Mobilisation, réservistes, autorité, défense : Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem déclinent ce 9 février en Sorbonne tout le vocabulaire de la » mobilisation de l’École pour les valeurs de la République ». Annoncée le 22 janvier, cette nouvelle étape réunit recteurs, Dasen et préfets avec le premier ministre et la ministre de l’Education nationale. Le premier ministre détaille les mesures annoncées le 22 janvier. Il ouvre le site des « réservistes » pour l’École et publie le guide de détection des jeunes « en voie de radicalisation ». Dans les établissements, il lance des « assises » locales pour lesquelles toute la hiérarchie va être sollicitée dès maintenant.
Transmettre les valeurs de la République cela passe par la lutte contre les inégalités scolaires ou par le catéchisme républicain ? Sans doute par les deux. Mais le cocktail de mesures proposé avec emphase par Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem le 9 février vire au bleu horizon. Les mesures sociales sont des plus limitées, le catéchisme républicain prêché de façon ostentatoire.
De rares mesures sociales…
« Combattre les inégalités » figure bien au plan d’action gouvernemental avec le rappel de la réforme de maternelle pour la maitrise du français. La seule nouveauté concerne les stages des élèves en entreprise. « Afin d’aider les élèves dans l’accès aux stages et aux périodes de formation en milieu professionnel, un pôle de stages permettant de collecter et de suivre les offres émanant des entreprises, sera créé dans chaque bassin d’éducation et de formation ». Le mot discrimination n’est pas prononcé alors que ces stages sont l’occasion pour les élèves des « minorités visibles » souvent de découvrir comment l’École la gère. Dernier apport social : l’augmentation des fonds sociaux des établissements scolaires porté à 45 millions, soit +20%. Ces fonds servent en principe à payer la cantine des enfants qui ne peuvent le faire ais on est loin du compte. L’aspect social s’arrête là.
Le catéchisme républicain…
Le nouveau plan prétend former rapidement 300 000 enseignants à la transmission des valeurs républicaines. Pour cela 1000 formateurs seront eux-mêmes formés en mars et avril. Ce sera l’essentiel de l’investissement des 250 millions réunis pour 3 ans par la ministre d el’éducation nationale. L’Education nationale prépare des parcours M@gistère d’enseignement à distance ainsi qu’un « livret laïcité ». Des référents académiques seront aussi nommés pour aider les établissements à créer des journaux collégiens et lycéens.
Ne dites plus éducation civique dites « Parcours lycéen ». Le programme du nouvel enseignement moral et civique sera arrêté en mai pour application en septembre. Il a déjà été mis en consultation. Le ministère annonce une circulaire encourageant le développement de journaux dans caque établissement secondaire. La formation des enseignants aux média se fera par un Mooc, un autre dispositif d’enseignement à distance. Le ministère étudie la création de « conseil des collégiens ».
L’ouverture de la réserve citoyenne »
La « grande mobilisation » est aussi l’occasion « de favoriser l’engagement » autour de l’école. Le premier ministre devrait confirmer la création de « conseils départementaux d’éducation à la santé et à la citoyenneté » ouverts aux parents et aux associations pour élaborer « des mesures de responsabilisation » des élèves. Le ministère ouvre le 9 février le portail d’inscription à la « réserve citoyenne d’appui aux écoles ». Il s’agit de » permettre aux personnes et aux associations désireuses de participer à la mobilisation pour les valeurs de la République, à l’éducation à la citoyenneté et à la laïcité, et à l’éducation aux médias et à l’information, d’apporter leurs expériences professionnelles ». La mission des réservistes comprend les activités périscolaires. Les enseignants pourront faire appel aux réservistes en passant par la voie hiérarchique » pour illustrer leur enseignement en matière d’éducation à la citoyenneté et à la laïcité et à l’éducation aux médias et à l’information. » Rien n’est prévu pour la formation des réservistes…
Le livret de détection des jeunes « radicalisés »
Le ministère dévoile ce 9 février « le livret de prévention de la radicalisation des jeunes ». Ce guide reprend le contenu du site contre le djihad. » La radicalisation peut s’exprimer par la contestation violente de l’ordre public et de la société » explique ce livret. Parmi les signes distinctifs pour reconnaitre les élèves en cours de radicalisation, le livret mentionne » les propos antisociaux virulents ou violents », les » nouveaux comportements dans les domaines suivants : alimentaires, vestimentaires », la rupture avec la famille. Et comme le livret impose aux enseignants le signalement de ces jeunes, y compris « des préadolescents », certaines crises d’adolescence risquent de se terminer au commissariat.
