Par Lyonel Kaufmann
En ce début d’année 2009, j’ai suivi avec intérêt la discussion initiée sur la liste H-Français à la suite de la cérémonie d’investiture de Barack Obama. Cette discussion donne déjà lieu à une synthèse publiée sur les Clionautes, par Jean-Pierre Meyniac, estimé collaborateur au Café pédagogique (L’événement historique et le professeur d’histoire – Qu’est-ce qu’un événement historique).
Sans vouloir refaire l’excellent travail réalisé par Jean-Pierre Meyniac, je vais présenter d’abord la discussion et son déroulement avant d’en tirer quelques enseignements concernant l’étude de l’événement historique en classe d’histoire et en terme de formation professionnelle des enseignant-e-s.
Chronologiquement tout démarre avec une intervention de Laurent Gayme le mercredi 21 janvier à 19h34.
Bonsoir,
En regardant les JT ce soir, je me faisais la réflexion que ce n’est pas fréquent d’assister (ou d’en avoir l’impression sur le moment) à un grand moment « historique » (même si le terme peut toujours faire sourire, ou poser des questions quant à ce qu’on enseigne et quant au concept même de « grand moment historique »). Ça me l’a fait pour la 1e élection de Mitterrand, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre 2001 et l’élection-investiture d’Obama.
Et vous ?
Dans un premier temps, les contributeurs/trices évoquent des évènements qui les ont marqués : le 11 septembre 2001, le 22 avril 2002 avec Jean-Marie Le Pen au deuxième tour de la présidentielle (« un silence de mort, des élèves pétrifiés, sous le choc de ce qui venait de se passer »), l’assassinat de JFK (« j’avais 7 ans, et me souviens encore de cet INVRAISEMBLABLE évènement »), la chute du mur de Berlin, le traité de Maastricht (« notre professeure de lycée avait eu l’idée de nous faire voter ! Le non l’avait emporté dans notre classe. Mais on était mobilisé autour de cet événement. »), l’abolition de la peine de mort en France ou la mise en circulation de l’euro.
D’autres contributeurs/trices mettent à disposition des documents en relation avec la cérémonie d’investiture.
Simultanément, une intervention de Bruno Sestier tout à la fois présente une séquence d’enseignement où les élèves sont confrontés au traitement d’un événement historique et place le débat sur le champ épistémique : qu’est-ce qu’un événement historique :
Lors de l’élection de B. Obama en Novembre, j’ai travaillé avec mes élèves de 3ème sur la question suivante : qu’est-ce qu’une journée/un événement historique ?
D’un sentiment personnel, la discussion se dirige vers les pratiques professionnelles et les situations de classe. La question posée aux élèves : «qu’est-ce qu’un événement ?» devient celle des intervenant-e-s sur H-Français.
Ce deuxième temps s’articule ensuite autour des deux pôles : les pratiques de classe et une discussion épistémologique. Comme il se doit, des travaux et des réflexions d’historiens et de philosophes sont convoqués pour traiter de cette question épistémologique.
Au final, une discussion fort nourrie et riche que je vous incite à consulter tant au travers de la synthèse des Clionautes que des archives de H-Français (21-25 janvier 2009). Nous sommes en présence d’un exemple très réussi d’échange de pratiques et de formation professionnelle entre pairs.
Sur le plan didactique et pédagogique, je peux aussi considérer que cette discussion a tous les attributs d’une séquence d’enseignement basée sur une démarche inductive et qu’elle est également riche en enseignements pour développer des pratiques historiennes chez nos élèves :
– La séquence débute par une mise en situation s’attachant aux expériences, aux sentiments et aux connaissances des participant-e-s. Laurent Gayme part d’une expérience personnelle qu’il fait partager aux autres et les incite à faire part de leurs propres expériences subjectives.
– Les participant-e-s décrivent d’abord leurs exemples et leurs expériences personnelles qui sont variés et comportent une forte dose d’émotionnelle.
– Nous sommes dans une histoire où les participant-e-s sont acteurs et nous sommes loin d’une histoire jugée comme aride ou faite de frises chronologiques (ou de fiches) telle qu’elle est (trop) souvent vécue par une majorité d’élèves.
– Dans les expériences rapportées, il y a souvent deux événements en un : celui qui devient l’événement « historique » et celui d’une expérience singulière (« notre professeure de lycée avait eu l’idée de nous faire voter ! Le non l’avait emporté dans notre classe. Mais on était mobilisé autour de cet événement. »)
– Dans un deuxième temps, un problème se pose : qu’est-ce qu’un événement historique ? Un participant propose de différencier événement médiatique et événement historique. Des hypothèses ou des affirmations sont posées qui peuvent être contradictoires.
– Le «groupe-classe» H-Français se constitue en communauté scientifique de recherche, progresse au moyen de l’échange (disputio) et travaille selon une démarche hypothético-déductive.
– Les participant-e-s réalisent un travail collaboratif de recherche en allant convoquer des experts : des historiens et des philosophes.
– D’autre part, des critères sont posés. Ce faisant une définition de l’objet « événement historique» est élaborée qui permettrait d’utiliser maintenant une démarche déductive en relation avec les différents événements amenés par les participant-e-s. Au final, de tous les événements évoqués, lesquels répondent effectivement à ces critères ? y a-t-il des intrus ? y en a-t-il d’autres qui devraient être retenus ? Quels champs de l’histoire couvrent-ils (politique, économique, culturel, social) ?
– À partir de la mise en commun des résultats de recherche, le rapporteur Meyniac conclut la séquence en synthétisant les résultats obtenus par/avec ses camarades. Ils ont construit leur savoir.
La sonnerie retentit. Le maître sourit. « À dans un mois, lance-t-il à la cantonade, à ses élèves.» Ceux-ci sont déjà loin, fiers du résultat de leur travail.
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur, Didactique de l’Histoire, HEP-VD à Lausanne (Suisse)