S’inspirer de la nature pour créer des séquences d’apprentissage en mathématiques, c’est ce que prône Claire Lommé. Elle présente ici l’atelier qu’elle a mené lors de la journée régionale de l’APMEP – Association des Professeurs de Mathématiques de l’Enseignement Publique.
Premier avril, un samedi matin, il est tôt. Je suis vraiment fatiguée : dure période, longue semaine, on s’est couchés tard hier soir, il pleut des cordes, et là je dois faire une petite heure de route pour participer à la journée de la régionale de Haute Normandie de l’APMEP. Mais pas question de rater ça : d’une part j’interviens pour animer un petit atelier, d’autre part je sais que la journée va me regonfler. Et puis en plus j’emmène Édith Petitfour, la conférencière. Alors hop, douche-thé-tartine et en route.
Le trajet passe très, très vite : Édith et moi devisons sans interruption, entre projets de travaux dans nos maisons, analyse de séance autour d’un dispositif étudié ensemble et questions didactiques sur la résolution d’équations. Une fois arrivée, que de bonnes surprises : en plus des copains-copines que j’espérais bien croiser, il y a là des collègues perdus de vue il y a longtemps, ou qui viennent de loin. Café, cookies, maths et sourires : pas de doute, ici on est bien.
La matinée est consacrée à écouter Édith Petitfour nous parler de l’enseignement des mathématiques pour les dyspraxiques, mais sans oublier les autres. Sa conférence est lumineuse : accessible, exigeante, concrète mais appuyée sur des éléments théoriques, constructive et tolérante. Je mesure la chance que j’ai eue : accueillir Édith dans ma classe pour qu’elle teste son dispositif, il y a déjà des années. Elle a sans nul doute joué un rôle très fort de catalyseur dans ma réflexion sur l’inclusion et dans mon enseignement au quotidien. Elle m’a accompagnée et m’a outillée.
C’est la pause du midi. Ah, oups, j’ai oublié d’amener mon pique-nique… Je le chuchote à ma voisine, et paf, je me retrouve avec une avalanche de nourritures devant moi. Et la cuisine de la présidente de la régionale de Haute Normandie, croyez-moi, c’est quelque chose ! Ma pause méridienne s’achève en ouvrant l’après-midi sur un détour mathématique événementiel, autour du premier avril. Puis hop, je vole vers mon atelier.
J’ai à animer un atelier sur les balades mathématiques. J’ai préparé un petit support, pour expliquer comment on prépare ses élèves à partir en balade. Je n’en écris pas plus ici : je prépare une série d’articles sur ce thème sur Pierre Carrée. Après cette entrée en matière, nous allons toutes et tous ensemble joyeusement nous promener, profitant du répit des averses incessantes en ce moment, et au son de mon « Allez hop, tout le monde dehors ! » tant et tant claironné à des groupes de petits, de grands, de scolaires, de familles, de collègues… Les balades, c’est vraiment une activité que j’aime et que j’aime animer. Parce que ça marche super bien, parce que les élèves se trouvent vraiment en activité mathématique, au travers d’une balade. Et puis ça change : on bouge, on échange, on crée, on débat.
Les collègues participants sont vraiment extra : nous partageons des idées, des doutes, des questionnements, des idées, joyeusement. Après une demi-heure dehors, nous rentrons pour parler de nos observations et de nos photos. A la question « avez-vous eu des idées, alors ? », tout le monde s’amuse : oooooh oui, elles et ils en ont eu, des idées ! Nous avons collecté un gros, gros paquet de photos. Il y a de tous les domaines : nombres et calculs, espace et géométrie, mesures et grandeurs, et de la proportionnalité concept-clef inter-domaine. Certaines photos sont accompagnées d’idées de consignes que je n’ai jamais encore eues ni rencontrées.
Quelle proportion de la fenêtre est-elle occupée par le rideau ? Sur cette grille d’évacuation des eaux de pluie, quelle partie est la plus efficace : celle avec les trois orifices verticaux, ou celle avec les deux horizontaux ?
Nous débattons aussi sur des points quasi philosophiques : dans la réalité, les objets, naturels ou artificiels, peuvent se rapporter à des objets mathématiques, mais n’en sont pas au sens propre. Par exemple, les panneaux routier « carrés » ne sont pas des carrés. Au lieu d’angles aux sommets tout pointus, ils dessinent des courbes douces. Alors on fait quoi, avec nos élèves ? On élude, on cherche la précision, on étudie les situations réelles plus complexes que leur modélisation ? Hé bien justement, le mot est lâché : « modélisation ». On en parle. Pour faire des mathématiques, on doit modéliser. Avec en principe un retour et des adaptations à la réalité. Ces adaptations ne sont pas forcément à la portée de nos élèves, car elles demandent un bagage mathématique parfois complexe. Mais qu’importe ! On assume la modélisation, en insistant bien sur ce passage, en l’explicitant au maximum. Non seulement nos photo-problèmes vont mettre les élèves en activité mathématique, mais nous allons pouvoir discuter de l’activité mathématique même ! Et même avec des petits, ça marche, je vous l’assure par expérience.
L’atelier se termine. Chacun repart vers son chez-soi, sourire aux lèvres. Le retour semble aussi rapide que l’aller : Édith et moi repapotons joyeusement, avec nos découvertes du jour à partager. Et puis nous allons travailler ensemble vendredi prochain, dans un groupe de recherche sur l’inclusion absolument passionnant, alors nous anticipons un peu en échangeant des points d’analyse.
De retour à la maison, je reçois les photos des problèmes, prises par les collègues, que je vais mutualiser et mettre à leur disposition. J’échange des messages avec d’autres, sur le plaisir de s’être vus ou revus. J’ai les yeux qui piquent et vraiment besoin de faire une bonne nuit, mais je suis heureuse de ma journée, éclairée par nos jolies mathématiques, par notre objectif commun (être au service des apprentissages de nos élèves), et par une certitude : ces échanges-là, pas question de les arrêter. L’APMEP, les événements mathématiques, c’est un carburant, pour donner et recevoir, pour apprendre, partager, inventer et construire. Pour moi qui suis en pleine réflexion professionnelle, c’est important. Dominique Bucheton a bien raison : à plusieurs, on est plus intelligents. Ca dépend sans doute de quels « plusieurs », mais aujourd’hui c’était très très vrai.
Claire Lommé