À Marseille, Macron a fait du Macron. Il a annoncé des mesures importantes, mais sans avoir concerté les enseignants, les familles, les collectivités… et à moyens constants. Scolarisation des enfants de moins de trois ans, collèges ouverts de 8 à 18 heures, découverte des métiers toutes les deux semaines dès la cinquième, baisse des effectifs en moyenne section et vacances trop longues… Autant d’annonces que syndicats, enseignants, et même le ministère de l’Éducation nationale pour une partie d’entre elles découvraient. « Personne n’ était au courant » nous dit Guislaine David du SNUipp-FSU. « Le Président décide, il n’y a plus de ministre de l’Éducation nationale ». Grand absent de la visite de lundi, Pap Ndiaye est apparu hier derrière le Président.
Alors que les annonces sur l’École étaient attendues mardi matin, c’est lors d’un débat avec les habitants du quartier de Busserine à Marseille, qu’Emmanuel Macron a annoncé de multiples changements concernant l’École, à Marseille et en éducation prioritaire surtout. Des annonces qui ont surpris les totalité des syndicats d’enseignants.
Des annonces sans concertation préalable
« On se dit que les collègues au ministère qui préparent la circulaire de rentrée se sont fait couper l’herbe sous le pied… », réagit Catherine Nave- Bekhti du Sgen-Cfdt « Toutes ces annonces n’ont fait l’objet d’aucun travail préparatoire avec personne. En tout cas pas avec les organisations syndicales représentatives des personnels. Je crains que cela n’ait pas été non plus concerté avec les collectivités locales qui vont avoir à mettre en place les annonces présidentielles dans l’urgence. Cela fait plusieurs mois que nous sommes dans une séquence ou soit c’est un fait d’actualité soit une annonce présidentielle qui sont à l’origine de nouveaux dispositifs. On les empile, on les juxtapose. Mais quel en est le sens ? À quel moment on se soucie de la faisabilité de tout ça ? C’est délétère pour le système éducatif et les personnels ».
« La temporalité de ces annonces est tout de même ambigüe » nous confie Élisabeth Allain-Moreno du SE-Unsa. « Évoquer la scolarisation dès deux ans et les collèges ouverts de 8 à 18 heures lors de la journée dont la thématique est dédiée à la lutte contre la délinquance, ça envoie le message que plus on va garder les enfants longtemps à l’école, plus on va les protéger de la rue, du quartier, de la violence extérieure. C’est regrettable. Ca dénote d’une vision de l’école qu’au SE-Unsa on ne partage pas. L’école ne peut pas tout. On ne peut pas protéger vos enfants de la violence, de la délinquance, laissons-les à l’école le plus longtemps possible nous dit le Président. Sauf que ça marche pas. L’école ne travaille pas toute seule, l’école est ouverte sur l’extérieure ». La secrétaire générale s’interroge aussi sur le manque de préparation en amont de ces annonces. Comment faire venir les élèves sur ces temps élargis ? Comment mobiliser les parents pour qu’ils scolarisent leurs enfants dès deux ans ? Autant de questions qui auraient mérité des concertations avec les acteurs. « Autre souci avec la vision du Président, c’est qu’au-delà du fait que l’École ne peut pas tout, son fonctionnement est rigoureux, complexe. Tout est millimétré, chaque mesure annoncée perturbe l’organisation de l’école. Faire des annonces, cela veut dire tout recommencer sur le terrain parfois ».
« On ne peut pas prendre l’école à la légère et l’utiliser comme objet d’affichage politique. L’école, c’est précieux, c’est fragile. Annoncer quelque chose sur l’école demande que cela ait été pesé, concerté. Ces annonces sans rien derrière, c’est un travers de notre président » s’agace Élisabeth Allain-Moreno. Ce qui agace aussi la responsable syndicale, c’est que depuis l’arrivée de Macron au pouvoir, les baisses de postes sont drastiques. « Toutes les mesures prises depuis 2017 ont été à moyens constants, sans postes supplémentaires. Comment accueillir des élèves s’il n’y a pas d’enseignant, si les collectivités n’ont pas anticipé le recrutement d’ATSEM… ».
Au SNUipp-FSU, on en vient presque à regretter Blanquer, c’est dire. « Le président décide, y a plus de ministre de l’Éducation nationale » s’agace Guislaine David. « Ces annonces ne partent pas du ministère de l’éducation nationale. Avec Blanquer, on avait un surinvestissement, aujourd’hui c’est l’inverse. On se demande si le cabinet du ministère, ou même la DGESCO sont à l’œuvre. Ils n’ont répondu à aucune de nos questions sur les annonces présidentielles ».
