Émile Le Menn, professeur des écoles, signe le livre « Motiver les élèves, 20 pratiques pour enseigner autrement ». Selon lui, la motivation en contexte scolaire, « c’est le moteur des apprentissages ». « Dès lors qu’un individu s’engage de façon volontaire et spontanée dans une activité d’apprentissage pour le simple plaisir et la satisfaction que celle-ci lui procure, alors c’est que cette activité répond très fortement au besoin d’autodétermination de l’apprenant. Il peut s’agir d’un besoin de sens, d’accomplissement, de curiosité, de nouvelles sensations… » nous dit-il. Il décrypte sa méthode pour les lecteurs et lectrices du Café pédagogique.
Comment définissez-vous la motivation ?
Dans le contexte scolaire, la motivation est souvent assimilée à des concepts comme « l’intérêt », « la curiosité », ou encore « l’implication ». Elle est cela et un peu plus encore. Dans mon livre Motiver les élèves, 20 pratiques pour enseigner autrement, je la définis comme « l’énergie interne, consciente et/ou inconsciente, qui pousse une personne à s’engager dans une activité et qui détermine la direction, la forme, l’intensité et la persistance dans la durée de cet engagement, et donc la capacité d’un individu à poursuivre un but et à atteindre des objectifs. Elle résulte de l’interaction entre les caractéristiques personnelles d’un individu et son environnement ».
Avoir envie d’apprendre l’espagnol, ce n’est donc pas pareil qu’être motivé à apprendre l’espagnol. Si l’envie est souvent à l’origine de l’engagement dans une tâche, elle suffit rarement à garantir la persévérance dans une activité au long cours. La motivation quant à elle englobe à la fois cette notion de désir d’apprendre et l’énergie qui amène à persister en dépit des efforts nécessaires pour atteindre un objectif.
En quoi est-elle indispensable pour les apprentissages ?
La motivation en contexte scolaire, c’est le moteur des apprentissages. Si l’élève ne parvient pas à rentrer dans une activité, ou n’arrive pas à maintenir ses efforts dans la durée, il n’y a pas d’apprentissage de qualité. A intelligence et résultats scolaires antérieurs équivalents, ce sont les élèves qui font preuve de la plus grande motivation qui s’en sortent le mieux lors des examens.
En soi, cela n’a rien de très surprenant. Ce qui est intéressant, c’est plutôt d’observer qu’en France autant qu’à l’étranger, la motivation scolaire est en berne. Une étude de la DEPP menée en 2019 sur 35 000 élèves français mettait en évidence « une dégradation de la motivation et du sentiment d’efficacité scolaire des élèves au cours du collège ». On retrouve cette tendance aux Etats-Unis, où la motivation s’étiole fortement entre la « Grade 5 » (équivalent CM2) et la « Grade 12 » (Terminale).
Vous évoquez l’autodétermination, de quoi s’agit-il ?
Le concept d’autodétermination que je mentionne dans mon livre provient d’une théorie motivationnelle des années 1990 qui a beaucoup essaimé. Si l’on a longtemps cru que l’on pouvait motiver les apprenants à l’aide de punitions et de récompenses – Hull, Skinner et la théorie behavioriste, les études menées par les chercheurs Edward Deci et Richard Ryan aux Etats-Unis ont changé la donne. Selon leur « théorie de l’autodétermination », le degré de motivation d’un apprenant pour une activité dépend de la manière dont celle-ci répond à trois besoins psychologiques innés. Le besoin d’autodétermination : le fait de pouvoir choisir la tâche dans laquelle on s’engage, ce qu’on va apprendre, son but. Le besoin de compétence : le fait de sentir qu’on apprend efficacement, qu’on progresse et peut parvenir à ses fins. Le besoin d’appartenance sociale : le fait de se sentir relié aux autres – qu’il s’agisse de l’enseignant, des parents, de la classe, de la société tout entière.
Pour Deci et Ryan, plus un comportement est autodéterminé, plus la motivation de l’apprenant est forte. Dès lors qu’un individu s’engage de façon volontaire et spontanée dans une activité d’apprentissage pour le simple plaisir et la satisfaction que celle-ci lui procure, alors c’est que cette activité répond très fortement au besoin d’autodétermination de l’apprenant. Il peut s’agir d’un besoin de sens, d’accomplissement, de curiosité, de nouvelles sensations…
La motivation est alors intrinsèque, et garantit plus que tout type de motivation extrinsèque que l’élève persévère, fasse preuve de créativité, d’esprit d’initiative, assimile les connaissances efficacement.
