La chronique ASH n° 5 tente d’apporter un témoignage sur le travail des Auxiliaires de Vie Scolaire dans un département rural du centre de la France. Au moment où le président Sarkozy donne une mission à un sénateur du Sud-Ouest pour faire le point sur la scolarisation des élèves handicapés, la formation des enseignants, l’accompagnement, il a paru intéressant au Café d’aller y voir de plus près.
Le Café a rencontré en même temps une AVS et une enseignante qui travaillent ensemble depuis cette année et qui forment un binôme plutôt « épanoui ».
Nous sommes dans une petite école élémentaire (5 classes), de centre-ville, avec de beaux bâtiments datant du début du siècle dernier et une population favorisée. L’école scolarise 3 élèves handicapés dans les classes de CE1, CE2 et CM2.
Natacha et Aurélie, Aurélie et Natacha, l’une et l’autre ne sont pas interchangeables : Natacha est l’AVS, Aurélie la maitresse, mais une évidente complicité s’est nouée entre elles, confrontée toutes les deux au comportement un peu étrange de Marc-Henri (prénom est fictif). C’est le genre d’enfant qui met tout le monde en difficulté, et il ne s’agit pas d’attendre qu’un « autre » professionnel l’ait réparé pour faire son propre métier. Comment faire pour que le cadre scolaire participe au projet pour cet élève ?
Comment faire pour le faire entrer dans les apprentissages ? Comment faire pour l’aider ?
En classe, Henri-Marc pose des difficulés de concentration, d’organisation, il manque d’autonomie, de repères spatiaux et temporaux. Aucun nom de maladie n’a été mis sur ses troubles, des difficultés familiales et sociales existent également. Ou il est « dans son monde » ou il peut avoir des comportements imprévisibles. Son parcours est aménagé, il est inscrit avec sa classe d’âge (le CM2) mais il suit le français et les mathématiques au CM1. Il a de nombreuses lacunes à cause de son manque de disponibilité psychique pour apprendre. A la fin de cette année, il quittera l’école primaire, une réflexion est en cours pour organiser la suite de son cursus.
Qu’est-ce que çà vous demande de travailler ensemble ?
Natacha accompagne ce jeune garçon depuis 3 ans, Aurélie est nouvelle dans l’école.
Natacha le connait bien et peut anticiper ses réactions. Aurélie a au début beaucoup appris de Natacha sur la façon d’être et de réagir de Henri-Marc.
« Le plus important, c’est de communiquer entre nous ! », disent-elles en choeur.
Il faut ajouter que la classe est tenue par 2 enseignantes à mi-temps et le temps d’accompagnement est lui aussi partagé entre 2 AVS… Il est donc indispensable que la parole circule.
Aurélie : On n’a pas le temps de se voir longuement, alors on se parle tout le temps, en classe, à la récréation
Natacha : Je fais exploser mon forfait de téléphone ! J’envoie des SMS à ma collègue pour qu’elle soit au courant de ce qui s’est passé entre le matin et l’après-midi.
A : On est là pour l’aider, on parle beaucoup et il le sait. On arirve à moduler
N : C’est une question de confiance, on se fait mutuellement une grande confiance
Comment vous organisez-vous en classe ?
A : J’ai les mêmes objectifs d’apprentissages pour H-M que pour les autres élèves. Je ne prépare pas de travail différencié, parce qu’il a des potentialités… Avec lui, il faut faire attention à la façon de s’y prendre, il faut le recentrer, le guider. Natacha le connait bien, on joue plutôt sur la quantité de travail à fournir car c’est toujours très long avec lui…
N : Je suis tout le temps en train de l’encourager, de lui dire que je sais qu’il peut le faire. Parfois, je copie des choses à sa place pour qu’il ait moins de travail à gérer en même temps. Cà se voit quand il n’en peut plus. Dans ce cas, ce n’est pas la peine de s’acharner, on s’arrête. Parfois, je l’isole de la classe, il se confie beaucoup à moi, je suis à l’écoute.
A : Forcément on a du aménager son temps entre le CM2 et le CM1. Mais il participe bien à l’oral avec les autres, il est à l’aise dans les séances de vocabulaire.
N : Parfois, quand il n’a pas envie, c’est très difficile. Quand toute la journée se passe à le pousser, le tirer, essayer de le faire avancer, c’est épuisant et çà fait du bien d’en parler. L’autre jour on « faisait les fractions », je ne savais pas par quel bout m’y prendre. La maitresse a repris derrière, puis j’ai repris le relais.
A : quand on a un doute sur ses capacités ou ses besoins, on en discute. Pour l’évaluation par exemple…
L’AVS peut-elle prendre des initiatives ?
N : Oui, j’en prends.
A: Et elles sont toujours appropriées.
N : Je suis bien intégrée dans l’équipe pédagogique. Quand chacun sait rester à sa place et respecter l’autre, tout se passe bien. Ici c’est une école qui au fil du temps s’est ouverte à,ces questions-là.
Peut-on parler d’une affaire d’équipe ?
A : Les relations sont différentes selon les adultes, les façons de faire sont différentes, on ne réagit pas toutes pareil. Mais comme on parle beaucoup…
N : Moi je me sens bien intégrée dans l’équipe d’école.
