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CR: Alyne, pourquoi avez vous décidé de vous lancer dans un projet utilisant les TICE? AP: Le collège de Sallaumines où j’enseigne est lassé en REP et se place 121° sur 121 collèges du Pas de Calais dans une enquête dont les critères tiennent compte du taux de chômage, du taux d’immigration, des résultats au brevet, des poursuites d’études… Les revenus très modestes des familles de nos élèves ne nous permettent pas d’organiser des séjours à l’étranger, et les échanges sont impossibles car les familles ne peuvent pas héberger les correspondants. Mais la région est frontalière avec la Belgique, et les Pays Bas ne sont pas loin, c’est pourquoi j’ai recherché un enseignant néerlandais pour organiser une correspondance. J’ai pu prendre contact avec un professeur d’anglais du Grafisch Lyceum de Rotterdam, grâce aux rencontres Cyber-Langues. CR: Les échanges de messages entre les élèves ont-ils été faciles? AP: Passer de l’exercice de style à la communication réelle n’est pas si aisé : les élèves étaient maladroits dans leur utilisation de la messagerie et la mauvaise image qu’ils avaient d’eux-mêmes les bloquait pour se présenter ! Ils devaient se présenter dans le premier email, bien sûr, mais il m’a fallu insister pour qu’ils sortent des platitudes scolaires (« I like chocolate but I don’t like coffee »): je leur ai demandé si cela les intéresserait apprendre ce genre de choses sur leurs correspondants, et ils ont convenu que non, qu’ils préféraient savoir ce qu’ils aimaient faire, ce qu’ils pensaient, de quoi ils avaient l’air… C’est donc ce dont ils ont fini par parler. CR: les élèves étaient-ils capables de travailler seuls ou sollicitaient-ils beaucoup votre aide? AP: Pas vraiment: ils n’avaient aucune confiance en leurs intuitions et souvenirs et recouraient systématiquement à la traduction mot à mot de ce qu’ils rédigeaient en français. Que de fois ai-je pu lire « I have 15 years » pendant ces deux heures hebdomadaires passées à courir de l’un à l’autre ! CR: Comment ont-ils réagi aux réponses des correspondants? AP: Ils ont été ravis de recevoir du courrier et surtout vraiment rassurés: l’anglais des jeunes néerlandais n’était pas toujours parfait et leur recours aux abréviations et à un anglais bien moins formel a énormément plu aux élèves qui ont parfaitement retenu des choses telles que « How R U ? » et autres « Wazzup ? ». CR: Avez-vous veillé à la correction grammaticale et orthographique de leurs messages? AP: Je me suis contentée d’attirer leur attention sur les erreurs rendant leurs messages difficiles à comprendre. C’était assez facile de les convaincre après les premières réponses: certains passages des messages qu’ils avaient reçus étaient incompréhensibles (orthographe approximative, traduction mot à mot d’une langue inconnue, invention de mots…). En analysant avec chacun les messages de son correspondant, je crois avoir réussi à éviter qu’ils ne fassent le même genre d’erreurs: corriger certaines fautes dans ce contexte était la seule façon de se faire comprendre et non pas le moyen d’obtenir une bonne note. CR: Ont-ils réussi à ensuite poursuivre ces échanges pour eux-mêmes? AP: Lors de la rédaction des réponses, ils ont été plus spontanés, bien plus motivés puisque cela devenait réel. Certains ont commencé à chatter sur MSN ou à envoyer des emails supplémentaires de chez eux. J’ai proposé aux 3° de nous retrouver sur leur temps libre: pendant plusieurs semaines, tous les 15 jours, 10 à 15 élèves sont venus le jeudi après-midi alors qu’ils n’avaient pas cours, pour découvrir les nouveaux messages auxquels ils ne pouvaient accéder de chez eux faute de disposer d’un accès à l’internet. Une de mes élèves, qui a perdu sa mère il y a 3 ans, s’est trouvée à correspondre par hasard avec une jeune fille ayant connu un deuil similaire. Une autre est tombée amoureuse en même temps que sa correspondante… C’était très agréable de les voir se débrouiller, naviguer entre le dictionnaire, le message auquel il répondait, le message qu’ils rédigeaient et leur cahier. D’ailleurs, j’ai même pu les faire travailler à distance de chez moi alors que j’étais coincée par une sciatique! Ils étaient connectés en même temps que moi et me faisaient part par email de leurs problèmes. Cette séance leur a fait faire un véritable bond en matière d’autonomie ! CR: Avez-vous gardé des traces de ces échanges? AP: Oui, certains échanges se sont poursuivi sur le blog de la classe: CR: Quel bilan tirez-vous de ces échanges? AP: Mes élèves sont devenus bien plus autonomes et efficaces dans l’utilisation du dictionnaire (ils avaient par exemple enfin compris qu’on ne trouve pas de formes verbales conjuguées dans un dictionnaire). Ils s’exprimaient plus aisément et avec moins de difficultés, ils parvenaient à réemployer des tournures et expressions apprises plus régulièrement. Leur