« L’éducation à la sexualité est une obligation légale, inscrite au sein du Code de l’éducation » rappelle, dans un communiqué, Pap Ndiaye. Le ministre insiste sur l’importance de cette éducation. Il annonce de nouveaux programmes en novembre 2023 pour l’école, le collège et le lycée dès 2023, un plan de formation « ambitieux » et la création d’un « comité de liaison » réunissant « les acteurs mobilisés ». Des annonces importantes mais dont l’efficacité ne semble pas assurée. C’est que l’institution scolaire a déjà multiplié les textes et les rappels sans que rien ne change. Moins d’un élève sur cinq suit les 3 séances annuelles d’éducation à la sexualité imposées par la loi depuis 2001. Mais pourquoi cette résistance ?
De nouveaux programmes de l’école au lycée
« Afin de faciliter et d’accélérer cette mise en œuvre, le ministre a saisi le 23 juin 2023 le Conseil supérieur des programmes pour qu’il élabore, pour chaque niveau d’enseignement, une proposition de programme précisant les thèmes et les notions qui devront être abordés. Structuré par cycles, ce programme sera adapté à chaque niveau afin de couvrir les trois champs de l’éducation à la sexualité : biologique, psycho-émotionnel et juridique et social« , annonce le ministère le 27 juin. La lettre de saisine adressée au CSP le 23 juin demande que les programmes couvrent « les 3 champs de l’éducation à la sexualité : le champ biologique, le champ psycho-émotionnel et le champ juridique et social« . Car il s’agit de lutter contre « l’augmentation des violences sexistes et sexuelles » et donc de traiter de l’égalité filles – garçons, de « lutter contre toutes les formes de discriminations fondées sur l’identité de genre ou l’orientation sexuelle« . Le programme devra aussi prévenir les mineurs contre la prostitution et la pornographie.
Si « tous les enseignements disciplinaires » sont impliqués dans l’éducation à la sexualité (EAS), la lettre signale que c’est « en particulier les SVT« . Mais elle invite à « expliciter les relations avec les contenus d’enseignement des autres disciplines et le socle commun« . Les programmes devront aussi rappeler les principes éthiques de mise en œuvre de l’EAS.
Formations et indicateurs
Le communiqué ministériel annonce aussi un « plan de formation ambitieux, organisé en trois niveaux (sensibilisation de tous les personnels, approfondissement pour les personnels prenant en charge les séances, formation des conseillers pédagogiques) » qui sera déployé durant l’année scolaire 2023-2024.
Le communiqué introduit deux nouveautés. D’abord la publication annuelle d’une enquête sur la mise en œuvre par les écoles et établissements de l’EAS. Il devrait donc y avoir des indicateurs qui pourraient éventuellement être introduits dans la loi de finances.
Autre nouveauté : un « comité de liaison » réunissant « l’ensemble des acteurs » et notamment les fédérations de parents d’élèves.
Introduite en 1973 l’EAS touche moins d’un élève sur cinq
Ces nouveautés peuvent-elles faire avancer la cause de l’EAS ? Une enquête de l’Inspection générale de 2021 a établi que seulement 15% des écoliers et lycéens bénéficient des 3 séances annuelles d’EAS imposées par la loi depuis 2011. Au collège cela concerne 20% des élèves. Une grande majorité des élèves n’ont donc pas accès à un enseignement obligatoire. Il est même probable qu’un grand nombre d’élèves n’auront jamais eu de séance. Cette situation n’est pas nouvelle. Une autre enquête de 2017, un rapport de l’IGAS de 2010 trouvaient des proportions comparables.
Pourtant l’EAS est, en théorie, un enseignement ancien et qui devrait être bien installé. L’information sexuelle obligatoire a été introduite en 1973 et l’EAS est apparue en 1996. Une loi impose les 3 séances annuelles minimum depuis 2001.
Les circulaires s’entassent en vain
Les circulaires se sont multipliées pour rappeler leur importance. Pour prendre les plus récentes, une circulaire de 2018 définit les objectifs de l’éducation à la sexualité avec déjà les 3 champs rappelés par le ministre. Elle rappelle l’obligation des 3 séances annuelles et impose un pilotage et un suivi académiques. Déjà il est question de la formation des professeurs.
