La doctrine technique du numérique pour l’éducation est enfin publiée. Selon Bruno Devauchelle, spécialiste de la question du numérique, elle risque de « changer assez globalement, à terme, l’environnement informatique des établissements scolaires, tant sur le plan administratif que sur le plan pédagogique ». Il revient sur les enjeux et les répercussions sur l’École de ce document.
Devant les critiques récurrentes des acteurs de l’éducation face à l’abondance de services et de logiciels dédiés, le ministère semble vouloir réagir. Il faut bien reconnaître que l’ergonomie des différents services mis en place laisse souvent les utilisateurs dans une sorte de perplexité, voire une angoisse, et aller parfois vers un refus de les utiliser (Parents, enseignants, élèves même). Dans un récent document publié par le Conseil National du Numérique – Cnnum –, on y trouve cette phrase, reprise par les médias : « la méfiance peut se muer en rejet des acteurs publics« . Cet organisme publie sur son site nombre de documents intéressants qui ont dû inspirer le ministère via sa direction du Numérique pour l’Éducation pour ainsi publier une « doctrine technique« . Il était temps de remettre de l’ordre et de prendre en compte réellement les utilisateurs.
La doctrine, une idée ou des lois ?
La doctrine technique du numérique pour l’éducation vient d’être mise en ligne et rendue publique. Même si elle est appelée à être complétée (des parties ne sont pas finalisées, des textes de loi devront en décliner) cette doctrine risque de changer assez globalement, à terme, l’environnement informatique des établissements scolaires, tant sur le plan administratif que sur le plan pédagogique. Pourquoi ? Parce que d’une part elle tente d’imposer à tous les acteurs informatiques impliqués un cadre, des normes… et que d’autre part elle devrait faciliter le fonctionnement du monde scolaire au service de tous ses usagers, parents, élèves, enseignants, personnels d’encadrement (locaux ou académiques).
20 ans après le lancement des ENT lors de l’université d’été de la communication de Hourtin en 2003, 10 ans après La loi de refondation de l’école de la République qui a créé en 2013 le « service public du numérique éducatif« , quatre mois après la présentation de la stratégie ministérielle pour le numérique éducatif, sommes-nous devant une logique globale et cohérente ? Cette doctrine, dont nous donnons plus loin les grandes lignes et présentons l’intention, est donc un aboutissement à défaut d’un « redémarrage » d’une initiative de recherche de cohérence de l’action publique dans le domaine du numérique éducatif. Alors qu’il y a quatre ans, environ, certains acteurs de l’informatique scolaire demandaient une « normalisation »à la place d’un schéma directeur (SDET), il semble que l’orientation présentée ici aille dans ce sens, puisque des textes de lois sont annoncés et donc devraient « cadrer » les pratiques de ces acteurs au moins partiellement, au service des utilisateurs.
La doctrine, des mots, des intentions et bientôt des actions ?
Bien sûr, cette doctrine pourra sembler très éloignée des préoccupations des enseignants peu au fait des arcanes de l’informatique éducative à l’ère numérique. Par contre, on peut espérer qu’elle se traduira rapidement par des évolutions techniques qui seront perceptibles par tous les acteurs du quotidien de l’école (et pas seulement les cadres intermédiaires…). Nous essayons ici de « traduire » en partie ce document pour exprimer ce qui concernera au mieux tous et chacun. En direction des professionnels, cette phrase clé « faciliter l’intégration des systèmes pour fournir une offre de services finale centrée sur les besoins de l’usager » (p.13) sonne comme un rappel à l’ordre au vu de la cacophonie antérieure, en particulier dans les différentes applications « autour » de l’établissement.