anglais spontané demeurait certes basique, mais relativement correct. Ils acceptaient de ne pas comprendre tous les mots d’un texte, étaient capables d’en dégager le sens principal, et avaient pris l’habitude de lire plus rapidement les emails qu’ils recevaient. Ils parvenaient enfin, peu à peu à abandonner le mot à mot. CR: Mais ces échanges ne permettaient de travailler que la compétence écrite. Et l’oral, comment avez-vous fait? AP: Depuis longtemps, je souhaitais aborder la poésie de façon littéraire mais également sonore et tous ces progrès me laissaient supposer qu’ils étaient prêts à lire et écrire de la poésie. CR: Comment avez-vous fait pour aborder la poésie avec des élèves si peu littéraires? AP: J’avais décidé de l’aborder par ses aspects sonores et ludiques et pour cela j’avais retenu le poème « The Chaos » (1920, Dr Gerald NolstTrenité) qu’il n’était pas question d’étudier en entier mais qui permettrait de les initier à l’utilisation du dictionnaire unilingue pour vérifier la prononciation des mots, de leur montrer comment l’écriture poétique peut être sonore… et surtout de les inciter à s’amuser avec les mots ! CR: Avez-vous utilisé les ordinateurs dans cette partie de votre projet? AP: Ils ont été indispensables, pour permettre aux élèves d’écouter les fichiers mp3 à leur rythme, puis de transcrire la prononciation des mots qu’ils cherchaient avec le logiciel Phonmap: http://phonmap.com/ . CR: Vous avez donc fait aussi de la phonologie avec eux? AP: Je ne comptais pas passer beaucoup de temps sur cette activité, mais j’ai changé d’avis en voyant combien les élèves semblaient curieux de comprendre la disposition des caractères sur ce clavier. Ils ont même abordé un travail théorique sur la phonologie en utilisant des animations flash, des films et des fichiers mp3 du site: http://www.uiowa.edu/~acadtech/phonetics/ CR: Comment les avez-vous ensuite menés vers la production de leurs propres poésies? AP: Je leur ai fait écouter puis lire le poème « Stop all the clocks » (dans « Four weddings and a funeral ») qui ne repose pas sur des associations de sons mais sur des associations d’idées. Sa structure et son thème (l’éloge d’une personne aimée et admirée) correspondait à ce que j’allais demander aux élèves de rédiger. Je les ai fait travailler 2 heures en autonomie, libres de réécouter l’enregistrement plusieurs fois, devant gérer leur prise de notes afin de pouvoir reformuler le poème et répondre aux questions lors du retour en salle « traditionnelle» : http://alynepiazza.neuf.fr/wee_web_work/stop_all_the_clocks/index.htm . Une fois ce travail achevé, je leur ai demandé d’écrire un poème en s’inspirant des deux techniques : recherche de noms, adjectifs, et verbes qu’ils associaient au sujet de leur poème ainsi que de rimes, allitérations et assonances. C’était contraire aux réflexes de traduction mot à mot qui resurgissaient, mais ils ont fini par se plonger dans les dictionnaires bilingues et unilingues, rechercher des termes précis, enrichir leur lexique, vérifier les rimes et placer peu à peu les mots sur des lignes, dont les « blancs » se sont aisément remplis. Je leur ai demandé d’illustrer leurs poèmes à la maison et ai publié leurs travaux tant j’étais satisfaite du résultat. Voyez un exemple: http://alynepiazza.neuf.fr/pupils/poetry/amandined.jpg Il leur restait alors à enregistrer leurs poèmes. Ils se sont sentis rassurés d’être isolés des autres par un casque mais tous ne sont pas parvenus en 2 séances à enregistrer convenablement leur poème. Une élève, auteur d’un poème sur Martin Luther King m’a toutefois réellement impressionnée. Voyez ce poème: http://alynepiazza.neuf.fr/pupils/poetry/sonia.htm CR: Et la communication réelle? AP: Réciter un poème est une chose, bavarder en anglais en est une autre. Mais en juin j’ai pu organiser une rencontre à Gand avec ces correspondants qu’ils avaient tant envie de rencontrer. CR: Et comment s’est passé cette rencontre? Ont-ils pu communiquer? CR: Ont-ils exploité cette rencontre ensuite? AP: A notre retour, alors que certains chattaient plus que jamais avec leurs nouveaux amis à la maison, ils ont réalisé et commenté à l’oral et à l’écrit un diaporama dont ils ont sélectionné les photos, enregistré commentaires et bruitages. Ils se sont montrés pleins d’initiatives et ont pu graver un cédérom de leurs productions qu’ils ont emporté chez eux. Il y a quelques jours, ma collègue néerlandaise m’a demandé si une quinzaine d’élèves souhaitait continuer l’échange cette année. J’ai envoyé un email aux élèves de seconde… et j’ai déjà reçu plusieurs réponses positives. J’attends de voir ce qu’en diront les actuels 3°, mais s’ils peuvent continuer à blogger et s’envoyer des emails en se contentant d’un petit SOS par-ci par-là, ça sera vraiment une réussite. Entretien : Christine Reymond |
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