Alors que le projet des réformes des retraites pénalisera les femmes, de l’aveu même du gouvernement, c’est l’occasion de dresser un état des lieux de la question de la proportion des femmes dans l’enseignement. Mais aussi de tenter de comprendre les raisons de cet attrait féminin pour le métier. Dans son numéro de décembre « Pourquoi y a-t-il plus de femmes que d’hommes dans l’enseignement ? », le périodique de l’OCDE « les indicateurs de l’éducation à la loupe » s’y essaie.
Les femmes devront travailler en moyenne sept mois de plus avec la réforme des retraites, les hommes quatre mois. Cette affirmation est tirée de l’étude d’impact du gouvernement. Et si certaines se réjouissaient de la prise en compte des congés parentaux dans le calcul des droits à la retraite, ce ne sera pas le cas de la grande majorité des enseignantes. En effet, il faut avoir commencé à travailler avant vingt ans pour y prétendre. Lorsque l’on sait qu’il faut avoir un master 2 (BAC+ 5) pour devenir professeure, on se doute que les enseignantes ne sont pas concernées par ce petit « cadeau ».
Dans son numéro de décembre, « Les indicateurs de l’éducation à la loupe » – périodique qui s’attache à mettre en « lumière les indicateurs spécifiques de l’OCDE Regards sur l’éducation qui présentent un intérêt particulier pour les décideurs et les professionnels du secteur de l’éducation » – tente une analyse de la forte proportion de femmes dans l’enseignement. Et même si pour les auteurs et autrices de ce texte, les raisons ne sont pas seulement liées aux stéréotypes, nous n’y voyons rien d’autre que des stéréotypes… « Ce déséquilibre peut s’expliquer, du moins en partie, par les stéréotypes de genre, mais aussi par l’attrait de la profession pour les mères qui travaillent et les différences de niveaux de salaire relatif entre hommes et femmes dans l’enseignement ».
État des lieux selon le « Panorama statistique des personnels de l’enseignement scolaire » de la DEPP.
892 300, c’était le nombre d’enseignants et enseignantes exerçant leur fonction en 2021-2022. 84% relèvent du secteur public, 16% du privé. La majorité des enseignants sont des enseignantes, 71% dans le public, 74% dans le privé. Dans le premier degré, elles sont à 94% des femmes dans le privé contre 84% dans le public.
Dans le second degré, l’écart se rétrécit. Tout particulièrement dans le public, où les enseignantes sont majoritaires à 59%. Dans le privé, elles sont 66% de la profession.
Lorsque l’on s’intéresse à la part des femmes dans les postes de direction, la proportion n’est plus la même… Les agents de catégorie A+ – « ayant pour vocation à occuper des postes de direction comme les recteurs, les secrétaires généraux d’académie, les directeurs académiques des services de l’Éducation nationale (DSDEN), les inspecteurs académiques-inspecteurs académiques régionaux, les inspecteurs généraux et la plupart des ingénieurs de recherche », sont un peu moins de 46% à être des femmes. Dans le reste de la fonction publique d’État, les femmes de catégorie A+ sont aussi en minorité, mais l’écart est moins important puisqu’elles représentent 48,7 de l’effectif.
Dans le second degré, les professeurs certifiés du public sont à 65% des femmes, 38% dans le privé. 54% dont agrégées dans le public, 2% dans le privé. 51% exercent en lycée professionnel dans le public, 8% dans le privé. Et pour les postes de professeures de chairs supérieure, les femmes attendent bien sagement leur tour, elles sont 39%…
Du côté des disciplines, elles sont majoritaires lorsqu’il s’agit des disciplines de lettres et de langues, 83% et 79% dans le public, 84 et 87% dans le privé. En éducation physique et sportive, elles sont minoritaires. 42% dans le public et 37% dans le privé. Et pour l’enseignement technologique, elles sont seulement 14,6% à enseigner cette discipline dans le privé, et 22,2 dans le privé. Une conséquence d’une orientation stéréotypée en fonction du genre ?
