Un site d’établissement est en général réalisé par les adultes pour de la communication administrative : et si les élèves déployaient le leur pour de la publication pédagogique ? C’est la singularité du site « Malaplume Junior » que nous présente Christelle Lacroix, enseignante de français au collège La Malassise dans les Hauts-de-France. Au menu : des articles sur la vie du collège réalisés par les collégiennes et collégiens journalistes et des créations d’élèves dans les nombreuses disciplines participant au projet. Le site, contributif, en publication ouverte, favorise sentiment d’appartenance et engagement dans les apprentissages, à la hauteur d’une belle ambition : « faire rayonner l’envie d’apprendre de l’élève, pour soi, pour les autres et avec les autres. »
Comment est né le site « Malaplume Junior » ?
Malaplume junior est au départ un atelier créé en sixième pour être le petit frère de Malaplume, l’atelier journal du lycée qui intéressait de plus en plus de collégiens. Cet atelier de communication spécifique au collège a vu le jour en septembre 21, comme une option dans l’emploi du temps des élèves, encadré par la professeure documentaliste, Céline Bourré et moi-même, professeure de français, afin de développer des compétences d’expression, écrite, orale, mais aussi de méthodologie de travail, de recherche documentaire, d’information, de communication et d’utilisation de l’outil numérique. Très vite est apparue l’utilité d’utiliser un média de communication et de partage des productions en accès lisible et simple. C’est ainsi que le site Malaplume Junior a vu le jour.
Comment le site fonctionne-t-il ?
L’atelier a lieu une heure par semaine, en 6e et une heure en 5e depuis la rentrée 2022. Les élèves de l’atelier rédigent souvent en binôme des articles sur la vie du collège, pour les élèves, pour les professeurs et pour les familles. Deux magazines par an sont publiés. Les petits reporters réalisent également des reportages vidéos, audios, des micro-trottoirs, des pour ou contre… En comité de rédaction, nous dépêchons une équipe sur les événements, pour lesquels nous décidons de réaliser un podcast audio ou vidéo. Ces équipes sont toujours encadrées par un adulte. Ils sont présents sur les événements tels que l’accueil des futurs 6e, le rallye CM1, les portes ouvertes, le cross d’établissement… Ils développent aussi les techniques de communication pour faire connaître le site. Toutes ces publications apparaissent sous trois onglets : « articles », « podcasts », « communication ».
Les magazines sont réalisés avec le logiciel Madmagz, qui dispose d’une fonction collaborative permettant aux élèves de travailler en même temps sur le même magazine. Les montages audios et vidéos sont réalisés avec des applications de montage vidéo (IMovie, Quik GoPro). Les élèves disposent tous d’une tablette numérique personnelle et apprennent à utiliser ces outils pour leurs productions. Tous ces montages sont déposés dans un padlet, il ne reste plus à relayer les contenus sur le site.
Le site partage des articles et podcasts réalisés par les élèves : sur quoi par exemple ? qu’apporte aux élèves ce travail de collégiens journalistes ?
De manière générale, les membres de l’atelier Malaplume Junior interrogent des élèves dans chaque niveau (6èmes-5èmes-4èmes-3èmes) sur des sujets qui les concernent (les activités sportives, extra scolaires, la vie à l’internat…). Ils interrogent aussi des professeurs ou des membres de l’établissement : personnel de cuisine, personnel administratif, personnel technique… ce qui offre au site un rayonnement complet au niveau de l’établissement. Lors des interviews, les élèves sont ainsi amenés à s’exprimer à l’oral et à argumenter. Il s’agit de proposer aux élèves un média qui permet l’identification et la visibilité de la pluralité des points de vue.
Qu’apporte aux élèves ce travail de collégiens journalistes ?
Les collégiens-journalistes développent de nombreuses compétences en EMI : contribuer à la maîtrise du langage oral et écrit, rechercher des informations (évaluer la fiabilité des sources), produire des écrits variés (interview, reportage, brève, presse écrite et audiovisuelle), identifier, hiérarchiser et mettre en relation des informations, apprendre à travailler de manière collaborative, développer l’esprit d’initiative, l’autonomie et l’esprit critique. La liste des compétences développées est longue.
Le site partage aussi des créations culturelles réalisées en français et en arts mais aussi des contributions de disciplines fort diverses : quels contenus trouve-t-on dans ces rubriques ?
Dans la rubrique « arts et créations », on trouve les projets réalisés en français et en arts, comme par exemple le projet d’expression écrite et orale autour de l’étude de l’œuvre complète « La rivière à l’envers » de Jean Claude Mourlevat, par les Cinquièmes, le projet de rencontre avec l’autrice Cindy Duhamel pour « Aurielle et les super héros de la littérature » par les sixièmes, des boosktas réalisés par les troisièmes pour inciter les auditeurs à s’interroger sur les enjeux du monde à venir…
On y découvre aussi toutes les activités réalisées en interdisciplinarité autour d’une sélection d’albums jeunesses pour le prix Nénuphar : une activité EPS de ceci-foot ou de danse les yeux bandés autour de l’album Cécité Malaga, une autre de création en Arts plastiques de petites embarcations pour l’album « L’expédition » … Tous ces travaux entièrement réalisés par les élèves ont permis de mêler toutes les disciplines à la littérature jeunesse.
