par Lucie GILLET
Françoise enseigne en maternelle en Loire-Atlantique, mais elle connait également bien l’enseignement en élémentaire, puisqu’elle passe régulièrement d’un coté ou de l’autre du portail de la « grande école ». Militante pédagogique liée au mouvement Freinet, avec quelques conseurs de l’IDEM 44 elle s’est particulièrement intéressée au jeu, à sa place dans la classe….
site de Françoise Diuzet : http://f.diuzet.free.fr/
Entretien sur le jeu et les apprentissages à l’école maternelle :
« Invariant 10 ter : Ce n’est pas le jeu qui est naturel à l’enfant, mais le travail. » Célestin Freinet.
Qu’est-ce qui t’a ainsi motivée à revisiter Freinet, à le relire « dans le texte »? A première vue, de but en blanc cette position peut paraître bien catégorique et peu ressemblante à l’image qu’on se fait de l’école maternelle…
Un seul mot d’ordre : la pédagogie !
Françoise rappelle que la réflexion menée dans ce groupe de travail se situe dans une relecture de la position de Freinet. Pour construire un accès théorique à cette notion de « Jeu », après avoir lu le livre de Pascal Deru Le jeu vous va si bien, elle s’est appuyée sur la lecture de livres de Gilles Brougère Jeu et Éducation et Jouer, apprendre, de Roger Caillois, Les Jeux et les hommes, et de Winicott, Jeu et réalité.
En préambule donc rappelons que dans la position de Freinet c’est la situation de travail qui est valorisée, pas celle du jeu. « le jeu naturel de l’enfant correspond pour lui à une vitalité qui s’exprime essentiellement dans une volonté d’expression du corps de se confronter aux éléments naturels et aux autres. Freinet s’oppose aux jouets éducatifs à l’école et souhaite s’appuyer des situation qui favorisent le sens et prennent place dans l’intérêt que les enfants éprouvent naturellement pour le travail des « Grands ». » nous explique Françoise.
Alors, on ne joue plus à la maternelle? On « travaille », oui mais comment? Petit détour par la classe, Françoise évoque avec nous ses procédures et comment évolue sa pratique :
« Je suis en maternelle cette année, avec des moyennes et grandes sections. L’année dernière j’avais un CP-CE1 avec des élèves qui avaient déjà fait leur GS-CP avec moi l’année précédente. Il est certain que je m’appuie de plus en plus sur des situation de vie qui donnent place à des constructions de toute nature. »
Un exemple ?
« Cette année il y avait en face des fenêtres de notre classe le chantier de la construction d’un lotissement, nous avons vu se construire 6 maisons les unes après les autres et cela a été un sujet d’observation et de questionnements sur l’année. Nous avons utilisé comme support à ces observations un livre magnifique de la collection Milan qui s’appelle J’habite ici, il montre des photos de tous les types d’habitations dans le monde. Cela a généré des questions sur les formes, les éléments de construction, le rapport avec le climat, la qualité de la vie etc….
Puis nous avons réalisé des maisons avec différents éléments naturels que nous sommes allés demander sur le chantier en face : de l’argile, du carton etc…
Nous nous sommes également questionnés sur les maisons de nos correspondants en Afrique, sur la différence entre les immeubles des villes et les maisons à la campagne, sur l’isolation en parpaings ou en briques….
Nous avons lu l’histoire des trois petits cochons et celle des deux maisons (en sucre et en sel, de deux petits vieux qui se disputent), bref nous avons relié observation du réel, questionnement sur le monde et ses différences, réalisations concrètes avec des aller-retours en fonction des curiosités de chacun. »
Dans la classe au quotidien, comment cela se traduit-il?
« Chaque semaine, il y a dans l’emploi du temps une place pour la couture et la réalisation d’objets nécessaires : porte-monnaies et petits sacs pour jouer à la marchande, pochettes pour ranger les peintures, cela se réalise souvent avec du papier tapisserie épais que nous perçons avec une perforeuse. On s’organise pour que chacun puisse venir à son tour réaliser l’objet de son choix et de fait les enfants sont volontaires alors que dans le même temps ils peuvent jouer librement. Il y a aussi une place constante donnée à la cuisine en fonction des produits du jardin qui entourent et des évènements (anniversaires, soupe à la citrouille d’Halloween, galette des rois, truffes en chocolat pour le marché de Noël, jus de pommes ou de raisins…)
Quelle place ont les jeux dits « éducatifs » dans ta classe ?