Des « assises » dans votre établissement
Le ministère veut décliner des « Assises de l’école pour les valeurs de la république » des établissements à l’échelle nationale. Du 16 février au 24 avril, toute la hiérarchie de l’éducation nationale va être mobilisée pour organiser dans les établissements et à l’échelon départemental des Assises locales. Les instructions viendront des Dasen. Il s’agit de « mobiliser les acteurs locaux autour des valeurs de la République à l’École ; préparer et alimenter la réunion départementale ». Un kit d’organisation est annoncé ainsi qu’un guide d’animation. Les thèmes de ces assises porteront sur les relations avec les parents et les partenaires de l’école (municipalités et associations). Suivront des assises départementales et des assises nationales le 12 mai. Pour la lutte contre la ségrégation, il faudra peut-être attendre plus longtemps…
François Jarraud
Valls et N Vallaud Belkacem le 22 janvier
http://cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2015/01/23012015Article63[…]
Le site de la réserve citoyenne
http://www.lareservecitoyenne.fr/
L’École et la discrimination lors des stages
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/11/05112014Article635[…]
Comment transmettre les valeurs républicaines en classe ? En les enseignants en cours le lundi entre trois et quatre ? En faisant chanter la Marseillaise le Jour de la Laïcité ?… Après les grandes déclarations (1), les plans retentissants et les catalogues de mesures, on a envie de se poser. Et de prendre du recul. L’historienne Mona Ozouf, interrogée sur France Inter (2), et le sociologue Olivier Galland, signant une analyse sur le site Telos (3), ont, chacun à leur façon, porté cette semaine des regards éclairants.
» Il n’y a rien de moins limpide que l’idée républicaine »
D’abord, si l’on considère que l’école doit enseigner les valeurs républicaines, comment s’y prendre ? «Si je devais enseigner la morale laïque, je serais très embarrassée, a reconnu Mona Ozouf, interrogée lors de l’émission Interactive du 20 février, les enfants et les adolescents d’aujourd’hui sont insensibles aux prêches. Tout ce qui ressemble à des sermons ou même à des exposés didactiques les rebute». Pour l’historienne qui fut prof de philo, il faut avant tout chercher à capter les élèves: en élaborant des projets de classe, en évoquant des histoires et des récits de vie, afin que «les élèves ne soient plus condamnés à écouter». L’actualité aidant, on pourrait raconter la vie des 4 futurs «panthéonisés» en mai, a-t-elle suggéré, Pierre Brossolette représentant la liberté, Geneviève de Gaulle Anthonios la fraternité, Germaine Tillion la liberté encore, et enfin Jean Zay la laïcité..
Mais que va-t-on enseigner exactement ? «Il n’y a rien de moins limpide que l’idée républicaine», a souligné Mona Ozouf , rappelant que tout le XIXè siècle avait été traversé de débats passionnés sur la place de la liberté et de l’égalité dans notre devise, et que le principe même de laïcité à l’école avait été suivi de décrets d’application très pragmatiques, rédigés par Ferdinand Buisson et Jules Ferry. «Les valeurs républicaines sont difficiles à penser et à accorder l’une avec l’autre», a poursuivi l’historienne. Elle a pris l’exemple de l’égalité, expliquant en substance: nous disons que nous sommes égaux alors que nous ne le sommes pas, mais nous le disons car cela nous sert comme «un tremplin pour le futur», comme «une idée permettant de progresser dans l’émancipation». Pas simple à expliquer en classe, dans le cadre du futur parcours de la citoyenneté annoncé par la ministre Najat Vallaud-Belkacem.