Des pistes pour des enseignants qui auraient envie de se lancer dans cette approche pédagogique ?
Une approche pédagogique tournée autour de la théorie de l’autodétermination tend à donner l’opportunité à l’élève de faire des choix, de mener à bien des projets qui lui tiennent à cœur ; à lui permettre de progresser à son rythme grâce des supports et modalités permettant le travail en autonomie et à lui apprendre à travailler à plusieurs et lui permettre de trouver sa place au sein de sa communauté.
Ces trois axes contrastent fortement avec l’enseignement traditionnel tel que décrit notamment par des chercheurs comme Jean Houssaye ou Michel Fabre : un système de cours magistraux ou dialogués, où chacun apprend seul des savoirs coupés de la vie, en vue de réussir à un examen standardisé.
Différentes pratiques permettent d’aller dans le sens de chacune des trois pistes évoquées. Pour satisfaire au besoin de compétence, un enseignement différencié, des évaluations formatives ou encore l’introduction de travaux manuels peuvent être introduits. C’est ce qui se fait en Finlande par exemple, sans que le nombre moyen d’élèves par classe soit inférieur à celui que l’on connait en France. Pour satisfaire le besoin d’appartenance sociale, on pourra instaurer des conseils d’élèves hebdomadaires, permettre aux jeunes de s’engager dans des actions citoyennes aux côtés d’associations, ou encore organiser des temps de travail multiâges…
Répondre au besoin d’autodétermination nécessite de permettre aux élèves de faire des choix. Les enfants, autant que les adultes, aiment avoir des projets qui leurs sont propres. Tous n’ont pas les mêmes appétences, et ont besoin d’explorer des domaines qui les intriguent pour s’épanouir et pour donner du sens aux apprentissages. C’est pourquoi je promeus la mise en place de temps de projets personnels dans les classes dès le plus jeune âge. J’entends le « projet personnel » comme étant l’ensemble des actions mises en œuvre par les élèves pour poursuivre et atteindre des objectifs qu’ils se sont fixés eux-mêmes individuellement ou en petits groupes, avec l’aide de l’enseignant. Ce dernier bâtit le cadre structuré permettant aux apprenants de construire des connaissances à travers leurs projets.
À travers son projet, l’élève apprend en planifiant ses actions dans l’optique de réaliser en classe – et non à maison – une production concrète – exposé, pièce de théâtre, récit, jeu de société… – qui donnera lieu à un partage avec ses camarades. Il mobilise et développe ses connaissances et compétences dans le cadre d’un travail qui fait sens pour lui.
Si ces temps peuvent donner lieu à des apprentissages dans des domaines très variés – travaux manuels, académiques, artistiques…, l’enseignant peut aussi décider d’adapter le périmètre de l’activité en fonction de ses objectifs pédagogiques : en définissant des domaines disciplinaires particuliers ou encore en demandant que les travaux débouchent sur des productions écrites…
Dans ma classe, ces temps ont fini par prendre une place importante : jusqu’à une heure par jour en cycle 3. Mais il est recommandé de se lancer progressivement, avec un créneau par semaine, et sur un domaine restreint : écriture libre, recherche personnelle en sciences ou encore en histoire…
Et puisque les élèves ne sont pas les seuls à avoir besoin d’être motivés, il n’est pas superflu de rappeler que les enseignants aussi, pour s’impliquer dans leur métier et avoir envie de donner le meilleur d’eux-mêmes, ont besoin de pouvoir faire des choix et ne pas être considérés que comme des pions (meilleure mobilité géographique, choix de formations adaptées à leurs besoins, facilité pour monter des projets…) ; de pouvoir se sentir compétents, avec une formation initiale pratique et scientifique de plusieurs années – comme cela se fait dans les pays voisins… et de pouvoir se sentir utiles, valorisés, entourés et soutenus par leur hiérarchie.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Motiver les élèves pour enseigner autrement. Éditions Retz