« Elle se place sur deux niveaux : l’utilisation libre et une situation d’entraide avec une classe jumelle (mêmes niveaux). Un petit meuble ouvert, accessible en permanence sauf pendant les temps de travail en commun, regroupe ces jeux : puzzles, mosaïques, emboitements de cubes, de petits paniers ou petits tonneaux de tailles et couleurs différentes etc… Les enfants peuvent donc y prendre librement ce qui leur convient.
L’usage montre que les coins marchande, cuisine et jeux de constructions sont toujours occupés mais que le matériel éducatif n’est utilisé qu’à certains moments et seulement par certains enfants, et cela est vraiment très variable.
Au début de l’année, il y a eu volonté de ma part de réaliser des puzzles avec les enfants pour voir s’ils savaient les faire et sur quels critères ils prenaient appui : position des pièces en fonction de leurs formes, de la reconstitution de l’image dans son entier, de l’association de couleur… J’ai donc favorisé des temps d’échanges autour de ces puzzles et avec l’autre collègue de même niveau de classe nous avons organisé sur une période de 6 semaines un échange au niveau des grandes sections : chaque classe a son tour a reçu les enfants de même niveau pour que les enfants, deux par deux (un de chaque classe) puissent faire découvrir à l’autre un puzzle et aider le camarade reçu. La consigne donnée était formulée ainsi : « On met un morceau chacun son tour », et l’objectif principal était de faire réaliser des échanges et une entraide.
Nous avons laissé les enfants choisir leur partenaire et nous avons listé qui faisait quoi et avec qui, certains enfants se sont retrouvés régulièrement, d’autres non, mais tous ont fait des progrès aussi bien au niveau des échanges que des stratégies utilisées et l’entraide s’est avérée très positive. »
A l’école, l’un des temps privilégié pour jouer, c’est bien la cour de récréation, as-tu mené une réflexion sur ce temps particulier?
« Il faut dire que nous avons intégré cette école seulement depuis une année. La cour est goudronnée, et en pente. Nous avons réussi à obtenir un petit jardin dont nous avons commencé à retourner la terre et à y effectuer des plantations depuis deux mois. C’est un endroit auquel les enfants ont accès souvent à présent mais pas à chaque récréation. D’autre part il y a aussi des plantations dans des jardinières au bord des fenêtres donnant sur la cour.
Il y a également un bac à sable avec seaux et pelles et celui-ci est toujours très convoité.
Enfin nous utilisons une rampe d’accès (construite pour servir d’accès éventuel à un enfant handicapé) comme parcours pour les vélos : ce petit chemin est très fréquenté, nous avons donc déterminé un sens de circulation des vélos et tricycles que nous sortons chaque jour. Les vélos ont d’ailleurs permis à certains d’apprendre à faire du vélo….car auparavant ils n’en faisaient pas, à d’autres d’apprendre à prendre conscience du sens de leurs déplacements, à d’autres encore de canaliser une énergie débordante, et à tous de faire attention aux autres, cyclistes comme piétons.
Dans la cour, certains enfants sont très occupés à regarder ou ramasser toutes les petites bêtes présentes dans l’espace herbeux qui se trouve au bord de la cour et qui déborde sous le grillage…
Bref, il y a les enfants qui se dépensent, ceux qui observent la vie, ceux qui jouent avec le sable et il y en a aussi qui jouent ensemble ou qui s’assoient dans les brouettes…
Au niveau de l’équipe enseignante, nous sommes en train de réaliser des temps d’observation sur une semaine pour vraiment cibler les différentes occupations et comportements de chacun : il y avait en début d’année dans chaque classe des enfants qui avaient des difficultés de contrôle de leurs comportements et que nous devions surveiller sans arrêt. On touche du bois : il y en a encore qui auraient tendance à se servir des pelles à sable pour exprimer leurs désaccords mais cela se raréfie et la violence diminue.
