Par François Jarraud
Va-t-on briser le plafond des 66% d’une génération reçue au bac ? Après 15 années de quasi stabilité, la vague des bacheliers pourrait de nouveau monter et dépasser peut-être 70% d’une génération. Les responsables : les bacheliers professionnels. Une hausse brutale, comparable à celle du début des années 1990, se manifeste cette année. Ils étaient 131 582 à présenter le bac en 2010. Cette année ils sont 171 702. Comment expliquer ce phénomène ? Vincent Troger, qui a publié il y a quelques semaines une enquête sur les bacheliers professionnels, nous montre les enjeux de ce phénomène.
Cette année on assiste à une très forte hausse des candidats au bac professionnel avec 171 000 lycéens, soit 46 000 de plus qu’en 2010, + 36% en une seule année. Comment expliquez-vous cette évolution ?
Les statistiques de la DEPP indiquent une très forte progression des secondes bac professionnel en trois ans dés la rentrée 2008 : 5 600 en seconde trois ans en 2007, 67 000 en 2008, 163 000 en 2009. Donc la croissance de cette année est la conséquence de la croissance des secondes en 2008 qui était une anticipation de la généralisation de la réforme par certaines académies, la réforme ayant été annoncée par Darcos dès décembre 2007. Il y a aussi un effet de cumul, les dernières sessions du bac en 4 ans ont lieu cette année. Cela indique que dès janvier 2008, l’annonce du passage du bac professionnel en 3 ans a créé un véritable appel d’air.
Cet effet est-il durable ?
Notre enquête pour le CREN montre que 60% des lycéens professionnels veulent poursuivre leurs études et cela quelques soient leurs résultats scolaires. Les enseignants nous disent qu’un quart à un tiers de leur classe veut aller en BTS. Le succès de la réforme tient à cette volonté. Ils veulent continuer. Que va faire l’institution pour permettre leur accueil dans le supérieur ? Quand on creuse on se rend compte qu’il y a trois types d’élèves : ceux qui ont un projet professionnel très précis et qui savent où aller dans le supérieur, ceux qui veulent un bac, peu importe lequel, pour aller dans l’armée ou la police, ceux qui ont un projet très vague. Une des leçons c’est qu’une proportion importante des élèves est déconnectée de la réalité de son niveau scolaire. On mesure alors à quel point cette course au bac et cet élan vers le supérieur sont des lames de fond.
L’attraction du bac est quelque chose d’incontournable pour toutes les familles. Et cela aura aussi des conséquences pour le système éducatif. D’une part cela va creuser l’écart entre les filières professionnelles très demandées par les familles et les autres. D’autre part cela va modifier l’équilibre entre voies professionnelle, technologique et générale.
On peut citer des effets sur les filières professionnelles ?
La logique c’est que ce qui est demandé c’est le propre plutôt que le sale, le bureau plutôt que l’usine. Les filières peu attractives sont par exemple le travail du métal, les opérateurs sur machines à commande numérique, l’usinage. Or la demande de bac pro en 3 ans, au départ, est venue de l’UIMM ! La comptabilité, l’électrotechnique sont aussi en difficulté. Ce qui attire c’est la vente, la mécanique auto, le froid, l’électronique, la logistique. Les filles se portent davantage vers la bureautique ou peinture revêtement. Le nouveau bac pro médico social devrait aussi attirer.
On peut aussi anticiper sur des effets sur les filières technologiques. On voit par exemple comment la réforme de la filière STI pousse celle-ci vers le haut, vers l’abstraction. Par suite, tous ceux qui sont intéressés par une approche concrète de la production devraient aller en lycée professionnel.
Cette ruée vers le bac c’est un leurre ou c’est une véritable stratégie familiale ?
L’enquête que nous avons réalisée pour le CREN montre qu’il y a une véritable stratégie de contournement des familles. Elles utilisent le bac professionnel pour permettre l’entrée dans le supérieur quand leur enfant a des résultats médiocres à l’école ou quand il est dégoûté des études générales. Notre enquête montre très clairement que ces élèves n’aiment pas l’école. C’est un rejet massif. Les familles confrontées à ce rejet sont malgré tout dans un désir d’études vers le bac et le post bac. L’enseignement professionnel apparaît comme la solution de contournement pour atteindre ces objectifs.
