Par Françoise Solliec
Comment un lycée agricole vit-il aujourd’hui, dans un contexte de réductions de moyens et d’interrogation forte sur un rapprochement plus étroit avec l’éducation nationale ? Pour s’en faire une idée, quelques éclairages sur l’un des trois établissements franciliens, confronté comme les autres à une nécessité de perpétuelle adaptation aux évolutions du contexte, du métier et des publics scolaires accueillis.
Constitué depuis plus de 35 ans d’un lycée, accueillant environ 500 élèves, d’un centre de formation continue important, plus de 120 modules de formation, et d’une exploitation très fonctionnelle (élevage, cultures et horticulture), l’établissement public local d’enseignement agricole Bougainville de Seine-et-Marne apparaît comme une structure solide et équilibrée, parfaitement à même de remplir la totalité des missions dévolues à l’enseignement agricole : formation initiale et continue, insertion professionnelle, animation du milieu rural, développement d’expérimentation et ouverture internationale. La gestion de chacune des sous-structures est assurée par un responsable propre, assisté d’un conseil. Au niveau de l’établissement, un conseil d’administration, présidé par un extérieur, prend les décisions pour l’ensemble, le proviseur du lycée étant également directeur de l’EPLEA.
La palette des formations initiales se répartit équitablement entre enseignement agricole et enseignement technique. La filière agricole offre 3 BEPA prolongés en Bac pro, conduite et gestion de l’exploitation, travaux paysagers et commercialisation des produits horticoles et de jardinage. La filière technique, construite sur une seconde générale et technologique, débouche sur un baccalauréat sciences et technologie de l’agronomie et du vivant et sur 3 BTS, auxquels accèdent aussi quelques-uns des élèves de Bac pro, analyse et conduite de systèmes d’exploitation, aménagement paysager et services en espace rural : créateurs de projets. Une filière S, construite avec le lycée général et technologique voisin, devrait ouvrir prochainement car il n’y a pas de désaffection locale pour cette filière.
Pour le proviseur du lycée, Philippe Jouve, la fusion entre enseignement agricole et éducation nationale, à plus ou moins long terme « car on en parle déjà depuis longtemps » est inéluctable. Les recrutements des enseignants sont similaires et de nombreux parcours de formation sont communs, tels la filière technologique, où il n’y a plus de spécificités que dans les options, ou les Bac pro 3 ans expérimentés dès la rentrée 2009. De même, les procédures de recrutement des élèves sont désormais harmonisées, application académique PAM pour les BEPA et pour les entrées en 2nde GT. Le recrutement en BTS va également respecter les procédures régionales (RAVEL en Ile-de-France), mais de ce fait le recrutement hors académie, autrefois aisé avec un traitement national, devient plus compliqué pour les familles.
La création d’un 4ème lycée agricole francilien sous double tutelle agriculture et éducation nationale sera encore l’occasion de renforcer des liens. Ce n’est cependant qu’une nouveauté relative car il existe déjà des filières éducation nationale dans des lycées agricoles ou des filières agricoles dans des lycées de l’éducation nationale. En formation continue, le centre de formation professionnelle et de promotion agricole, CFPPA, fonctionne de manière très proche d’un GRETA.
Alors, quels sont les éléments marquant l’appartenance spécifique de l’établissement au ministère de l’agriculture ? Tout d’abord, cette appartenance même, répond Philippe Jouve, en revenant sur les missions de l’établissement. Il y a aussi la présidence du conseil d’administration qui peut être confiée à une personnalité extérieure. « Cela fait très peur à mes collègues de l’éducation nationale, mais on y trouve des bénéfices en termes d’ouverture vers l’extérieur ou de politique plus dynamique. Cela dépend évidemment des personnes, mais dans l’ensemble ces collaborations ont été pour moi positives ».
