Pour Claude Lelièvre, Gabriel Attal multiplie les annonces, telles que celles du 5 octobre. « Quand faut-il le croire ? Et que croire ? » interroge l’historien de l’éducation pour qui le ministre sait manier avec une certaine virtuosité les propos à effets subliminaux.
Le nouveau ministre de l’Éducation nationale a multiplié depuis son arrivée les ‘’annonces’’. On peut dire sans grand risque de se tromper que leur rythme est sans précédent. Ce n’est pas un détail car, en l’occurrence, la forme compte au moins autant que le fond. Et c’est ce qui doit être aussi apprécié si on veut se mettre à bonne portée pour en juger.
Gabriel Attal n’hésite pas à pratiquer la haute voltige des professions de foi spectaculaires, même si elles peuvent se fracasser si on les rapporte les unes aux autres.
Ainsi, le 27 juillet il a proclamé urbi et orbi qu’il a « fixé la lutte contre le harcèlement scolaire comme la priorité absolue du ministère » ; ce qui ne l’a nullement empêché de proclamer à sa conférence de presse de rentrée du 28 août que « la première priorité est d’élever le niveau des quelques 11 993 500 élèves des écoles, collèges et lycées » – on admirera la précision quantitative pour être crédible.
Dans son interview parue dans « Le Monde » du 5 octobre, Gabriel Attal a annoncé « le lancement d’ une consultation de l’ensemble de nos 860 000 professeurs sur les priorités et les actions à mettre en œuvre pour élever le niveau », alors que dans « Le Monde » du 15 septembre il avait décidé publiquement d’ores et déjà de la mise en place d’un certain nombre de dispositifs pédagogiques concrets pour l’enseignement des « forces de l’écrit ». Quand faut-il le croire ? Et que croire ?
D’autant qu’il sait aussi manier avec une certaine virtuosité les propos à effets subliminaux. Ils sont tout particulièrement présents dans l’évocation des grands axes de travail pour la mission qui va être mise en place. Certains sont de petits chef d’œuvre doucereux et suggestifs : « l’organisation de la scolarité en cycles ne permet pas toujours de disposer des éléments indispensables à la progression des apprentissages » ; « en primaire, notamment, trop de classes n’ont pas un manuel de référence, et il y a trop d’hétérogénéité dans les ouvrages proposés » (extraits de l’interview d’Attal dans « Le Monde » du 5 octobre). Doit-on voir poindre à l’horizon la question controversée des manuels ‘’officiels’ ?’
Par ailleurs, certains commentateurs ont d’ores et déjà remarqué – non sans raison, tant s’en faut – la présence de formules préconisant « le retour à » : la légitimation par la nostalgie d’un passé plus ou moins mythique est à l’œuvre .
On doit saisir enfin combien la focalisation sur le français et les mathématiques prétendument seuls ‘’fondamentaux’’ est historiquement régressif : cela n’a pas été le cas, à partir de la troisième République, même pour la seule instruction obligatoire. Alors, pour le lycée lui-même….
Comme il a été déjà évoqué sur Le Café pédagogique » du 6 septembre 2023 (mais il faut y revenir sans cesse…) « le mantra ’’lire, écrire , compter’’ ne remonte nullement à la fondation de l’école républicaine et laïque, mais à la Restauration…L’ordonnance royale de 1816 indique en effet que l’instruction primaire « comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul ».
Il n’en va pas du tout de même lorsque la loi du 28 mars 1882 instaure l’instruction obligatoire. Non pas l’école obligatoire puisqu’il est prévu que cette ’’ instruction obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus peut être donnée soit dans les écoles privées ou libres, soit dans les familles par le père de famille lui-même ou par toute autre personne qu’il aura choisie’’.
Il est donc nécessaire de signaler ce que l’on considère comme relevant obligatoirement de cette instruction obligatoire, ce que l’on considère comme ‘’fondamental’’. Et c’est ce qui indiqué dans l’article premier de la loi elle-même :’’L’enseignement primaire comprend : L’instruction morale et civique ; La lecture et l’écriture ; La langue et les éléments de la littérature française ; La géographie, particulièrement celle de la France ; L’histoire, particulièrement celle de la France jusqu’à nos jours ; Quelques notions usuelles de droit et d’économie politique ; Les éléments des sciences naturelles physiques et mathématiques ; leurs applications à l’agriculture, à l’hygiène, aux arts industriels, travaux manuels et usage des outils des principaux métiers ; Les éléments du dessin, du modelage et de la musique ; La gymnastique ; Pour les garçons, les exercices militaires ; Pour les filles, les travaux à l’aiguille ‘’
On voit que la naissance de l’école républicaine et laïque ne fait nullement la part belle – tant s’en faut – à la trilogie ‘’lire ,écrire compter’’ et se trouve être bien plus complexe que cela (malgré ses limites historiques). On est confondu par ces confusions persistantes (délibérées ou non) dans le débat public, en premier lieu au ‘’plus haut niveau’’. Et à une certaine difficulté, voire à une certaine désinvolture, pour se placer correctement dans la chaîne du temps, chronologiquement. ».
Et c’est pourtant essentiel si on veut des repères et ne pas céder à un ‘’air du temps’’ fort régressif.
Claude Lelièvre