Selon le Robert, la philanthropie est un nom féminin signifiant amour de l’humanité et désintéressement. Un bien noble mot qu’a décidé d’investir Aude Court avec ses élèves de CM2 de l’école REP+ Pablo Neruda à Vaulx-en-Velin. Un projet ambitieux et peu commun dans lequel s’est lancée la jeune enseignante avec l’appui de l’association l’école de la Philanthropie. Un projet qui selon Aude a transformé ses élèves, « on sent qu’ils collaborent et coopèrent plus, qu’ils s’écoutent, qu’ils sont plus empathiques aussi et que cela impacte leurs relations ».
En juin 2021, l’école d’Aude reçoit un mail de l’association de l’École de la Philanthropie qui présente son activité. Le mot philanthropie intrigue l’enseignante qui prend le temps de se renseigner sur la fondation gestionnaire de l’association. « On est très souvent sollicités dans les écoles, parfois ce sont des entreprises privées ou des associations pas très claires. L’école de la philanthropie proposait de nous accompagner gratuitement et comme je partage les valeurs que porte l’association, j’ai inscrit ma classe ». L’école de la philanthropie est une association qui vise « à développer le potentiel d’empathie et l’altruisme actif des élèves, à sensibiliser les jeunes aux grandes causes sociétales, à développer leur esprit critique, à les accompagner dans la réalisation d’actions solidaires. À l’école ou hors milieu scolaire, L’École de la philanthropie amène ces philanthropes en herbe à réfléchir par eux-mêmes, à ouvrir leur regard sur l’autre et à devenir des citoyens engagés ».
Expérimenter l’empathie
Le climat scolaire est primordial pour Aude, qui exerce depuis six ans. Avec ses 26 élèves, elle déploie au fur et à mesure cinq piliers sur lesquels reposent les apprentissages et la vie de la classe : l’audace, la persévérance, le respect, la solidarité et l’empathie. « Cela faisait quelques temps que je me demandais comment travailler concrètement avec ma classe, en dehors de la classe et de l’école, pour faire expérimenter aux élèves des valeurs de solidarité, d’entraide, pour leur faire vivre une expérience altruiste, comment leur faire prendre conscience qu’ils font partie de la société et qu’ils peuvent agir. Le projet de l’école de la philanthropie m’a motivée par les valeurs défendues mais également par la richesse des ressources mis à notre disposition Il propose une expérience concrète et altruiste. J’ai donc déployé les quatre piliers et laisser l’empathie apparaître au fur et à mesure du projet. Je voulais que les élèves l’expérimentent avant de mettre un nom dessus ».
Abordé dans le cadre des apprentissages d’EMC (Enseignement Moral et Civique), le projet se réalise en deux étapes et se construit tout au long de l’année. « La première est une phase de sensibilisation lors de laquelle on observe, on analyse, on comprend la notion d’empathie pour aller vers la notion de philanthropie. Ces valeurs se construisent par des apports de lecture, recherches, photographies, illustrations de scènes du quotidien, dossier de presse à étudier » explique Aude. Les illustrations sont diverses et présentent différentes scènes de vie dans l’école et hors l’école : des enfants qui jouent entourés de déchets dans un parc alors que des poubelles sont à proximité, des enfants sortant d’une boulangerie les bras chargés de viennoiseries alors qu’une personne SDF mendie à côté… « Spontanément certains élèves se sont mis à la place des personnages, je voulais qu’ils mettent des mots sur les émotions qu’ils ressentaient. Le terme d’empathie est arrivé dans la foulée ».
L’École de la philanthropie, la possibilité d’être accompagné dans un projet riche
La classe de CM2 reçoit aussi trois courriers de Philomène Empathie, personnage clé du projet. Dans son premier courrier, elle présente le projet directement aux élèves, « Je me nomme Philomène Empathie et je suis journaliste reporter. Ma spécialité́ est d’écrire des articles sur des gens qui, avec leurs moyens, essaient de transformer le monde pour le rendre plus juste, plus beau, plus respectueux. Je voyage beaucoup sur tous les continents et je rencontre des personnes exceptionnelles. Je vous propose de vous guider dans cette aventure sur le chemin de la philanthropie, avec l’aide de votre maitre ou de votre maitresse. Êtes-vous prêts ? Pour commencer, vous allez devoir réfléchir à ce que vous ressentez au contact des autres. Vivre en société́, c’est ressentir de multiples émotions ! ». La notion de philanthropie apparaît dès lors. « La première étape du projet tente de développer une conscience civique et de montrer aux élèves qu’ils sont membres d’une collectivité, que même petits ils peuvent agir à leur échelle » ajoute Aude.