La porte-parole du SNUipp-FSU voit aussi dans les annonces présidentielles, une forme de condescendance vis-à-vis des quartiers populaires et de leur population. « Ce côté presque paternaliste est insupportable. On sait bien comment il voit la réussite des élèves de ces quartiers : le mérite, les internats d’excellence… C’est en sortir quelques-uns de leur condition mais pas lutter contre les inégalités ».
Trois mois de vacances ?
« L’inégalité revient quand on a des vacances de trois mois » a lancé le Président lors de sa visite de l’école de la Castellane. Pour rappel, contrairement aux idées reçues, les élèves français ont moins de vacances que beaucoup de leurs voisins. Et quant à l’allusion des après-midis libérés des petits allemands, le Président devrait savoir que l’Allemagne est revenue dessus à la suite des résultats Pisa…
Pour autant, cette petite phrase fait grincer des dents du côté des professeurs. Le SNUipp-FSU rappelle qu’il demande depuis des années que le calendrier scolaires soit revu, « le rythme idéal pour les élèves est 7 semaines de classes, 2 semaines des vacances. Ca n’a jamais été mis en œuvre. Pas parce que les professeurs tiennent trop à leurs vacances mais parce que le lobby du tourisme est beaucoup trop puissant ». « Est-ce qu’annoncer qu’il faut diminuer les vacances d’été, c’est garder les élèves de milieux populaires dans les écoles pendant que les autres partent en vacances ? », interroge Guislaine David. « Car on sait bien que ceux qui désertent l’école avant le 7 juillet, ce sont ceux qui partent en vacances. A quand un renforcement des moyens de l’éducation populaire pour permettre aux gamins qui ne partent jamais de découvrir eux aussi la mer, la montagne ? C’est ça lutter contre les inégalités, ce n’est pas une annonce pleine de préjugés sur le fait que les profs auraient trop de vacances. C’est vraiment insupportable ».
Annoncer moins de vacances en été, c’est aussi faire fi du réchauffement climatique nous dit la responsable du SNUipp-FSU. « Une telle annonce mérite un travail en amont très important. Scolariser les élèves lorsqu’il fait plus de 30 degrés dans les classes, c’est tout bonnement impossible. On le voit aujourd’hui avec leur plan de lutte contre la canicule où il est demandé de trouver une salle de classe par école, oui Une, pour regrouper les élèves en cas de forte chaleur ».
Scolarisation des moins de trois ans : un dispositif liquidé sous l’ère Macron
Quant à la scolarisation des enfants de moins de trois ans, des postes avaient été créés sous Hollande pour scolariser les enfants dès deux ans en éducation prioritaire, « avec une volonté de tendre vers 50% de ceux scolarisés en Rep+ et 30% de ceux en Rep » rappelle Guislaine David. « Depuis 2017, et l’arrivée de Macron au pouvoir, le dispositif a été vidé de ses moyens afin de financer le dédoublement des classes en REP, effectués à moyens constants ». En 2000, un enfant sur trois de moins de deux ans était scolarisé, en 2005, un sur quatre, 11% en 2018 pour chuter à 9% en 2020. « La priorité n’a pas été mise sur le dispositif depuis 2017, alors cette annonce sans aucun travail préparatoire est plus qu’agaçante » s’irrite Guislaine David. « La maternelle dès 2 ans en éducation prioritaire ? C’est très bien sur le fond, mais pourquoi ne pas avoir soutenu cette politique en 2017 ? » interroge quant à elle Nave Bekhti. « Avec quels moyens pour faire alors qu’on manque de professeurs des écoles ? Quel soutien aux municipalités pour recruter et rémunérer les ATSEM ?Au passage ça veut dire que nombre de communes concernées doivent rouvrir la campagne d’inscription scolaire, certaines manqueront peut-être de locaux scolaires ? Bref, quelle étude d’impact a été menée ? Quels budgets sont prévus ? ». « La rentrée, c’est demain en fait » ironise-t-elle.
Et oui, la rentrée, c’est demain. Une réalité dont ne semble pas être au fait l’Élysée. Le Président sera encore à Marseille aujourd’hui. Quelle nouvelle surprise réserve-t-il au monde de l’École ?
Lilia Ben Hamouda