En amont des Etats généraux du numérique que le ministère prépare, la Commission éducation de l’Assemblée nationale commence une série d’auditions. Le 23 septembre, la commission entendait d’une part les opérateurs de l’Education nationale, de l’autre les industriels. D’un coté des annonces, de l’autre des amertumes… Dans les annonces, l’évaluation des compétences numériques des enseignants et l’enseignement à distance pour remplacer en temps normal des formations… Et bientôt le retour de l’école à la maison pour mettre tout le monde d’accord ?
Des annonces et un bilan
Directeur du numérique éducatif, Jean-Marc Merriaux lâche deux annonces. Le ministre devrait très prochainement présenter un dispositif d’enseignement à distance pour inclure les élèves malades dans la classe. Une autre annonce concerne plus directement les enseignants : le ministère veut pouvoir certifier les compétences numériques des enseignants. Pour cela il développe un PIX enseignant, c’est à dire une plateforme de certification en ligne.
Quel bilan les opérateurs du ministère font-ils du confinement ? Pour JM Merriaux la crise sanitaire a mis en évidence la fracture numérique. Environ 500 000 élèves n’auraient pas été en capacité de suivre les enseignements faute de matériel ou de connexion. Cela représente 4% des 12 millions d’élèves et il est possible que ce chiffre soit très sous estimé. Une députée, Sandrine Mörch soulèvera le cas des mineurs non accompagnés. C’est une situation que le Café pédagogique a croisé durant le confinement mais que JM BLanquer avait nié disant même que ces jeunes avaient bénéficié du confinement.
Cinq constats
Le deuxième constat porte sur les contenus numériques. « On a utilisé des outils de mise à disposition de contenus et de documents », explique JM Merriaux. « On n’a pas été amené à utiliser des outils d’acquisition des compétences ». C’est là une autre question importante. Beaucoup d’enseignants ne se sont pas sentis en situation d’aborder des points nouveaux des programmes pour cette raison. Mais le numérique peut-il assurer un apprentissage de nouvelles compétences ? Cela supposerait une capacité à réagir au cheminement et aux questions de l’élève que seule la classe dans ses interelations ou la relation humaine semble permettre. Dans une première étape le ministère veut « développer les compétences numériques des élèves ». PIX serait là pour attester des compétences acquises.
Le troisième constat c’est que la crise a montré que les établissements où les enseignants coopèrent s’en tiraient mieux. Pour JM Merriaux , ce sont les établissements « où les chefs d’établissement ont su mettre en place des pratiques collaboratives… »
Le quatrième constat concerne la gestion des données des élèves. »Les GAFAM ont été très utilisés » reconnait JM Merriaux. Même si les ENT ont connu un pic des connexions : +345% en mars 2020. Il cite une expérimentation menée dans les DROM de gratuité pour les sites éducatifs officiels. « Techniquement c’est possible et c’est à mettre en place en métropole ».
Le dernier point concerne la gouvernance. « Il faut revoir notre mode de gouvernance » avec les collectivités territoriales et notamment les communes. Une problématique et une promesse anciennes rue de Grenelle. Le pilotage des nouveaux Territoires numériques éducatifs met à l’écart ces collectivités…
Le numérique à la place de l’Ecole ?
Directeur du CNED, Michel Reverchon-Billot insiste sur les solutions du Cned. « On ne propose pas des ressources mais des parcours complets » dit-il. Mais on retiendra surtout les axes de développement qu’il annonce. « Est-on capable d’apporter des formations à distance pour les élèves ne trouvant pas dans leur académie la formation souhaitée ? Va t-on continuer à faire circuler en bus des enfants ? Ne peut-on pas imaginer qu’un jour par semaine les élèves travaillent dans un tiers lieux au plus près de leur domicile où on fait de l’intergénérationnel ? » C’est un autre versant que le ministère dévoile : le numérique pour remplacer l’enseignement et les enseignants…
Au dessus de la mélée, libre témoin des échanges, Margarida Roméro (laboratoire Line) a tenté de recadrer les espoirs de certains députés de la commission. « Il y a un risque de penser que le numérique va tout résoudre », explique t-elle. Le numérique ne peut offrir que « des outils pour faciliter les apprentissages » et le principal enjeu est « d’augmenter la culture numérique des enseignants, des élèves, des familles et des élus ». Si pour elle « le numérique n’est pas toujours la solution », elle invite à créer « des écosystèmes éducatifs » avec des tiers lieux pour accompagner les élèves.
