Dans le quotidien des leçons d’EPS, perdure une sorte de tradition séculaire consistant à « dispenser les élèves » se déclarant ou se révélant incapables de pratiquer. Cette dénomination – l’élève dispensé – est couramment utilisée par les élèves, la vie scolaire, les personnels de santé et surtout par les enseignants eux-mêmes. L’usage est si répandu qu’il contribue à la fabrication d’un rôle social à part entière, situé à mi-chemin entre l’aide (généralement les « dispensés » s’occupent du petit matériel) et l’observateur (ils sont souvent désignés pour remplir des fiches et des outils d’analyse). Or, « la dispense » de cours d’éducation physique a disparu du champ lexical de la discipline depuis 1988, soit près de 40 ans ! Retour sur la permanence d’un phénomène qui siphonne la discipline de l’intérieur et pose des problèmes importants en matière de santé publique.
Une permanence des dispenses d’EPS
« Alors, qui sont les élèves dispensés cette semaine » ?
Il n’est pas rare qu’un professeur d’EPS entame son cours de cette façon, en s’enquérant de l’état des « troupes » afin de recenser les pratiquants sur lesquels il pourra compter durant la leçon. Dans la grande majorité des établissements, l’usage de la dispense d’EPS est une pratique courante, instituée dans la culture de la classe et même parfois entérinée par le règlement intérieur du collège ou du lycée. Pour autant, l’article 1 du décret 88-977 du 11 octobre 1988 fixe les dispositions suivantes :
« Les élèves des établissements d’enseignement du premier et du second degré (…) qui invoquent une inaptitude physique doivent en justifier par un certificat médical indiquant le caractère total ou partiel de l’inaptitude. En cas d’inaptitude partielle, ce certificat peut comporter, dans le respect du secret médical, des indications utiles pour adapter la pratique de l’éducation physique et sportive aux possibilités individuelles des élèves ».
Chacun comprendra aisément, à la lecture du texte, que le certificat médical libellé par le médecin est censé donner à l’enseignant un ensemble d’informations pour l’aider à adapter ses propositions pédagogiques aux incapacités fonctionnelles de l’élève inapte. Il n’est pas question de « dispenser », mais d’accompagner le jeune dans une pratique physique ajustée qui ne le coupe pas du cours d’EPS. Si le décret autorise la délivrance d’un certificat d’inaptitude totale, de telles dispositions doivent rester marginales et faire l’objet d’un signalement aux médecins de santé scolaire. Soyons clairs, ni parents ni enseignants ne sont habilités à « dispenser » un élève de cours d’EPS. Quant aux médecins, ils sont invités, depuis le texte de 1988, à ne pas suspendre toute activité physique chez l’élève en raison d’un problème de santé. La prescription d’un certificat médical, au lieu d’encourager l’inactivité et la dispense d’exercice, doit comporter des indications utiles à l’adaptation de la pratique. Cette démarche s’inscrit dans un cadre pleinement inclusif et peut justifier, le cas échéant, un aménagement des tâches et des pratiques d’évaluation (y compris certificatives), ce que les enseignants d’EPS sont tout à fait en mesure de proposer.
Des procédures archaïques ou complaisantes qui mettent en danger la santé des élèves
Le certificat médical établi par le médecin de famille doit permettre un dialogue entre l’enseignant et le médecin dans l’intérêt premier de l’élève. Or, dans la réalité les usages sont variés. Certains documents remis en tant que « certificats médicaux » par les élèves favorisent la « dispense ». Par exemple, il existe encore des modèles préremplis sur lesquels apparaît la case « dispense d’EPS ». De même, de nombreux certificats mentionnant des prescriptions telles que « dispense de natation », « dispense de course » ou « dispense de boxe » sont utilisés fréquemment par les médecins pour régler d’un seul coup de plume le sort des élèves dans ces activités. Enfin, certains parents n’hésitent pas à rédiger eux-mêmes des mots dans les carnets de liaison des enfants. Souvent de bonne volonté, ils ne mesurent pas suffisamment la portée symbolique de leur geste. En se rendant complices des élèves, ils font totalement abstraction de la législation sur le contrôle des inaptitudes et renvoient un message aux conséquences dévastatrices : « si tu ne te sens pas très bien aujourd’hui, tu n’es pas obligé(e) de pratiquer en EPS ». Dans une société où le goût pour l’effort physique s’étiole dangereusement, de tels messages ne font que renforcer des attitudes sédentaires déjà bien ancrées chez les enfants et les adolescents.