Débute alors la seconde étape, qui est une phase d’action. Plusieurs thèmes étaient proposés : l’accès à l’éducation, la protection et la préservation de l’environnement, la pauvreté et l’exclusion, l’accès à l’art et la culture, l’accès à la santé, les droits humains. « Après avoir travaillé tous les thèmes, les élèves ont voté afin de choisir le thème sur lequel ils voulaient travailler avec une association. C’est à ce moment-là que la classe s’engage collectivement et de manière démocratique pour une cause. La cause retenue par la classe a été la pauvreté et l’exclusion ». Dès le début la classe d’Aude est accompagnée d’une médiatrice de l’association – Camille Dubost. C’est donc l’intervenante qui a cherché des associations locales en lien avec la cause choisie par les CM2 de Pablo Neruda. « Elle m’a fait des propositions. J’en ai retenue quelques-unes. Nous avons attendu les retours des associations. Celle qui a répondu à notre projet est l’association Les Petits frères des pauvres » explique-t-elle.
Rencontre avec des personnes âgées et isolées
Très vite, une rencontre est organisée avec Eric Foucart, responsable de l’antenne locale des Petits frères des pauvres de Vaulx-en-Velin, ainsi qu’une bénévole, Agnès. « Les élèves ont découvert l’association, ses actions, le bénévolat. Ils ont par la suite proposé diverses activités à mettre en œuvre auprès de personnes âgées. L’objectif était de rompre l’isolement, d’apporter des moments de partage et d’échange ».
C’est ainsi que se décide une visite à la résidence sociale le 17 mai. Une visite que les élèves ont patiemment préparée. « La classe avait cuisiné des cookies pour l’évènement. Les élèves, par groupes, avaient organisé des ateliers de construction d’origami, de jeux de société ou encore de lecture. Parfois, ils étaient très ambitieux, on a dû refréner leurs ardeurs. Par exemple, ils voulaient faire un atelier peinture, c’était trop compliqué d’un point de vue logistique » explique Aude.
Le 17 juillet, les vingt-six élèves font le déplacement jusqu’à la résidence sociale où des personnes âgées les attendaient patiemment. « Ils étaient intimidés au départ mais très vite l’action a pris le dessus. Ils se sont installés aux tables et ont déployé leur activité. La discussion s’est enclenchée. Quelques bénévoles étaient présents ainsi que des parents accompagnateurs et l’AVS ce qui a aidé les élèves à se sentir plus à l’aise. Il y a eu de nombreuses discussions en français et dans la langue d’origine de certains résidents. Des élèves ont parlé en arabe et étaient fiers de pouvoir faire la traduction à ceux qui ne comprenaient pas. Certains résidents ont fait des tours de magie, ont raconté des blagues, ont raconté leur enfance. L’échange n’était pas que dans un sens. Quelques élèves ont présenté la classe et la raison de notre venue. Certains résidents ont pris la parole pour exprimer ce qu’ils avaient ressenti au cours de ce moment. De nombreux élèves ont pris également la parole pour faire part de leurs sentiments. Ce fut un moment riche en émotions et en partage »
Travailler sur un tel projet présente de multiples intérêts pédagogiques et « n’est pas si chronophage » ajoute Aude. « Les élèves au cours de cette année ont été davantage à l’écoute des autres lors de prises de parole, lors d’exposés en classe. Ils ont tenté de mettre des mots et d’expliciter leurs émotions lors de conflits ». Un atout certain quand on connait un peu l’enseignement dans une classe de CM2, en éducation prioritaire et à 26 élèves ! Aude explique que ce projet lui a aussi permis de réfléchir à sa façon d’enseigner. Philanthropie, un bien noble mot pour un bien noble projet.
Lilia Ben Hamouda