De manière générale, l’appartenance à l’agriculture assure des liens étroits avec l’institution (220 lycées agricoles seulement), une implantation active dans le milieu rural et un lien très fort formation emploi pour les formations spécialisées. De nombreux enseignants sont des ingénieurs d’écoles d’agriculture qui ont reçu une formation pluridisciplinaire, bien adaptée à la conduite de projet. Cependant ils sont de plus en plus jeunes et la spécificité qu’ils apportaient en terme d’expérience professionnelle s’estompe. En 2nde GT, un enseignement optionnel obligatoire (écologie-agronomie-territoire-citoyenneté) propre aux lycées agricoles, est assuré par une équipe très pluridisciplinaire (histoire, économie, SVT, éducation socio-culturelle). Une option facultative a été ouverte en hippologie-équitation. Enfin, les professeurs d’éducation socio-culturelle partagent leur service entre des interventions classiques devant les élèves (techniques d’expression par exemple) et une aide à la réalisation des très nombreux projets élèves, qu’ils concernent aménagement et animation dans le lycée ou animations et manifestions tournées vers l’extérieur. Un amphithéâtre de 350 places permet à l’établissement de recevoir de nombreux partenaires et de jouer un rôle non négligeable dans la vie professionnelle, sociale et culturelle locale. Cependant la baisse de moyens oblige à prendre du recul sur ces projets et à éviter l’activisme.
Bien que le lycée voie évoluer les publics accueillis (2% de jeunes issus du milieu agricole seulement actuellement) et la demande pour les différentes formations (la filière paysagère venant largement en tête), il conserve une forte capacité d’attraction. Il connaît une entrée importante d’élèves en 1ère et en BTS. Les formations dispensées continuent à allier théorie et pratique, mais sont sans doute un peu moins connectées au terrain et s’orientent davantage vers la poursuite d’études dans une grande diversité de secteurs. « On perd notre public traditionnel » constate le proviseur, mais d’autres élèves se motivent pour les filières dispensées et le rayonnement, local ou moins proche, reste important.
Avec un internat de 350 élèves, la vie sociale est forte dans le lycée, qui refuse cependant d’être un lieu d’accueil de publics déstabilisés, nécessitant un personnel spécialisé et un soutien psychologique suivi. L’établissement reçoit pourtant des élèves « difficiles », notamment en 1ère année de BEP, et a mis en place, dans le cadre du dispositif régional « réussite pour tous » une action de suivi et de soutien aux élèves en difficulté. Portée depuis plusieurs années par Sévignienne Ulysse, CPE, cette action fortement soutenue par la direction de l’établissement a connu maintes évolutions. A la formule basée davantage sur du volontariat des élèves l’an dernier, ont succédé des modalités de prise en charge régulières d’élèves, repérés par les enseignants ou les surveillants, présentant des problèmes scolaires ou de comportements. Informée lors des réunions de rentrée, une grande partie de l’équipe éducative s’est mobilisée sur ce suivi et aucun élève de BEP n’a été démissionnaire cette année, alors qu’à pareille époque une quinzaine d’élèves avaient quitté le lycée l’an dernier. Un projet de collaboration étroite avec une troupe théâtrale, destiné à faire vivre la notion de respect aux élèves, n’a pu aboutir pour des raisons financières. La subvention région devrait être redistribuée sur un partenariat avec une association, pour organiser notamment des conférences destinées aux parents et aux enseignants, et l’intervention d’un psychologue dans un groupe d’écoute.
Avec 7 salariés et un réseau de formateurs contractuels et vacataires, le CFPPA propose aux contrats jeunes, aux salariés et aux demandeurs d’emploi un ensemble de prestations diversifiées. Le partage des équipements et des terrains d’application avec le lycée et l’exploitation obligent à des échanges nombreux et fructueux, même si les temps d’aboutissement des projets sont parfois longs.
La formation s’organise autour de 4 filières, espaces verts, environnement, agriculture et services aux personnes. Onze formations longues, du niveau V au niveau III, permettent d’obtenir une qualification en 1 an et accueillent environ 300 stagiaires, en congé individuel de formation, en contrat jeune ou financés par le conseil régional. Plus de 800 autres se répartissent dans des modules courts, parfois organisés à la demande d’entreprises comme Truffaut, souvent définis avec des collectivités locales ou des partenaires associatifs ou institutionnels (par exemple pour l’insertion des handicapés).
Les fonds publics baissant, il s’agit de maintenir ce qui existe, en travaillant l’adaptation des formations aux évolutions économiques, en s’engageant dans une démarche qualité, en vue d’une certification ISO 9000 d’ici 2 à 3 ans, et en suivant de très près les taux d’insertion des stagiaires (près de 80% d’embauche immédiate dans la filière espaces verts, 50% pour la filière environnement très appréciée des jeunes, mais économiquement plus mal perçue). Compte tenu de leurs résultats, des BEPA de production pourraient être amenés à fermer. En revanche, profitant des opportunités ouvertes par la loi Borloo, une formation niveau V services en milieu rural, option petite enfance été montée récemment.