« Un choix de carrière intéressant pour les mères qui travaillent »
Mais la France n’est pas un pays atypique. Au niveau international, le constat est similaire. Dans les pays de l’OCDE, 70 des enseignants sont des femmes. Pour les auteurs du périodique de l’OCDE, plusieurs éléments expliquent cette disparité. Et ils ne seraient pas seulement liés à des stéréotypes de genre même s’ils prévalent.
« Plusieurs raisons peuvent expliquer le déséquilibre des ratios hommes-femmes parmi les enseignants du primaire et du secondaire. Historiquement, l’enseignement a été l’une des rares professions qualifiées accessibles aux femmes, car il répondait parfaitement à l’image traditionnelle de la femme s’occupant des enfants » explique l’OCDE. « L’enseignement peut être un choix de carrière intéressant pour les mères qui travaillent, car il offre la possibilité de combiner travail et responsabilités familiales. Dans de nombreux pays, les enseignants disposent en effet d’une grande souplesse pour l’organisation de leurs heures de travail en dehors de leur charge d’enseignement proprement dite ».
Ainsi, si les enseignants sont majoritairement des enseignantes, c’est parce qu’il leur incombe encore de gérer le quotidien de la maison… « L’enseignement se prête également au travail à temps partiel, qui peut s’avérer tout aussi utile lorsqu’il s’agit de combiner travail et obligations parentales… En moyenne, la proportion de femmes travaillant à temps partiel est supérieure de 4 points de pourcentage à celle des hommes dans les pays de l’OCDE, signe que cette modalité est prisée parmi les femmes » déclare les auteurs et autrices.
Est-ce que travailler à temps partiel est une modalité prisée par les enseignantes ? Les chiffres de la DEPP montre un faible taux de recours au temps partiel. Elles sont 12% dans le premier degré public à y avoir recours – contre 6% des hommes. Et 20,8 % dans le privé – contre 7,7% des hommes. Et lorsqu’elles sont à temps partiel, c’est pour élever un enfant pour seulement un tiers d’entre elles.
Quant au congé maternité, en 2020, elles étaient à 31 000 femmes à en prendre un. 4,1% du secteur public, 3,5 % de celles du privé. Ce qui ne présage pas de temps partiel significatifs pour les prochaines années…
Plus de femmes enseignantes car « elles ne subissent pas de discrimination salariale »
Les différences de niveaux de salaire entre hommes et femmes sont une des explications avancées par l’OCDE, les. « L’enseignement est l’une des rares professions où les femmes ne subissent pas de discrimination salariale » note le périodique. « En moyenne, dans les pays de l’OCDE, la plupart des enseignants du primaire (88 %) et du premier cycle du secondaire (84 %) travaillent dans des établissements publics (ndlr : les salaires sont donc basés sur une grille) ».
Le manque de valorisation du métier enseignant est aussi une des raisons expliquant la part importante des femmes dans les métiers du professorat. « Les données de l’édition 2018 de l’Enquête internationale de l’OCDE sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS) révèlent un sentiment de désillusion généralisé chez les enseignants concernant la perception de leur profession dans la société. En moyenne, dans la zone OCDE, seul un enseignant sur quatre (25.8 %) estime ainsi que sa profession est valorisée par la société »
Pour l’OCDE, la piste du renforcement de la reconnaissance de l’enseignement dans la société « pourrait permettre d’attirer davantage de talents dans la profession, et ce quel que soit leur sexe. Offrir une rémunération adéquate aux enseignants est un moyen évident de reconnaitre l’importance de leur profession, mais ce n’est pas le seul. Parmi d’autres essentiels, citons la reconnaissance de leurs longues heures de travail en dehors de leur temps d’enseignement proprement dit, ainsi que de l’environnement de travail souvent difficile auquel ils sont confrontés ».
Ne reste plus qu’à espérer que la rue de Grenelle aura pris connaissance de ce constat de l’OCDE lors les prochaines rencontres avec les syndicats dans le cadre de la concertation sur la revalorisation… Rien n’est moins sûr.
Lilia Ben Hamouda