmes de comportement. L’impact sur les résultats scolaires n’est pas encore attesté car c’est un effet indirect. Mais ce développement améliore le sentiment de capacité des élèves et contribue à leur satisfaction en ce qui concerne leur vie en classe. Cela renforce l’estime de soi.
Tout cela renforce l’idée d’une approche globale du bien être à l’Ecole. On sait qu’il y a un lien entre le bien-être des élèves et celui des enseignants avec des répercussions sur leur vie personnelle.
En 2017, le CREN et le Cnesco ont tenu une première conférence sur ce sujet. Quelles évolutions voyez-vous ?
En 2017 on avait élaboré des ressources et un rapport national avec des notes d’experts. Ce qui a évolué c’est que la thématique du bien-être est rentrée dans les textes officiels. Il est admis que l’éducation doit contribuer à la réalisation de soi et l’épanouissement de la personne. Cela apparait dans la note de rentrée par exemple. On se préoccupe du management, de l’aménagement des cours de récréation et des locaux scolaires. On voit se développer la classe dehors.
La France est-elle bien placée pour améliorer le bien-être à l’Ecole ?
Nous avons des semaines de 4 jours dans le 1er degré avec des journées trop longues et aussi des effectifs particulièrement lourds. Je vois aussi la différence avec l’Italie pour l’école inclusive : en Italie depuis les années 1970 on a des enseignants spécialisés dans les écoles plutôt que quelques heures d’AESH. Je suis aussi sensible à la situation des enfants face à l’évaluation. Dans l’école française il y a une grande peur des évaluations. On reste centré sur les fondamentaux comme si le reste n’avait pas de valeur pour les enfants. On devrait pouvoir apprendre à l’école les compétences pour la vie enseignées dans d’autres pays : comprendre son fonctionnement psychologique, sa manière d’apprendre, prendre soin de sa santé, prendre la parole…
G Attal annonce des cours d’empathie à la prochaine rentrée. Votre conférence montre l’importance des compétences psycho sociales. Qui pourrait faire ces cours ?
On considère qu’il ne faut pas ces cours mais insérer un travail sur l’empathie dans tous les cours. Il s’agit d’apprendre à percevoir et comprendre les émotions d’autrui. Cela relève de jeux de découverte qui peuvent se faire dans toutes les disciplines. Et c’est beaucoup plus efficace quand cela fait partie des gestes professionnels des enseignants. Apprendre à reconnaitre ses émotions peut se faire dès le plus jeune âge. Aujourd’hui l’enquête de Santé France montre que 13% des enfants ont probablement un trouble mental, notamment dépressif. On devrait s’en préoccuper. Et c’est à l’Ecole que c’est le plus évident. L’Ecole doit jouer un role important dans la prévention du mal-être.
G Attal est venu ouvrir la conférence , ce qui montre un certain engagement. Il a parlé d’une « école du bonheur ». Auriez vous une préconisation prioritaire pour aller dans cette direction ?
Les enseignants ont besoin de reconnaissance y compris salariale. Les propos sur le bonheur ont pu surprendre mais le mot est utilisé par les économistes qui par exemple veulent inclure le bonheur dans le PIB. Etre heureux à l’Ecole renvoie aussi à un programme de l’Unesco, celui des Happy Schools. C’est uen façon de cibler une approche globale. Pour cela il faut bien sur plus qu’un cours d’empathie une heure par semaine. Il faut vraiment une prise de conscience de la question et voir comment dans chaque établissement on peut faciliter le bien être des élèves et des enseignants. Cela suppose d’entendre les points de vue des uns et des autres, d’examiner les aspects locaux, comme la qualité des bâtiments et l’aménagement du temps ou encore la marge de manoeuvre donnée aux élèves pour choisir des activités. On a vu qu’en Corée du Sud un aspect du bien-être est de donner plus de liberté aux jeunes.
La conférence proposait aussi de nombreux ateliers. Quand allez vous publier la synthèse des travaux et des préconisations ?
Les vidéos des plénières seront en ligne début décembre. Après on publiera les rapports de cadrage internationaux et nationaux, les notes d’experts. La collation des ateliers se fera dans le premier trimestre 2024. On a aussi tout un travail sur les conférences jumelles. La conférence initie tout une dynamique de formation initiale et continue avec des Inspe et des écoles académiques de formation continue dans une dizaine d’académies. Par exemple aujourd’hui un atelier participatif a eu lieu avec l’EAFC de Dijon et 200 enseignants. En Martinique une conférence jumelle est décalée. C’est la nouveauté de cette conférence de comparaisons internationales.
Propos recueillis par François Jarraud
La conférence sur le bien-être à l’Ecole
La première journée de la Conférence