Il et intéressant de noter que si le premier chapitre de fond concerne les « porteurs de projets » (autrement dit les entreprises informatiques), le suivant s’adresse aux acteurs des établissements et en particulier aux chefs d’établissements et directeurs(trices) des écoles. Il y a une réelle volonté de définir les termes et expressions utilisées qui permet de mieux comprendre le texte. « En pratique, la plupart des processus et activités s’appuyant sur l’organisation pédagogique définie par le chef d’établissement sont réalisées à l’aide de solutions numériques. […] Les espaces numériques de travail, les systèmes d’information d’évaluation ou de certification s’appuient, eux aussi sur cette organisation. Sa circulation fluide sans ressaisie au passage d’un outil à l’autre contribue à simplifier les tâches et à faciliter les usages. » (p.20). On trouve ici un des axes essentiels qui était souvent reproché par les personnels d’encadrement : la lourdeur d’utilisation des logiciels spécifiques (d’où, par exemple, la place prise par l’acteur privé Pronote… désormais repris par la société Docaposte).
Pour les enseignants ou pour l’encadrement ?
Pour ce qui concerne les enseignants, on comprend bien que l’enjeu est autant autour de la salle de classe que dedans. Dehors cela concerne l’emploi du temps, les notes, les évaluations, le cahier de textes. Dedans cela concerne surtout les ressources mises à disposition (au travers du GAR – Gestionnaire d’Accès aux Ressources). Étonnamment, un passage court mais très explicite est consacré à une modalité d’enseignement fondée sur les moyens numériques au coeur de parcours scénarisés : « Les parcours scénarisés numériques permettent à l’apprenant d’avancer à son rythme et de poursuivre un objectif d’apprentissage, de développement de compétences ou connaissances, avec des fonctionnalités basées sur la guidance, la différenciation, la personnalisation, la remédiation, la possibilité de non-linéarité, de retour (feedback) immédiat, le droit à l’erreur et la présence d’activités sociales. »
Les personnels d’encadrement se sentiront particulièrement concernés par ce passage : »Le pilotage des missions éducatives implique une démarche de management des activités et dispositifs d’action, sous contraintes organisationnelles, juridiques et financières, dans une perspective stratégique prenant en compte les objectifs essentiels d’enseignement, d’éducation, de socialisation, d’orientation ou encore de préparation à la vie professionnelle. » (p.25) Un peu plus loin on lit : « Les outils choisis par les établissements scolaires et les écoles […] Ils s’inscrivent dans le projet d’établissement et participent à la politique documentaire de l’établissement scolaire. » (p.30). On peut donc constater au travers de ces lignes un renforcement de la « compétence de pilotage des moyens numériques » par les personnels d’encadrement. Ceci va surement nécessiter un renforcement de la formation continue de ces personnels (comme on peut le constater depuis longtemps au travers du dispositif MADOS – Master à distance de management des organisations scolaires, présenté par le Café à plusieurs reprises).
Conclusion : encore un peu fouilli, mais la suite est à venir.
Ce texte semble bizarrement organisé : on a l’impression que l’on fait des va-et-vient entre les différents destinataires. Cela ne facilite pas la lecture et laisse à penser que les auteurs vont avoir du travail de clarification, soit au travers d’ajouts à ce texte (envisagés apparemment, et annoncés) mais surtout au travers d’actions effectives facilitant la vie quotidienne. Les mots-clés de ce texte : interopérabilité, authentification, sécurité, accessibilité, écoconception et même éthique, sont rassemblés ici (p.46) et semblent constituer l’ossature de base et l’intention première des auteurs. On peut noter ici une accélération réelle d’un processus qui touche d’abord l’amont de la salle de classe. A la dispersion et à la cacophonie antérieure (on peut penser que c’est l’observation qui a prévalu à ce texte), semble émerger une volonté « d’harmonisation » qui, espérons-le ne se résumera pas à une simple « normalisation » voire « uniformisation ». On ressent bien sûr l’influence des travaux du « Cnnum » évoqués au début de ces lignes. Les informaticiens ont développé de nombreux outils, mais la dispersion des acteurs dans le monde de l’éducation (en particulier les directions informatiques académiques) n’a pas aidé à une harmonisation. Chacun a travaillé dans son sens avec ses convictions et des propres choix. Les utilisateurs, manifestant leurs craintes et leurs refus parfois, semblent avoir marqué des points auprès des politiques. Souhaitons que cela réponde réellement aux besoins et cela en prenant en compte aussi la nécessaire attention à l’environnement au sens large du terme.
Bruno Devauchelle