Aurélie Badard est professeure de physique-chimie. Elle a souhaité proposer son analyse des résultats des épreuves de spécialité. Elle pointe et interroge les écarts importants entre les résultats à ces épreuves et la notation annuelle.
Je me suis déjà exprimée sur les affres du calendrier de la classe de terminale et sur le stress engendré que cela soit pour les élèves, leur entourage ou leurs enseignants. Aujourd’hui, au regard de cette première session et des résultats, je reste dubitative mais il me semble saisir un peu mieux ce qui a pu motiver cette décision.
Sans le dire explicitement, en imposant une note en avril, le ministère faisait le choix d’une note « commune » à tous les élèves.
En effet, il est intéressant de regarder l’écart entre la notation annuelle et la note de nos élèves à l’examen. J’imagine que grâce à la précocité de l’examen, les algorithmes « de tri » des dossiers sur Parcoursup vont être sensibles à cet indicateur. Cet écart, s’il est faible, peut montrer que le curseur de l’évaluation annuelle était au même niveau que les attentes à l’examen national. A l’inverse, s’il est important montrerait-il que la bienveillance ou l’exigence sur la notation en cours de formation ont été portées à l’excès ?
Ce delta, s’il existe, interroge sur le curseur de l’évaluation et de l’équité.
Sous la pression des familles, des élèves mais aussi de notre encadrement administratif et pédagogique, il n’est pas toujours aisé d’organiser son évaluation sereinement. Ne soyons pas dupes, il y a une mise en concurrence frontale des disciplines, et même des enseignants au sein d’une même discipline.
Les élèves et leurs parents font des choix tactiques leur permettant d’avoir les meilleures notes dans le cadre de Parcoursup.
Si telle discipline est réputée pour avoir une notation particulièrement bienveillante, les élèves, parfois en dépit du projet d’orientation mais en fins stratèges, la choisissent.
Si tel prof est connu pour avoir une moyenne générale globalement plus élevée que ses collègues, on croise les doigts pour l’avoir quel que soit la qualité de son enseignement.
On observe une vraie dérive : un bon prof serait alors un prof qui met des bonnes notes
Et si un élève voit sa moyenne baissée d’une année à l’autre, la plupart du temps, il fait reposer la faute sur le prof. Alors, qu’au contraire, il pourrait être instructif que l’élève s’interroge sur le niveau d’exigence qui augmente d’année en année. Il pourrait être formateur pour lui qu’il mette en perspective ses méthodes, la qualité ou la quantité du travail fournit mais cela reste beaucoup plus simple d’incriminer l’enseignant.
Combien de fois ai-je entendu : Je ne comprends pas, il avait de bien meilleures notes avec monsieur X ou madame Y !
Certains collègues se sont offusqués de notes faibles des élèves lors des épreuves de Mars dans certaines spécialités mais ce sont-ils interrogés sur la possibilité d’une largesse pas nécessairement consciente de leur notation annuelle ?
Le niveau des élèves baisse selon les dernières études menées à l’échelle européennes. Mais qu’en est-il des notes des élèves ? Il pourrait être instructif de mettre en parallèle ces données.
Ma réflexion m’a amenée à faire évoluer mon point de vue. Je crois que cette note commune à tous les élèves peut être un bon indicateur dans le cadre de Parcoursup gommant en partie des inégalités de traitement entre établissements, entre spécialités, entre enseignants.
Mais il n’empêche que cette réforme reste discutable et, selon moi, il faudrait déjà urgemment travailler sur deux leviers. Banaliser une semaine entière pour que les élèves d’une même spécialité passent le même examen et le décaler en avril. Décaler et resserrer le calendrier Parcoursup : saisie début mai de la note de spé pour des réponses mi-juin.
Ces possibles évolutions n’apporteront malheureusement pas de réponse au désengagement des élèves passée l’épreuve de spécialité. Et, là aussi, il va falloir se montrer créatif et inventif pour que les élèves trouvent du sens à leur présence au lycée après cette échéance car, visiblement, pour le vivre, la préparation du grand oral et la fin des programmes ne sont pas des leviers suffisants à leur motivation.
Le « chantier du progrès » doit déjà commencer par un constat de réalité : la réforme du lycée est très imparfaite et des ajustements devront être menés pour pouvoir faire baisser la tension qui ne cesse de monter au sein de nos établissements.
N’attendons pas que les plombs ne sautent car il n’y a, malheureusement, plus trop de fusibles de rechange …
Aurélie Badard (professeure de physique chimie)