Réponse sociale…
Quel est le sens d’enseigner des valeurs si, dans la réalité, elles ne sont pas respectées ? Peut-on espérer dès lors les faire partager ? C’est un argument qui revient souvent: comment parler d’égalité à des élèves convaincus que leur école est de second rang avec des profs non remplacés alors qu’en centre-ville ils le seraient tout de suite, et persuadés d’être, plus que les autres, promis à des filières courtes ? «La grande crise de l’école est qu’elle promettait une égalité de perspectives et d’horizons», et qu’elle ne tient pas ses promesses, a déploré Mona Ozouf. Ajoutant un sombre pronostic : «quand l’école n’est plus capable de produire de l’égalité, cela devient dangereux». L’historienne, elle-même fille d’instits, a rappelé le temps où les instituteurs clamaient fièrement : «dans nos écoles c’est l’égalité sur les bancs» …
Est-ce qu’on ne demande pas trop à l’école ? Là encore, c’est un serpent de mer. Pour Mona Ozouf, on lui assigne «des missions immenses», suscitant bien trop d’attente. Et on lui adresse des reproches injustifiés, comme celui, implicite, d’avoir renoncé à apprendre à lire et à écrire correctement aux enfants. Dans son analyse, Olivier Galland, le sociologue spécialiste de la jeunesse, estime, lui aussi, que l’on attend trop de l’école. Il pointe en plus un grand malentendu: l’école française, selon lui, ne se fixe pas pour mission première d’inculquer la citoyenneté, «ou alors il faudrait complètement refonder le métier enseignant». En France, rappelle-t-il, les profs sont formés à enseigner leurs disciplines – même si certains vont bien au-delà.
Ou apprendre à vivre en société ?
Et si on se trompait de cible ? Si la priorité de l’école, au lendemain des attentats, était ailleurs ? Ici, Olivier Galland tranche avec la plupart des commentaires et avec la ligne officielle. Pour lui, le diagnostic initial est faux. Citant des sondages, il assure que «la jeunesse, dans sa très grande majorité, n’est pas gagnée par un ethos antiautoritaire et un rejet des valeurs républicaines ». Au contraire, d’après lui. A côté d’une partie, minoritaire, de jeunes radicalisés, la tendance est «plutôt à un retour en force de valeurs «traditionnelles» comme l’autorité. Alors, toujours selon lui, les remèdes proposés – une certaine reprise en mains des élèves, inculcation de la morale laïque… – sont erronés. «Si l’école doit transmettre des valeurs, ce ne sont pas tant celles de la «République» ou de la «Laïcité», écrit-il, que celles, tout simplement, de la vie en société ». Ce qui suppose d’apprendre à débattre, à écouter l’autre, à respecter les avis divergents…
Le sociologue conclut en évoquant une mission faite récemment en Norvège avec l’OCDE, pour étudier des dispositifs en faveur des jeunes en difficulté. «Nous avons rencontré un chef d’établissement, écrit Olivier Galland, qui expliquait que des discussions étaient organisées périodiquement dans les classes autour de notions comme la patience, le courage, le respect, la coopération, l’honnêteté, la responsabilité, etc., à partir d’exemples et de situations vécues par les jeunes eux-mêmes. «Nous les préparons pour la vie», avait conclu ce chef d’établissement.»
Véronique Soulé
Notes
1 Les grandes déclarations
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2015/159_2.aspx
2 Mona Ozouf sur France Inter
http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1054853
3 Sur Telos
http://www.telos-eu.com/fr/societe/les-jeunes-et-les-valeurs-de-la-repub[…]
Toutes les chroniques de V. Soulé
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/chroniquesVSoule.aspx
Sur le site du Café
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