Un enjeu sanitaire de tout premier ordre
L’OMS fournit des indications très précises (par tranches d’âge et groupes de population) sur le volume d’activité physique nécessaire à une bonne santé. Ainsi, les enfants et les adolescents de 5 à 17 ans devraient consacrer en moyenne 60 minutes par jour à une activité physique d’intensité modérée à soutenue, principalement d’endurance, tout au long de la semaine. Des activités d’endurance plus intenses, ainsi que celles qui renforcent le système musculaire et l’état osseux, devraient être pratiquées au moins 3 fois par semaine.
Pourtant, le constat mondial est implacable : depuis plus de vingt ans, on assiste à un effondrement du niveau d’activité physique de la population. Si environ un tiers des adultes n’atteint pas le niveau recommandé (30 minutes d’activité modérée quotidienne pour les plus de 18 ans), les adolescents sont encore plus nombreux dans cette situation : 77% des garçons et 85% des filles sont en deçà des préconisations. La France se classe ainsi au 22ème rang des 25 pays les plus riches, lorsque l’on observe la quantité d’activité physique quotidienne des 11-17 ans. En ce qui concerne les plus jeunes (6-11 ans), une synthèse récente indique qu’en moyenne, 70% des garçons atteignent les recommandations contre seulement 56% des filles.
En France, le niveau d’activité physique recommandé est atteint uniquement par des élèves pratiquant une activité sportive extra-scolaire et bénéficiant le plus souvent d’un accompagnement parental soutenu. Les heures d’EPS sont, pour de nombreux jeunes, les seules heures d’activité physique hebdomadaires significatives. Elles sont réduites – faut-il le rappeler – au triste nombre de 2h au lycée, soit environ 30 à 45 minutes effectives de pratique physique par semaine (lorsque l’on décompte les temps de trajet, de vestiaire, d’explication, de pause, de gestion des rotations, etc.). La diffusion régulière des certificats d’inaptitudes à l’EPS, dénommés abusivement « dispenses », ne fait qu’aggraver une situation déjà très inquiétante. Leur nombre prolifère actuellement, au point d’inquiéter le Conseil des Sages de la Laïcité qui a constitué un groupe d’experts. Avec une telle réduction du volume d’activité physique, c’est la condition physique des jeunes qui se dégrade à petit feu, et par voie de conséquence, leur espérance de vie. Il faut que les choses bougent, c’est impératif !
Des leviers pour lutter contre les pratiques dispensatoires
Selon nous, il convient à minima (et de façon non exhaustive) d’agir sur deux pôles : la formation et la coordination entre les sphères scolaire et médicale.
Dans le cadre de la formation initiale tout d’abord. Alors que la filière STAPS comporte de nombreuses spécialités, parmi lesquelles « Éducation et Motricité » et « Activité Physique Adaptée et Santé », trop rares sont les UFR qui proposent l’enrichissement réciproque de ces deux parcours dans le but de former des futurs enseignants d’EPS ayant une connaissance plus fine des pathologies et des process de gestion des inaptitudes fonctionnelles. Des personnels mieux formés pourront accueillir plus facilement au sein de leur classe des élèves présentant des problèmes de santé.
A l’échelle de l’institution ensuite, il faut multiplier les initiatives visant à clarifier et règlementer le contrôle médical des inaptitudes. Par exemple, pour lutter contre les dispenses d’EPS l’académie de Rennes a entrepris un travail partenarial s’inscrivant dans le Plan Régional « Sport Santé Bien-être en Bretagne ». Les IA IPR EPS collaborent avec le médecin conseiller technique du DRAJES et avec l’ARS. Un certificat médical type a été construit avec des médecins du CHU de Rennes afin de créer les conditions d’un dialogue entre médecins et enseignants. Il a été transmis à tous les enseignants et les personnels de santé scolaire. Au-delà, le concours de l’ARS et de l’assurance maladie permet d’envisager une diffusion vers les médecins du secteur civil et hospitalier.
Le certificat médical n’est pas un horizon indépassable, mais il peut constituer, pour les équipes éducatives qui le souhaitent, une ressource susceptible d’être annexée au règlement intérieur de chaque collège ou lycée. Son originalité tient aux illustrations concises et synthétiques soulignant le bénéfice de l’activité physique pour diverses pathologies. Il ne s’agit aucunement de substituer le professeur d’EPS au thérapeute, bien au contraire. Il s’agit de rétablir l’ordinaire, à savoir que l’activité physique est possible pour tous, qu’elle conditionne l’éducation de nos jeunes générations d’élèves et qu’elle constitue un déterminant de santé prépondérant.
Teddy Mayeko, MCF à Cergy Paris Université
Isabelle Couëdon, IA-IPR EPS dans l’académie de Rennes
Sophie Cha, Médecin du sport, conseillère à la DRAJES