En cette journée mondiale des enseignants, l’UNESCO publie une analyse de la pénurie d’enseignants dans le monde. « Il manque encore 44 millions d’enseignants dans le monde pour atteindre l’objectif d’un enseignement primaire et secondaire pour tous d’ici 2030 » écrit la branche de l’ONU dédiée à l’éducation. Et si les professeurs manquent, ce n’est pas simplement car les États rencontrent des soucis financiers, c’est un problème d’attractivité de la profession. En France, près de 3 000 postes sont restés vacants par manque de candidats. Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO plaide pour revaloriser le statut des enseignants.
Si en 2016, l’UNESCO a estimé la pénurie mondiale d’enseignants à 69 millions, la nouvelle note d’analyse publiée mercredi 3 octobre montre qu’aujourd’hui ce sont 44 millions de professeurs qui manquent à l’appel. « Cette pénurie a diminué de près d’un tiers », écrit l’organisation mais si la situation s’est améliorée, « cela reste insuffisant pour répondre aux besoins mondiaux en matière d’éducation ».
Du côté des bons élèves, l’Asie du Sud où la pénurie est passée de 15 millions d’enseignants manquants à 7,8 entre 2016 et 2023, soit une réduction de la moitié de la pénurie. À l’autre bout de l’échiquier, l’Afrique subsaharienne qui représente à elle seule un tiers de la pénurie mondiale actuelle. En Europe et en Amérique du Nord, « malgré de faibles taux de natalité », il manque près de 5 millions d’enseignants (4,8 millions). C’est la troisième région du monde où la pénurie est la plus forte. En Amérique latine et dans les Caraïbes, la pénurie s’élève à 3,2 millions d’enseignants.
Doublement du taux de déperdition
Si les candidats ne se bousculent pas, si le métier manque d’attractivité, c’est la faute aux États, incapables de recruter, mais aussi à une nette « augmentation du taux d’abandon en cours de carrière ». L’UNESCO a analysé les données relatives aux déperditions d’enseignants – qui mesure la proportion d’enseignants qui décident de quitter définitivement la profession – dans 79 pays de différentes régions du monde et de différents niveaux de développement.
« Le taux de déperdition a presque doublé parmi les enseignants du primaire, passant de 4,62 % en 2015 à 9,06 % en 2022 ». Le taux de déperdition serait lié à trois facteurs principaux : « les mauvaises conditions de travail, le haut niveau de stress et la faible rémunération ».
Manque de moyens matériels, poids des responsabilités administratives ou manque d’encadrement hiérarchique dans les établissements contribuent aux mauvaises conditions de travail, explique l’UNESCO. Quant au niveau de stress, « les enseignants qui subissent « beaucoup » de stress au travail sont deux fois plus susceptibles de vouloir quitter la profession, en particulier au cours des cinq premières années ».
« Le faible niveau de rémunération nuit également à l’attractivité de la profession », écrit l’organisme dépendant des Nations Unies. « Au niveau mondial, seul 1 pays sur 2 rémunère les enseignants du primaire autant ou plus que les autres professions exigeant des qualifications similaires ». La situation est pire en Europe et en Amérique du Nord, « où il ne s’agit que de 3 pays sur 10 ». Dans le second degré, les enseignants touchent « 75 % ou moins du salaire versé aux professions comparables ».
L’UNESCO montre que les enseignants hommes sont plus enclins que leurs collègues femmes à quitter la profession. Ainsi, le taux mondial d’abandon des professeurs des écoles hommes en 2021 était de 9,2%, contre 4,2% pour les femmes. Un phénomène que l’organisation explique par « le fait que, bien souvent, les hommes disposent de plus d’opportunités professionnelles dans les autres secteurs et peuvent ainsi changer plus facilement de carrière ». Elle point aussi « la persistance des préjugés de genre exerce aussi une influence, notamment les opinions relatives à la répartition des responsabilités en matière d’éducation des enfants ». Et c’est bien souvent les jeunes enseignants, en début de carrière, qui abandonnent, « ce qui prouve qu’ils ont besoin d’un soutien renforcé pour faire face à la charge de travail ».
Pour Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, « les enseignants jouent un rôle crucial dans nos sociétés, pourtant cette profession est confrontée à une crise majeure des vocations. Certaines régions du monde manquent de candidats, d’autres font face à un taux d’abandon très élevé au cours des premières années de carrière. Dans les deux cas, la réponse est la même : il faut mieux valoriser, mieux former et mieux soutenir les enseignants ».
7 mesures pour rendre la profession plus attractive
Pour faire face à la pénurie d’enseignants, l’UNESCO formule sept recommandations, « à adapter aux situations et aux enjeux nationaux ».
- « Investir dans l’amélioration de la formation initiale des enseignants et dans les programmes de formation continue ». Le ministre semble décider à réformer la formation initiale, mais aussi la formation continue, dans le seul objectif de limiter les remplacements de courte durée.
- « Mettre en place des programmes de mentorat qui associent des enseignants expérimentés à de nouveaux enseignants et encourager la collaboration entre pairs ».
- « S’assurer que les enseignants bénéficient de salaires et d’indemnités compétitifs, notamment par rapport aux autres professions exigeant des niveaux de qualification similaires, et veiller à ce qu’ils disposent de possibilités d’avancement ». La revalorisation « historique » en France n’est clairement pas à la hauteur de cet enjeu. Pour une grande majorité des enseignants, elle ne couvre même pas l’inflation et ne couvre pas, de fait, la perte de pouvoir d’achat.
- « Rationaliser les tâches et les formalités administratives pour permettre aux enseignants de se concentrer davantage sur l’enseignement et moins sur la bureaucratie ».
- « Encourager un sain équilibre entre vie professionnelle et vie privée, en fixant des exigences raisonnables en termes d’horaires de travail et en réduisant la charge de travail inutile ». Le Pacte va à l’encontre de cette recommandation puisqu’il est basé sur l’idée du « travailler plus pour gagner plus ».
- « Fournir des services de santé mentale et de conseil afin d’aider les enseignants à gérer le stress et les défis émotionnels ». Là encore, sans médecine du travail, on imagine mal comment cette recommandation pourrait être suivie en France.
- « Mettre en place un encadrement à la fois fort et solidaire au sein des établissements, qui valorise l’apport des enseignants, fournit des critiques constructives et favorise un environnement de travail positif ». Les ORS – obligations réglementaires de service – laissent peu, voir pas de temps pour favoriser le collectif de travail.
Rendre attractif le métier d’enseignant semble compliqué à l’échelle mondiale, mais d’autant plus à l’échelle nationale. Peu des recommandations de l’UNESCO sont applicables aujourd’hui. Sauf à vouloir « un électrochoc de l’attractivité » à défaut d’avoir eu le « choc d’attractivité » promis par Pap Ndiaye lorsqu’il était encore ministre de l’Éducation nationale.
Lilia Ben Hamouda