Au niveau du post bac n’est-ce pas un leurre ?
Je ne sais pas. Cela va dépendre de ce que va faire le ministère. Va-t-il ouvrir des places en BTS en nombre suffisant ?
Il y a un débat, qu’on entend au Sénat ou dans les propos de Luc Chatel, sur le niveau du bac professionnel. Certains , les chambres des métiers par exemple, le jugent trop élevés et réclament des diplômes moins élevés. Le bac professionnel est-il vraiment adapté ?
Ce discours existe mais il n’est pas majoritaire. Il reste contenu dans certaines spécialités. Une étude du Cereq a montré les réticences de certaines branches professionnelles. Mais la plupart des organisations professionnelles actent que le bac professionnel est la qualification de base.
N’y a–t-il pas un risque de voir l’enseignement professionnel éclater entre un enseignement manuel, celui des CAP et un enseignement de plus en plus scolaire, celui du bac pro ?
La tendance c’est bien que le CAP attire les élèves en très grande difficulté scolaire. Mais il ne faut pas exagérer la dimension scolaire du bac pro. Les élèves ont 22 semaines de stage en entreprise. Les enseignants disent que le programme peut se faire en 3 ans mais pas avec tous les élèves. Je crois que le bac professionnel va devenir le diplôme professionnel de référence à l’exception de rares secteurs. Le leurre porte sur l’objectif du diplôme. Sur le marché du travail il ouvrira à des emplois d’ouvrier qualifié ou d’employé.
Vincent Troger
Maître de Conférences à l’IUFM de l’université de Nantes
Propos recueillis par François Jarraud
L’étude du CREN
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/0[…]
Vincent Troger dans le Café :
Sur la réforme des bacs professionnels
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/20[…]
Sur l’identité professionnelle des enseignants
http://cafepedagogique.net/communautes/Aref2010/Lists[…]
Le point de vue d’Aziz Jellab
Aziz Jellab, historien de l’enseignement professionnel, situe cet événement dans le temps long de cette voie particulière.
Quels effets aura cette évolution du bac professionnel sur l’avenir du lycée professionnel et sur celui de ces jeunes ?
Le bac professionnel en trois ans s’inscrit dans l’histoire de la voie professionnelle. Elle est marquée par l’hésitation entre deux finalités professionnelle et scolaire. La logique de l’insertion professionnelle pousse vers le bac car le BEP n’est plus convoité sur le marché du travail. En même temps la logique scolaire valorise la voie professionnelle vers la poursuite d’études post bac. Depuis 1985 l’enseignement professionnel se scolarise davantage. La réforme va permettre que les élèves aillent vers la voie professionnelle avec moins de réticence et elle va répondre aux attentes des branches professionnelles. Mais les élèves de seconde professionnelle risquent de souffrir les années suivantes. La logique de niveau risque d’augmenter l’absentéisme ; la formation, plus théorique, d’entraîner plus de réticences. Quel sera le nombre effectif de bacheliers ?
Il y a une autre question. Quelle sera la transition de ces élèves vers le BTS ? Comment seront-ils accompagnés ?
Faut-il craindre cette scolarisation de l’enseignement professionnel ?
En lycée professionnel ont voit les difficultés des enseignants pour gérer l’hétérogénéité des élèves, lutter contre l’absentéisme. Que vont devenir les élèves dégoutés par la montée des exigences scolaires en bac professionnel ?
Il y a aussi une inquiétude dans la formation des enseignants. Beaucoup de futurs PLP sont formés sans connaissance réelle du terrain. On va avoir des enseignants avec un bon niveau théorique mais une mauvaise appréciation du terrain. La plupart des nouveaux PLP sont plus diplômés que ce que demande le concours. Etre surqualifié c’est souvent venir d’un milieu plus favorisé. La distance entre les enseignants et leur public augmente. Leur compréhension des élèves sera plus difficile.
Voir aussi :