En 2022, Pap Ndiaye signe une nouvelle circulaire pour rappeler le caractère obligatoire des 3 séances annuelles et appeler au « renforcement« . « Tous les élèves doivent bénéficier d’une éducation à la sexualité adaptée à leur âge. Pourtant, l’effectivité de ces séances demeure très inégale depuis plusieurs années, alors que les élèves sont souvent confrontés, notamment dans l’univers numérique, à des représentations sexistes, voire dégradantes. Les inspecteurs et inspectrices de l’éducation nationale du premier degré, les directeurs et directrices d’école et les chefs d’établissement organiseront donc le renforcement de l’éducation à la sexualité« , dit P Ndiaye. « L’objectif premier consiste à assurer la mise en œuvre effective, dès cette année scolaire, des trois séances annuelles d’éducation à la sexualité« . Les directeurs d’école doivent inscrire l’EAS à l’ordre du jour du conseil d’école et les chefs d’établissement au CESCE. « Plus généralement, l’éducation à la sexualité fera l’objet d’une réflexion collective pour alimenter le projet d’école ou le projet d’établissement, avec l’ambition partagée d’agir pour le bien-être des élèves ». Et déjà, Pap Ndiaye annonce « une enquête nationale (qui) aura lieu chaque année auprès des écoles et des établissements scolaires afin de mesurer l’effectivité de la mise en œuvre de l’éducation à la sexualité« . Enquête dont on attend la publication…
Le rapport des inspectrices générales E Liouville et AM Romulus de juillet 2021pointait pourtant un certain laisser aller réglementaire. « Il paraît en effet nécessaire de compléter l’article L. 132-16 qui a prévu au moins trois séances annuelles sur l’éducation à la sexualité en 2001 sans fixer les modalités essentielles de leur mise en place (en particulier l’intégration dans les emplois du temps)« , écrivaient-elles avant de proposer une mesure pour dépasser ce stade. « Il paraît également utile d’inscrire des notions d’éducation à la sexualité dans les programmes de certaines disciplines appartenant au domaine des sciences humaines, économiques et sociales et liées à l’EAS dont les enseignants seraient amenés à contribuer à la mise en œuvre de cette éducation« , proposaient-elles. Elles recommandaient « une équipe référente » et « un tableau récapitulatif » dans chaque établissement avec « des bilans annuels à tous les niveaux, local, départemental, académique« .
Autant de recommandations, de rapports, de circulaires montrent que l’Education nationale a bien un problème avec l’EAS. Les textes s’empilent. Les rappels se font de plus en plus pressants sans que rien ne bouge concrètement sur le terrain.
Une zone sensible de l’Education nationale
C’est que l’EAS entre, comme d’autres sujets comme la citoyenneté lycéenne, dans une zone sensible de l’Education nationale. Le rapport de l’Inspection l’a bien vu. Pour lui, « l’éducation à la sexualité est invitée à prendre en considération des objectifs de plus en plus divers, parfois controversés, que les élèves, les parents, ou même certains personnels de l’éducation nationale, ont du mal à cerner« .
Si l’on avait des doutes, il suffit de relire la circulaire de 2018. Elle multiplie les gestes de prudence. « L’éducation à la sexualité se fonde sur les valeurs humanistes de liberté, d’égalité et de tolérance, de respect de soi et d’autrui« , dit-elle. « Elle doit trouver sa place à l’école dans un esprit de laïcité, de neutralité et de discernement… En effet, l’éducation nationale et l’ensemble de ses personnels agissent, en la matière, dans le plus grand respect des consciences et fait preuve d’une grande vigilance pour que les enseignements soient pleinement adaptés à l’âge des enfants… L’enfance et l’intimité sont pleinement respectées« . Le même texte établit des « principes éthiques » que doivent suivre les intervenants. Par exemple : « permettre aux enfants et aux jeunes de repérer ce qui relève de la sphère privée et de la sphère publique, et maintenir les échanges dans la sphère publique. Ce qui est débattu dans le groupe doit pouvoir être entendu par tous dans l’institution« .
En matière d’EAS, l’Education nationale marche sur des œufs. Certes la plupart des enseignants sont peu formés et préparés pour cet enseignement. Surtout, l’Education nationale peut multiplier les circulaires. Les personnels sur le terrain, de tous grades, savent que les appliquer est une expérience risquée. L’expérience de l’enseignement du genre en 1ère, le souvenir des « ABCD de l’égalité » ont été éclairants. Les enseignants et les cadres de l’éducation savent qu’aborder l’EAS les expose à de violentes campagnes venues de la droite et l’extrême droite. La campagne de la Journée de retrait de l’école, en 2014, avec ses affabulations démentes et ses diffamations, a montré la virulence de cette question dans la société française. Elle a aussi traumatisé les enseignants qui ont senti qu’ils risquaient de perdre la confiance d’une partie des parents. Confiance qui est indispensable à leur mission.
C’est sans doute ce qui amène Pap Ndiaye à mettre en place un « comité de liaison » avec les parents. Mais on peut douter que cela suffise pour faire évoluer les représentations d’une partie de la société française. L’Ecole peut faire beaucoup. Mais elle ne peut ni aller contre la société ni se mettre en danger.
François Jarraud
Les profs l’école et la sexualité