Des industriels qui ont vu le marché s’effondrer
Et le ressentiment ? Alors que les cadres du ministère sont plutôt dans la satisfaction et l’avenir, les industriels ressassent les occasions manquées et les comportements ministériels. La commission avait invité les deux représentants de l’EdTech, Pascal Bringer pour l’AFINEF et Rémi Challe , directeur de Ed Tech. Assez curieusement elle avait invité aussi Pierre Schmitt directeur d’une entreprise (LDE) ainsi fortement mise en avant.
Point commun : EdTech et l’AFINEF se plaignent de la faiblesse du marché. Ils estiment le marché scolaire à 40 à 50 millions sur les 650 de la filière numérique. « Il faudrait 500 millions », explique Pascal Bringer. Cela parait beaucoup. Mais les entreprises sont passées du plan numérique de F Hollande avec 1 milliard à la clé, à 50 millions après l’alternance politique. Alors qu’elles investissaient elles ont vu le marché disparaitre et sont maintenant sous goutte à goutte.
Elles promettent pourtant d’apporter des solutions et de réduire l’échec scolaire. « On a des papiers qui vont sortir et qui montrent qu’on apprend mieux avec le numérique et qu’on peut réduire la fracture sociale grace à des ressources granulaires individualisées », explique P Bringer en faisant référence à E-Fran, un programme des Investissements d’Avenir (PIA). C’est une allusion à l’utilisation de l’intelligence artificielle en lien avec des ressources granulaires. Il y a pourtant beaucoup à dire sur E-Fran, la façon dont les crédits sont partagés entre un petit nombre de disciplines et de laboratoires et l’évaluation des projets parfois confiée aux porteurs du projet…
Qui achète les produits numériques ?
Ce qu’ont bien identifié les industriels ce sont les freins au développement du numérique éducatif. R Challe souligne les procédures d’achat complexe des produits numériques où l’utilisateur n’est pas le payeur. Cela semble faire l’unanimité même rue de Grenelle. On imagine des coupons envoyés dans les établissements. Mais une expérience un peu ancienne montre que ce n’est pas aussi simple que cela : dans une structure hiérarchisée comme l’Education nationale, les coupons suivent la voie hiérarchique… et finalement ne sont pas dépensés alors que les utilisateurs ont des besoins. Pour les industriels c’est toujours le chef d’établissement qui doit avoir la capacité d’acheter…
R Challe souligne aussi la méfiance culturelle envers le numérique et les entreprises privées. P Schmitt (LDE) traduira cela de la façon suivante. « D’un coté il y a les consternants qui ne veulent pas entendre parler du numérique et à l’autre bout les pédagogos qui ne jurent que par le numérique »… Pascal Bringer (Afinef) évoque « un problème d’acculturation au numérique ». L’idée que l’enseignant cherche le meilleur moyen de faire passer le cours et préparer à un examen, que celui ci n’est pas forcément numérique, et qu’il doit tenir compte de l’énormité de son programme et des aléas matériels, doit encore faire son chemin…
Amertumes
P Schmitt est encore plus direct en ce qui concerne les relations avec l’éducation nationale, dénonçant « les partis pris » du ministère, le manque de confiance envers les industriels. Par exemple il montre que avec le GAR (le système d’accès authentifié mis en place par le ministère) les élèves ne peuvent plus avoir accès depuis un produit à une source externe. Pire le GAR empêche la collaboration entre enseignants. « Un enseignant ne peut pas collaborer avec un autre enseignant d’un autre établissement sans l’aval formel du chef d’établissement ». C’est dommage pour un ministère qui donne des leçons sur la collaboration.
Nicolas Turcat, de la Banque des territoires, a un autre point de vue. Il souligne le manque d’infrastructures avec seulement un tiers des structures scolaires reliées à la fibre et 22 départements sous équipés. « L’équipement reste un problème pour la grande majorité des enseignants ». Le pilotage en est un autre.
La crise sanitaire a pourtant montré la nécessité de développer l’écosystème numérique. Et l’avenir pourrait le remettre au premier plan. « Les écoles ferment les unes après les autres. Il y a fort à parier que dans quelques semaines la question de l’école à la maison se pose »…
François Jarraud