« En tant que prof, on ne peut décemment pas imaginer que nos élèves dorment à la rue. C’est inacceptable, on doit agir – à notre petit niveau – pour changer les choses ». Laura Lahaix est professeure des écoles depuis près d’une dizaine d’années. Mais aussi militante. Et cela depuis encore plus longtemps. Aujourd’hui, c’est dans le « Le collectif Delorme » qu’elle s’investit. Un collectif qui porte le nom de l’école du 8ème arrondissement lyonnais où elle enseigne en CM1/CM2. Il est membre de l’inter-collectif « Jamais sans Toit ».
Quand on l’interroge sur les raisons de son engagement, Laura raconte comment la misère est venue percuter les portes de son école à l’automne dernier. « L’association de parents d’élèves a été informée par le directeur qu’une famille avec des enfants scolarisés à l’école dormait dans la rue. Rejoignant « Jamais sans Toit », deux parents d’élèves, le directeur, l’assistante sociale et les enseignantes de ces enfants se sont mobilisés. Et l’école a été occupée dans la foulée d’un goûter solidaire. Le collectif avait besoin de forces vives : je me suis proposée sans vraiment y réfléchir à deux fois. La situation de ces personnes m’a semblé insupportable et j’avais la possibilité d’apporter mon aide ».
Des actions pour faire vivre la solidarité
Petit à petit, le collectif s’organise. Listes de diffusion, occupation de l’école, ventes de gâteaux… Des actions qui ont permis « de générer de vastes élans de solidarité auprès des familles du quartier, pour la plupart à faibles revenus, qui sont allées jusqu’à verser de l’argent sur des cagnottes, faire des collectes alimentaires, donner des vêtements, proposer de cuisiner des repas pour les familles que nous aidions » ajoute l’enseignante. Les actions sont coordonnées par un « comité d’organisation » qui se réunit fréquemment pour décider collectivement des actions à mener, trouver et réserver des hôtels, rédiger les communiqués de presse, penser la logistique des occupations… etc. « Ces réunions se tenaient souvent jusque tard dans la soirée, 20 heures ou plus, à une fréquence a minima hebdomadaire, sans compter les nuits passées à l’école, les accompagnements des familles dans certaines démarches, les échanges écrits, téléphoniques et les entretiens avec la presse pour faire parler de nous… » raconte Laura Lahaix.
Depuis sa formation en octobre 2021, le « collectif Delorme » est venu en aide à quatre familles. Les trois premières ont fini par être relogées par les pouvoirs publics, en général à la veille de vacances scolaires. La quatrième famille dort actuellement à l’école depuis la mi-octobre. « Les parents, ressortissants tunisiens diplômés, ne peuvent prétendre au droit d’asile. Ils fuient la misère et le désespoir. Les risques qu’ils ont encourus en traversant les frontières sont motivés par leur volonté d’offrir un avenir à leurs deux enfants de 3 et 7 ans, en petite section et en CE1 à l’école. Ils ont effectué toutes les démarches pour obtenir leur régularisation sur le sol français et en attendant, se démènent pour trouver de quoi survivre au quotidien sans papiers officiels : ménages à domicile, fins de marché, travaux d’appoint pour des particuliers. Ils se retrouvent à la rue après avoir subi arnaques et expulsions par des membres de leur famille, qui leur avaient promis accueil et soutien » raconte la militante.
197 écoliers lyonnais vivent dans la rue
A la rentrée de novembre, dans la métropole lyonnaise, quatre écoles poursuivront leurs occupations pour mettre à l’abri des familles et leurs enfants, tandis qu’au moins quatre autres prévoient d’entamer la leur. Au 3 novembre, Jamais sans Toit Lyon recensait 197 enfants à la rue. Ces chiffres peuvent augmenter très vite avec les crises économiques, climatiques et politiques que subit une part exponentielle de la population mondiale, et qui risquent à tout moment de faire basculer des parents et leurs enfants dans l’exil et/ou une misère catastrophique. Confrontées à une saturation des structures d’accueil, les municipalités n’ont d’autre choix que d’accepter, voire de soutenir à demi-mot les occupations des locaux par des collectifs comme celui de l’école Delorme… allant jusqu’à annoncer que « des classes devront être ouvertes pour la nuit d’ici à la fin de l’année » ! « On se demande de quelle manière les municipalités entendent coordonner ces occupations d’école par elles-mêmes. Les collectifs n’ont pas vocation à assumer les responsabilités des pouvoirs publics vis-à-vis de la loi. Les solutions d’hébergement d’urgence sont parfois insalubres et peu adaptées aux familles avec enfants, mais tout de même préférables aux parkings couverts, halls d’immeubles… et aux gymnases et salles de classe des écoles ! » s’interroge Laura Lahaix.
Cette nuit, Léna* et Moîse* dormiront une nouvelle fois dans l’école et non à la rue grâce à l’investissement de Laura et ses collègues du « collectif Delorme », et par extension de « Jamais sans Toit ». Une situation que nous sommes en droit de juger inacceptable en France, en 2022. « Malgré tout, pour faire valoir le droit au logement des familles de nos élèves, qui est aussi un droit humain fondamental, les occupations d’école restent la meilleure solution. Renforcées par des tracts, des banderoles, des articles de presse et des manifestations, ces occupations rendent visibles et honteuses les défaillances des collectivités, et en dernier lieu, de l’État qui ne respecte pas la loi et laisse des enfants sortir de l’école pour s’en aller dormir dans la rue. Enseignants, enseignantes, parents d’élèves, citoyens et citoyennes, ne laissons pas nos élus se désengager. Occupons massivement les écoles pour remettre notre démocratie sur le chemin des droits humains et des politiques sociales ! » interpelle la militante. Une interpellation qui n’est pas sans rappeler celle de Philippe Meirieu qui invite à dégainer l’article 55 de la convention des droits de l’enfant…
Lilia Ben Hamouda
*prénoms modifiés