A : H-M est passé dans toutes les classes de l’école depuis son entrée au CP, alors tout le monde le connait, les enseignants, les autres élèves, les parents.
N : Au début c’était difficile, ses parents se sentaient jugés par les autres parents. Même les élèves ! H-M n’est pas à l’aise avec ceux du CM2, sa classe d’âge, qui n’ont pas été tendres avec lui la première année. Maintenant, c’est une chose acquise.
Vous êtes-vous senti accompagnées ?
N : Nous, les AVS on a droit à une formation quand on arrive sur le poste. C’est dommage qu’il n’y ait pas de formation « continue »…
A : Quant à moi, j’ai participé l’année dernière à un stage dans le plan de formation continue des enseignants, un stage où on nous a fait travailler en binômes avec les AVS et j’ai trouvé çà intéressant. Cà nous a permis d’avoir du temps pour échanger et penser ensemble le travail.
Quelques pistes de réflexion au-delà de ce témoignage :
La co-intervention…
Celle d’Aurélie et Natacha n’a pas l’air de fonctionner si mal que çà et surtout elle a lieu au bénéfice de l’élève auquel elles ont su s’adapter.
La question d’un adulte dans la classe n’est pas toujours facile à accepter pour les enseignants. Parfois, on constate que ceux-ci ont du mal à envisager un accompagnement spécialement dédié à un élève dans le cadre de la compensation. Dans ce cas, ils ont tendance à penser comme une espèce d’injustice que d’autres élèves en difficultés scolaires ne reçoivent pas d’aide individuelle.
Parfois aussi, les enseignants délèguent la gestion des adaptations aux AVS, les considérant comme les « spécialistes ». D’ailleurs, disent-ils, « elles ont une formation que nous n’avons même pas… ».
Du point de vue des AVS, elles ont à trouver une place entre un enfant et sa famille, un élève et sa classe, face à 1 ou 2 enseignants, une ATSEM, une EVS qui peut intervenir aussi, au sein d’une équipe d’école, d’une équipe de suivi de la scolarisation. C’est une position délicate. Parfois, elles sont plus dans la compassion que dans l’empathie, elles ont du mal à gérer l’affectif et l’émotionnel. Parfois elles croient aider en faisant à la place de l’élève, ou bien elles font écran entre lui et les autres…
Les formes de co-intervention sont nombreuses, le plus souvent basées sur un système organisationnel et relationnel mené par le bon sens. Cela suffit-il ?
L’accompagnement des accompagnants…
Le besoin de formations conjointes enseignants/AVS est réel (quand elles existent, elles sont appréciées par tout le monde). Mais on rencontre des obstacles dus au cloisonnement des formations et des publics. Il faut beaucoup de persévérance aux organisateurs pour les lever, mais quand ils le sont, on voit que cela permet des temps d’analyse du travail pour co-élaborer et co-opérer (au sens premier d’agir ensemble), pour savoir ce que chacun peut attendre de l’autre et organiser ce temps commun. Cela aplanit des conflits éventuels sur le « qui fait quoi et comment ».
Les relations entre MDPH et IA…
La décision d’attribuer un accompagnement et une quotité horaire d’accompagnement relève de la compétence de la Maison Départementale des Personnes Handicapées. Celle d’attribuer une personne pour accompagner une autre personne, de recruter, gérer et former les AVS revient à l’Inspection académique. Ce système actuel entraîne des « hiatus » entre les 2 institutions qui forcément vont porter préjudice aux élèves et aux AVS et entretenir des rancoeurs de la part des familles qui ne comprennent pas.
« AVS : des fonctions indispensables, un métier introuvable », écrit Philippe Mazereau dans l’étude consacrée à la scolarisation des élèves handicapés, commandée par l’UNSA-Education fin 2008.
On ne peut qu’être frappé par le paradoxe d’une situation où les attentes placées envers les AVS sont inversement proportionnelles à leur statut social. Tout le monde s’accorde à penser que leur présence est indispensable à une scolarisation de qualité. Cependant, après plus de 10 ans de péripéties statutaires, les AVS sont toujours aujourd’hui des personnels au statut précaire.
La question de la professionnalisation de la mission d’accompagnant en milieu scolaire est toujours posée. Les négociations entre le ministère et les associations nationales de personnes handicapées sont au point mort depuis plusieurs mois. Le temps passe, les rapports s’accumulent, un nouveau est attendu pour le mois de mai prochain. La fonction n’est toujours pas inscrite au répertoire des métiers et les personnes ne sont toujours pas reconnues dans une expertise professionnelle pourtant incontournable sur le terrain.
Quelques chiffres :
1 AVS, c’est :
– 1 femme (dans le département en question, les hommes représentent 3% des effectifs)
– des contrats à temps partiel : 50 ou 70% d’un équivalent temps plein
– Sur 60 contrats, 1 personne en moyenne par an trouve un emploi plus stable.
– 1 salaire de 550€ à mi-temps – 770€ à 70% du temps
– Des conditions de travail difficiles : être mobile dans un département rural où les déplacements entre le domicile et l’école sont importants
– 60 heures pour une formation d’adaptation à l’emploi (destinée aux personnes nouvellement recrutées)
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