Par François Jarraud
« Souviens-Toi ». Cette chanson reste en mémoire bien après qu’on ait quitté le site illustre le site de l’école Saint-Sébastien à Paris. Elle retrace l’histoire de ces enfants juifs qui ont disparu. Elle est l’aboutissement d’un travail d’histoire et de mémoire mené par Nicolas Fédélich.
FJ- Comment est né dans l’école le projet sur les enfants juifs ?
NF- Le projet est vraiment né comme il est indiqué dans l’introduction du projet : deux messieurs sont venus quelques soirs regarder dans les registres de l’école. Ils essayaient d’y retrouver les noms d’enfants juifs présents dans l’école pendant la deuxième guerre mondiale. Ils ont malheureusement trouvé beaucoup d’enfants qui ont disparu dans les camps d’extermination.
Ensuite des témoins de la guerre sont venus témoigner dans les classes. Avec les élèves de CM1, j’ai enregistré ces témoignages d’adolescente résistante, de jeune déportée et d’enfant cachée. Ces témoignages sont le cœur du projet.
Enfin, il y a eu une cérémonie à la mémoire des enfants juifs déportés dans le groupe scolaire. Préparée par l’AMEJD (Association à la Mémoire des Enfants Juifs Déportés du 11ème), cette cérémonie a été l’occasion d’apposer, comme dans beaucoup d’écoles de Paris, une plaque à la mémoire de ces enfants morts en déportation. Tous les enfants du groupe scolaire ont entonné » Les écoliers à l’étoile « , la chanson qu’ils avaient préparée avec le formidable professeur de musique du groupe scolaire, chanson écrite et composée par Soizik Moreau.
Cette chanson commence par » Souviens-toi « , d’où le titre du projet.
Ce projet s’inscrit dans l’événement. Il est le fruit de l’importance que pouvait revêtir une rencontre avec l’histoire et ses témoins. Un apprentissage de l’histoire de cette manière, par une rencontre directe avec des personnes
FJ- Quel a été le travail des enfants ?
NF- Les enfants ont d’abord écrit et posé les questions qui figurent sur le projet. La qualité de leurs questions m’a impressionné. Nous n’avions eu que peu de temps pour les préparer. Et les enfants de cet âge n’ont pas beaucoup de repères historiques. Et pourtant… Ils ont été attentifs, présents, volontaires. Pour résumer, ils ont été formidables.
Les enfants ont ensuite participé en dessinant. Les volontaires sont restés à midi, à l’étude le soir pour photographier les registres, par exemple, ou pour enregistrer les présentations de nos témoins. Ils étaient habitués à des projets sur site internet, ils pouvaient imaginer la navigation dans le projet.
J’ai ensuite créé les pages avec tout le contenu que nous avions.
FJ- Quel impact le projet a-t-il eu sur eux ?
NF- Pendant un tel projet, on se pose toujours la question de savoir si on n’en fait pas trop. Il s’agit de ne pas aller à la limite du supportable pour les enfants, et en même temps de leur faire comprendre l’époque. Comme dans bien des cas, il suffit de regarder les enfants et leurs réactions.
Nous avons dans nos têtes d’adultes des images atroces, celles des camps, celles d’une souffrance physique qui se voit, celles d’une barbarie photographiée, filmée, montrée aux adultes pour qu’il n’y en ait pas qui ignorent cela. Les enfants, eux, ont ressenti l’horreur différemment, au travers des témoignages qu’ils ont reçus : l’horreur c’est pour l’enfant juif d’être en danger à cause de son appartenance religieuse, c’est d’être soustrait à sa famille, c’est de ne pas avoir à manger, etc. L’horreur que l’enfant d’aujourd’hui perçoit, c’est, avant même la porte d’Auschwitz, cet irrespect de la personne et ces privations à laquelle ils ne trouvent aucune raison, s’il peut en exister une.
L’image n’a pas besoin d’être violente à l’œil pour être horrible. Aux témoignages reçus les enfants ont réagi de manière épidermique, ils ont fait des bonds, ils ont crié à l’injustice et à l’absurde. Ce n’est, à mon avis, pas une mauvaise réaction.
FJ- Le projet a t il suscité l’intérêt des parents ?
NF- Oui, de plusieurs manières. D’abord parce que leurs enfants leur en parlaient le soir. Je suis sûr que la chanson est encore connue. Ensuite parce que beaucoup de parents étaient présents lors de la cérémonie. Ainsi, lors de la remise du prix Annie et Charles Corrin l’an passé, les deux seules familles qui n’étaient pas là habitaient très loin.
FJ- On entend dire parfois qu’il ne faut pas étudier la Shoah au primaire car on risque de traumatiser les enfants. Qu’en pensez vous ?
NF- Il est sûr qu’il faut faire attention à ce que l’on dit, et à comment on le dit. Etudier la Shoah, c’est un engagement, on n’en ressort pas le même. L’intention n’est absolument pas de traumatiser les enfants. Je ne peux dire que ce que j’ai observé chez eux pendant ce projet : beaucoup d’attention, beaucoup de recueillement, une envie de comprendre immense. Et surtout, l’horreur du quotidien qui s’exprimait au travers des paroles de nos témoins. Paulette Sarcey, par exemple, a » vécu » trois ans à Auschwitz-Birkenau, mais elle nous a dit cette existence terrible avec des mots qui ne l’étaient pas ; et pourtant les enfants ont ressenti l’horreur.
FJ- Quelles précautions vous semblent nécessaires ?
NF- Je ne veux pas donner de conseils. Ce qui a choqué les enfants, c’est la mise à l’écart. Les enfants juifs ne pouvaient pas jouer dans les parcs comme n’importe lequel des enfants. Ils étaient tenus de porter l’étoile. Toutes les distractions leur étaient interdites. Ensuite, ils ont été séparés de leurs parents, ils ont été maltraités, en les privant de manger par exemple, et ils ont été tués. Je ne pense pas qu’il faille de précautions particulières quand l’on dit cela. L’approche par le quotidien suffit à la réflexion, et les enfants réfléchissent beaucoup.
FJ- Pour d’autres, la priorité doit être donnée aux connaissances, au programme. Et tant pis pour la Shoah. Qu’en pensez vous ?
NF- Je crois que l’enseignement de la Shoah fait aujourd’hui partie des programmes. L’importance de cet enseignement a été clairement réaffirmée ces dernières années.
Au-delà de ça, je crois qu’un projet comme celui-là va bien au-delà de l’histoire. N’entend-on pas aussi qu’il faut former de futurs citoyens ? Est-ce que ce n’est pas une formidable occasion pour les enfants de s’affirmer ensuite comme détenteurs de mémoire et citoyens responsables ?
Les enfants qui ont participé à ce projet sont aujourd’hui au collège. Ils deviendront adultes dans finalement peu de temps. Je pense qu’ils se souviendront longtemps de la chance qu’ils ont eu à rencontrer nos témoins, à leur avoir posé des questions, et à avoir cherché à mieux comprendre.
Nicolas Fédélich
Entretien : François Jarraud
Le projet est visible à :
http://pagesperso.scola.ac-paris.fr/fedelich/memoire/souvienstoi.html