La nouvelle exposition permanente du Musée del’immigration tente avec humanisme une médiation entre histoire politique et sociale et parcours de vie personnels. Une visite dont il faut se saisir pour enseigner l’Histoire de France mais aussi pour une éducation à la citoyenneté vive et éclairée.
« Il était une fois l’Aurore »
La maquette en bois de ce grand trois mâts nantais transportant des esclaves embarqués pour l’Amérique est le premier élément du parcours « enfant » de la nouvelle exposition permanente du musée de l’immigration de la porte dorée à Paris. C’est l’année 1685, date à la fois de la promulgation du Code Noir par Colbert et de la révocation de l’Edit de Nantes qui va engendrer l’exil de près de 100 000 huguenots, une des plus grandes émigrations de l’histoire de France, qui donne le départ d’un voyage en onze dates clés. Composée d’archives et d’œuvres d’art contemporain, l’exposition apparaît comme un dialogue. Entre le passé et le présent, entre l’intime et la géopolitique, entre les émigrations et les immigrations, entre les cultures, entre les multiples pays d’origine et la France.
Une démarche que confirme Camille Schmoll, géographe et une des commissaires scientifiques de l’exposition : « Nous avons souhaité déplacer le regard, nous appuyer sur l’histoire du passé pour éclairer les enjeux contemporains. Donner une profondeur de champ en prenant du recul sur les questions d’aujourd’hui. »
Qu’il s’agisse du parcours adulte comme de celui destiné au 8-12 ans, la diversité des sources retient l’attention : tableaux, services en faïence, journaux, textes de lois, bustes, lustres, lettres, photographies, marionnettes, affiches, bottes de poilus, films, objets personnels… viennent jalonner les différents espaces. Pour le jeune public, une vingtaine d’objets sont sélectionnés pour donner à comprendre cette histoire chronologique des mouvements de population. Rappelons qu’aujourd’hui en France près d’un tiers des personnes sont immigrées ou enfants ou petits-enfants d’immigré.es.
Si les textes des cartels spécifiques sont abordables et si le vocabulaire est expliqué dans un livret accompagnant, la complexité n’est pas pour autant mise de côté. Camille Schmoll présente ainsi le projet : « Parler de la diversité des circulations, des aller-retours. Donner une dimension politique, économique et sociale, tout en abordant la vie quotidienne, les histoires des personnes ».
Les départs et l’accueil
Chaque section est une immersion dans des destins singuliers et dans l’Histoire, illustrée par un document d’archive ou une photo de Robert Capa ou un casque de chantier d’un ouvrier portugais, Manuel Baptista de Matos, ou une installation de l’artiste Barthélémy Toguo…
«Il était une fois la carte d’identité » pour encadrer les séjours des travailleurs étrangers en 1937.
« Il était une fois la fuite » de la Retirada et de l’exode des républicaines et républicains espagnols sur les routes de France en 1939. « Il était une fois le travail » et la reconstruction de la France dans un contexte de croissance économique et d’indépendance de l’Algérie. « Il était une fois aujourd’hui… » et encore des bateaux : une barque frêle trop chargée et l’Aquarius, navire secourant les naufragé.es de méditerranée…
La visite ose aborder les problématiques du départ et de ses multiples raisons (esclavage, colonisation, décolonisation, guerre, misère, étude, travail, familles…) comme de l’accueil (entre protection et hostilité, entre montée du racisme et lutte commune).
Au fil des salles, on aborde la question des contrôles, des droits, des discriminations, des politiques fluctuantes d’immigration, des frontières européennes, des bidonvilles ou des camps, des stéréotypes, de l’identité -et pas que de sa carte-, des rencontres, du multiculturalisme, des racines, des transmissions…
« Nous avons voulu nourrir de notions, de connaissances appuyées par des données scientifiques, sociologiques mais aussi des émotions puisqu’il s’agit aussi de parcours de vie » note Sébastien Gökalp, directeur du musée et commissaire général. « Notre objectif est de pouvoir poser sereinement ce qu’a été, et ce qu’est l’histoire de l’immigration en France, avec des zones qui sont douloureuses, difficiles, avec des réussites, des métissages qui font le visage de la France d’aujourd’hui, mais aussi avec des luttes, des difficultés d’accès à la nationalité, un droit qui a beaucoup évolué. On ne doit pas avoir peur de la complexité. » explicite de son côté Constance Rivière, directrice générale du Palais de la Porte dorée.
La volonté d’éclairer cette histoire de l’immigration en la rendant accessible à des publics divers s’appuie sur un travail de vulgarisation étayée. En plus du livret enfant, il existe un guide pour les personnes en apprentissage du français et la visite est accessible en de multiples langues. Des dispositifs de médiation permettent des visites accompagnées. Un fascicule d’activités pédagogiques et des ressources sur le site viennent aussi inciter les enseignant.es à se saisir de cette nouvelle exposition dès l’école primaire, avec des parcours où la visite temporelle est étoffée de thématiques variées telles que la presse, la vie quotidienne, le travail, la place de femmes ou l’art, dont un parcours littéraire ou une salle de musique spécifique.
« J’ai deux amours, mon pays et Paris ! » chantait Joséphine Baker. Un trait d’union entre les racines et la France que l’on retrouve dans les photos des « voitures cathédrales » qui ne manqueront pas de faire parler les élèves. Et c’est bien tout l’enjeu de cette exposition, comme les témoignages des jeunes de Sarcelles en fin de parcours : créer des liens en éclairant et interrogeant la France d’aujourd’hui au regard de l’histoire des circulations et échanges de population qui constitue notre histoire humaine commune.
Cerise Lenoir