Dans l’école où nous étions auparavant, il y avait ce qu’on pourrait appeler un terrain d’aventures, avec un vrai jardin, des buttes d’herbe, un toboggan intégré, des gradins, des bambous en bordure et on voyait le ruisseau, les champs et les vaches qui bordent l’entrée du bois que nous allons explorer régulièrement. Il n’y avait pas de goudron, mais de l’herbe à sa place…..ce n’est plus le cas dans cette nouvelle école, c’est bien dommage!
Comment tout cela est-il perçu par les parents, l’Institution ?
« Je suis bien consciente que cela n’est pas toujours facile à défendre vis-à-vis des parents et de l’Institution, c’est en cela que le relai du groupe IDEM 44 est d’un grand soutien: nous nous appuyons les unes sur les autres , c’est par une argumentation théorique solide, qui relie les notions, les savoir-faire et les programmes que nous pouvons tenir, dans notre différence, en expliquant aux parents en quoi cela favorise le développement de la pensée de leurs enfants.
Mais vis-à vis des nouveaux programmes, nous entrons clairement en résistance ! »
Et avec les collègues, quelle répercussion sur le travail en équipe?
« Au niveau du travail d’équipe dans l’école où je suis, il n’y a pas de problème, nous avons déjà pour pratique de travailler en équipe. Ainsi chaque semaine avant les vacances, en fin de période de 6 semaines, nous organisons ensemble une fête pour les quatre classes avec ateliers, cuisine, déguisements, confection de masques, chapeaux ou autres, et nous chantons et dansons ensemble. Les parents viennent et parfois même la presse.
Dans l’équipe, il y a des différences d’âge entre nous et donc des différences d’expériences mais nous réfléchissons ensemble chaque mardi soir. Nous avons des activités et des temps décloisonnés ensemble et avec le primaire : CP et CE viennent lire des livres aux petits tous les vendredis. Les CM viennent écrire sous la dictée comment les GS ont réalisé leurs constructions le jeudi après-midi. Nous participons aussi à un temps de décloisonnement en groupe à l’école primaire une fois par semaine pendant le temps de repos d’après-midi (expériences en sciences, jeux de société, à la demande des collègues en fonction des besoins de leurs élèves), tout cela nous a demandé une organisation particulière qui suppose que nous ne soyons pas forcément toujours dans nos classes attitrées.
Et cela se passe aussi comme ça, « entre nous » à la maternelle : nous regroupons les enfants par niveaux d’âges pour certaines activités alors que nous avons chacune des classes à deux niveaux. Bref ça bouge, ça discute et ça vit !
Les visiteurs sont très surpris de voir comment les enfants sont autonomes, capables de se déplacer, de questionner tous les adultes et de faire attention aux petits de deux ans qui sont accueillis le samedi matin… »
Pour conclure, essayons de définir ce qu’est le jeu libre, on joue toujours à la maternelle?
Le jeu libre a bien toute sa place dans nos classes et l’enfant est clairement en situation de jeu chaque jour, d’un jeu qui lui appartient, qu’il organise à sa façon. Cela se réalise essentiellement dans les coins jeux .Ce qui change dans cette forme de pédagogie c’est donc son rapport aux apprentissages qui s’effectuent lors de situations de projets reliés à la vie. Ces situations sont suffisamment intéressantes pour que les enfants y consacrent librement une grande partie de leur temps: lire à d’autres ou avec d’autres, écrire à d’autres ou avec d’autres, faire de la cuisine, du jardinage, de la couture, du bricolage , dessiner,peindre , réaliser toutes sortes d’objets en fonction de ce dont nous avons besoin pour vivre dans la classe , pour dire ou offrir à d’autres.
Les propositions affluent et nous sommes très occupés. Je pense que c’est pour cela que souvent les enfants n’ont pas envie de jouer avec des jouets éducatifs qui ne leur apportent pas, comme les coins jeux, la satisfaction de pouvoir être l’initiateur et l’organisateur du jeu.