« Personne ne peut imaginer que mai et juin ce sera comme avant ». Devant l’incendie allumé par l’annonce présidentielle de la réouverture des écoles, collèges et lycées le 11 mai, JM Blanquer a couru toute la journée du 14 avril les télévisions pour éteindre l’incendie et amoindrir la violence de cette décision. Mais de nuance en argutie, il montre à quel point elle lui échappe. Il entretient un grand flou qui pourrait faire plus peur qu’une bonne explication.
Une rentrée progressive
Les écoles rouvriront-elles le 11 mai ? Oui si. Et non mais. Le 14 avril, le ministre de l’éducation nationale a vivement nuancé, amoindri, transformé, tempéré les propos d’E Macron pour rassurer les enseignants et les parents.
« On ne va pas retrouver la situation d’avant le 11 mai », dit JM Blanquer sur France 2. « La reprise se fera de façon progressive et allégée ». Le matin, sur la même chaine, il déclare que « personne ne peut imaginer que mai et juin ce sera comme avant. Ce sera autre chose ». D’émission en émission, sur France 2 et France 5, JM Blanquer nuance et dessine une rentrée qui reste largement floue.
D’abord sur la « progressivité ». L’adjectif progressif a bien été utilisé par E Macron le 13 avril : » A partir du 11 mai, nous rouvrirons progressivement les crèches, les écoles, les collèges et les lycées », a dit le président. Sur France 2 (soir), le ministre transforme la formule présidentielle : elle devient une rentrée progressive commençant par les crèches et les écoles, grosse virgule, puis le second degré.
JM Blanquer n’a pas donné vraiment la raison d’une rentrée d’abord pour les plus petits. Elle n’est pas évidente car des enfants de cet âge sont les moins susceptibles de respecter les gestes barrières. C’est le sénateur J Grosperrin, s’adressant à JM Blanquer lors d’une audition du ministre au Sénat le 9 avril, qui semble donner la vraie raison : « Certains spécialistes s’interrogent sur la possibilité de déconfiner les enfants et de les faire revenir à l’école ; dans la mesure où il faudrait que la population soit immunisée à 60 %, ils estiment que les parents d’enfants en maternelle, qui sont jeunes et en bonne santé, présentent moins de risques ».
Une deuxième catégorie d’élèves devrait rentrer également en premier , selon le ministre: les lycéens professionnels et particulièrement les CAP industriels. Là le ministre suit le discours d’E Macron qui évoque » Trop d’enfants, notamment dans les quartiers populaires et dans nos campagnes, sont privés d’école sans avoir accès au numérique et ne peuvent être aidés de la même manière par les parents ». Le ministre parle « d’inégalités sociales qui vont s’accroissant de semaine en semaine ». Il insiste dans chaque émission sur la dimension sociale d’un retour en premier lieu des lycéens professionnels qui inaugureront donc la remise en route des lycées. Ce sont aussi souvent les enfants des métiers dont on reconnait depuis un mois l’importance (livraisons, aide soignants, caissières etc.).
Mais comment faire ?
Reste dans l’ombre la crainte de la contagion et de la reprise de l’épidémie. Un scénario bien mis en valeur dans une étude de l’Imperial College. Comment faire pour que les élèves ne se contaminent pas et ne contaminent pas les adultes ? « On sait faire », déclare le ministre. « on accueille les enfants de soignants ». D’après le ministre, lors de ces accueils, la « distanciation sociale » est toujours respectée par élèves et professeurs. Ce n’est pas ce que montrent tous les reportages télévisés.
« Il ne peut pas y avoir de grands groupes. Il n’est pas question de classe complète », dit-il sur France 2 Matin. Les classes seraient donc fragmentées en groupes sans qu’on sache très bien ce que fera l’autre groupe pendant que leurs camarades seront en classe. Comment faire tenir plus de groupes dans les établissements sans augmenter le nombre de salles ? Il apparait que le ministre cherche les solutions.
Culpabiliser les élèves
Elèves et enseignants auront-ils des masques ? « Ce n’est pas exclu » », répond JM Blanquer sur France 2 soir. « C’est fort possible » avait-il dit le matin. Sur ce terrain, comme sur les tests, le ministre est moins affirmatif que le président de la République.
C’est que le ministre met en avant une autre arme contre la maladie : le développement du sens civique. L’épidémie sera l’occasion de développer l’éducation civique et les enfants respecteront les gestes barrière par civisme, explique t-il. « Les enfants vont apprendre les gestes obligatoires dans le nouveau contexte. On a du civisme qui est là », dit-il sur France2. « Le civisme des élèves sera plus grand » , dit-il sur France 5. Probablement que seuls les enfants qui sont de mauvais français seront malades… C’est la version scolaire, un rien cynique, de la culpabilisation de la population face à une épidémie que ses dirigeants n’arrivent pas à gérer.
Dire la vérité
Après l’annonce brutale de la réouverture le 11 mai, les Français voient un ministre qui ne sait pas trop comment faire passer une décision présidentielle visiblement annoncée avant d’avoir été étudiée en ce qui concerne l’Ecole.
Le gouvernement s’interdit de dire la vraie raison de cette reprise précoce. Mais elle n’échappe à personne. Pour que les adultes puissent aller travailler, il faut que les enfants soient à l’école. Cela semble écarter toute rentrée réellement échelonnée dans le temps. Il faudra très vite, peut-être pas les premières 48h, que tous les enfants soient à l’école. Et là il ne sera pas possible de faire des groupes de 10… C’est là qu’est le problème.
Les exposés de JM Blanquer montrent qu’il ne sait pas comment il pourra éviter une explosion virale dans les établissements. Il se donne un délai de 2 semaines pour trouver les solutions ce qui ne fait que démontrer que la décision a été prise sans se soucier des réalités de l’Ecole et donner du temps à l’angoisse. Le respect des citoyens c’est dire la vérité sur la politique suivie et ses risques.
François Jarraud