« On est à l’écoute du marché » explique Didier Nercy, directeur adjoint du CFPPA, également chargé de la qualité et des développements ingénierie de formation. Les stagiaires sont considérés comme une pépinière de main d’œuvre locale et il n’y a pas de difficultés à trouver des stages. Les professionnels jouent bien le jeu et participent volontiers aux jurys de diplôme.
Il faut dire que le CFPPA est présent sur toutes les grandes manifestations et forums professionnels et qu’au fil des ans, il a su établir de bonnes relations avec quantité d’acteurs économiques du secteur. Disposant d’une parcelle de maraîchage à l’intérieur de l’exploitation, il peut également s’affirmer comme producteur. Il participe à différents projets (insertion de travailleurs handicapés par exemple) et collabore avec nombre d’établissements scolaires pour concevoir et entretenir leurs aménagements paysagers. « C’est un travail qu’on aime bien, surtout quand les élèves de ces établissements y participent ».
Le CFPPA propose d’autres prestations que les modules de formation et peut jouer un rôle de conseil et d’accompagnement dans la construction de parcours. Il dispose en particulier d’un service de validation des acquis de l’expérience. S’adressant à des candidats justifiant de 3 années d’expérience, salariée ou non, dans un domaine d’activité, ce service peut permettre l’obtention partielle ou totale d’un diplôme.
L’exploitation agricole et horticole est « une ferme grandeur nature tournée vers l’agriculture durable ». Elle dispose de sept salariés et d’une surface agricole utile de 119 hectares, dont 79 utilisés pour des cultures de ventes (céréales, mais, betteraves sucrières) et 40 en surfaces fourragères, pour un troupeau d’environ 110 vaches à viande, dont 50 allaitantes. La partie horticole est constituée par 4 000 m2 de serres et 2 500 m2 de cultures de plein champ.
L’exploitation, entreprise bien insérée dans le milieu professionnel local, est soumise à toutes les contraintes de réglementation et de mise aux normes. Compte tenu de sa vocation pédagogique, elle est particulièrement soucieuse de répondre à une charte de qualité environnementale. Elle est qualifiée « agriculture raisonnée » depuis 2006. Cependant, son côté multifacettes rend complexe ce type de démarches.
Les élèves de BEP et de Bac pro participent pleinement aux travaux de l’exploitation, à raison d’une semaine pleine par an. Encadrés par leurs enseignants, ils ont des activités conformes à leur orientation (productions animales, aménagements paysagers, commercialisation horticole, etc.), variables en fonction des saisons et du planning général de travaux (reproduction du troupeau alaitant, labours, déchaumage, préparation des sols, semis, etc.). Ces activités sont évaluées, comme contrôle en cours de formation, par les enseignants, en fonction de grilles d’activités renseignées par les salariés qui ont travaillé avec les élèves. Elles se révèlent très complémentaires des stages en entreprises que suivent par ailleurs ces élèves.
Pour les élèves de la filière technologique, l’exploitation est un terrain de travaux pratiques, sous la direction de leurs enseignants. Ils y passent 1 à 2 heures par semaine, en demi-groupe.
En ce qui concerne les élèves de BTS, ou pour certains enseignements généraux, l’exploitation est source de données techniques et économiques, définies avec les enseignants.
L’exploitation est très bien perçue par les élèves, qui attendent souvent avec impatience d’y aller. Les salariés notent cependant que le public accueilli a beaucoup évolué ces quinze dernières années et montre une connaissance bien moindre du milieu rural.
Les décisions à prendre prennent toujours en compte la vocation pédagogique de l’établissement. Ainsi la culture de betteraves a été maintenue pour des raisons d’intérêt dans la formation des élèves, alors qu’une exploitation seulement soucieuse de rendement l’aurait supprimée. Ces décisions sont discutées de manière informelle en commission, plus formellement au conseil d’exploitation qui se réunit 1 ou 2 fois par an et sont votées au conseil d’administration de l’établissement qui a seul pouvoir décisionnel.