Dans la dernière rubrique, intitulée « Savoirs », on trouve les productions réalisées dans les autres disciplines, langues, sciences, histoire… On a ainsi la possibilité de visiter de New York comme si on y était, en réalité virtuelle par les cinquièmes, d’écouter des interviews de jeunes Canariens reçus en échange linguistique dans notre collège par les troisièmes, de découvrir des tutoriels de sciences tels que « Comment réaliser des boules de graisses pour les oiseaux ? » ou « Comment séparer les colorants par chromatographie ? » et même de visiter le monde antique grâce à la réalisation de «Petits musées virtuels » par exemple.
En quoi vous semble-t-il pertinent d’amener les différentes matières à coopérer ainsi au projet ?
Le collège dispose d’un compte établissement Padlet. Cet espace permet de mutualiser les productions réalisées en classe sur un mur collectif. Cela donne une visibilité d’ensemble sur tout ce qui est produit au quotidien au collège. Mais seuls les professeurs ont accès à cette vue d’ensemble. Alors, rapidement, avec la mise en place du site Malaplume junior, nous avons trouvé pertinent que le site serve aussi à relayer tout ce qui se fait en expression dans toutes les matières tous niveaux confondus. C’est une petite innovation au sein du collège mais qui permet de sortir les productions de cette salle des profs virtuelle, mais aussi des cahiers, des classes, de les rendre lisibles et visibles par tous, élèves, familles, professeurs, et de montrer le florilège de travaux de qualité qui sont réalisés au quotidien. Cette coopération valorise la progression des élèves et l’acquisition de compétences transversales du socle commun, de compétences, de connaissances et de culture. Cela suscite l’intérêt de tous concernant les contenus auxquels chacun est finalement partie prenante. Par ailleurs, le site permet à chaque enseignant de discipline d’intégrer des séances d’EMI dans sa progression pédagogique.
Les sites d’établissements sont en général réalisés par les adultes, rarement par les élèves : pouvez-vous éclairer ce choix d’un site contributif en publication ouverte ?
L’objectif principal est de former les citoyens du monde de demain : comprendre la fabrique de l’information et déjouer les éventuelles manipulations, permettre aussi aux élèves d’être des acteurs à part entière du monde dans lequel ils grandissent, évoluent, s’expriment, et entendre comme parole à part entière, ce qu’ils ont à dire.
Nous sommes convaincus aussi que plus les enfants auront d’espace de visibilité de leurs travaux, plus ils s’engageront dans leurs apprentissages, auront le goût du travail bien fait, parce que cela prend sens dès lors que l’on a un lecteur, un auditeur, un récepteur en face de soi.
Accepter de diffuser des productions d’élèves, déclarées comme telles, c’est aussi en reconnaître l’intérêt pédagogique, avec des valeurs d’humilité, dans la mesure où les travaux d’élèves n’ont pas vertu à être des travaux professionnels ou d’excellence, et dans le sens où notre volonté est bien de partager ce que chacun est capable de produire.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues tentés par de semblables démarches ?
De telles démarches sont le résultat d’une politique d’établissement de promouvoir le partage et le travail collaboratif. Notre chef d’établissement a mis en place une commission communication afin de réfléchir ensemble à ces problématiques et a à cœur de rendre visible le plus possible le site. On ne partage pas le travail des élèves sans commencer par partager entre professeurs nos pratiques pédagogiques. Cela incite les enseignants à laisser entrer un regard extérieur dans leur classe, sur leurs pratiques, ce qui est plus facile aujourd’hui avec la multiplication des outils collaboratifs à disposition de chacun, mais pas encore évident pour tous. Or chacun sait qu’on apprend beaucoup de l’observation du travail des autres. Cela est vrai pour les enseignants mais pour les élèves aussi. La nécessité d’une équipe de veille pédagogique est indispensable aussi pour la réussite d’un tel projet, il faut observer, solliciter, interpeller, inciter sans cesse les collègues pour que chacun se sente partie prenante du projet. Reste que ce sont eux qui transmettent ce qu’ils souhaitent diffuser, il nous suffit alors d’insérer le contenu sur le site, dans l’onglet qui leur est réservé. Enfin le site Malaplume junior est en page d’accueil d’Ecole Directe pour tous et donc accessible très simplement pour les parents, les élèves et les professeurs.
Nous ne sommes qu’à l’aube de ce projet encore naissant, nous tirerons progressivement les leçons, l’enrichiront d’autres idées, mais il va sans dire qu’il permet d’aborder avec bienveillance et de faire rayonner l’envie d’apprendre de l’élève, pour soi, pour les autres et avec les autres .
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Christelle Lacroix dans Le Café pédagogique