Magali fait du coaching. Estelle est devenue chasseur immobilier. Christophe distribue des produits de bien être. Nicolas vend ses fromages. Vous les avez croisés dans les pages « seconde carrière » du Café pédagogique. Tous étaient profs et sont passés par l’association Aide aux profs créée par Rémi Boyer. Depuis 2006 il a construit des outils pour aider les enseignants qui veulent quitter la classe et entame une seconde carrière. Alors que la difficulté du métier enseignant est reconnue, il fait avec nous un état des lieux d’une politique qui n’arrive pas à trouver place dans l’institution.
Aujourd’hui les professeurs cherchant à faire une seconde carrière vous semblent-ils nombreux ? Et qu’entendent-ils comme seconde carrière ? Rester dans l’Éducation nationale ou la quitter ?
Si j’en crois un sondage réalisé par le Se-Unsa l’an dernier, 24% des enseignants souhaitent une reconversion. 9700 ont contacté en 2012-2013 les 80 conseillers mobilité carrière (CMC) dans 30 académies de l’éducation nationale. Ceux là sont des personnes qui sont vraiment décidées à faire une nouvelle carrière.
Ce que leur propose l’Éducation nationale c’est de rester dans l’éducation nationale en changeant de niveau ou de corps. Par exemple devenir professeurs du secondaire après avoir été professeur des écoles en passant le Capes, ou devenir chef d’établissement. Notons au passage qu’on ne leur facilite pas la tache en exigeant un autre concours. Et que la réponse espérée ne leur est pas donnée.
Pour ceux qui veulent vraiment quitter l’éducation nationale, la politique actuelle réduit les postes en détachement dans des services extérieurs (comme Canopé) ou des associations complémentaires (comme la Ligue de l’Enseignement).
A-t-on une idée du pourcentage de professeurs qui veulent vraiment quitter l’enseignement ?
Je peux l’estimer à partir de nos données. On est passé de 1500 à 1200 contacts par an. Cette baisse s’explique parce que la politique officielle depuis Peillon est moins anxiogène pour les enseignants. Parmi eux 10% veulent démissionner. Ce sont surtout des jeunes qui viennent entrer dans le métier. Ils mettent en cause les conditions de travail et la formation. Environ 30% cherchent un détachement. 20% veulent changer de discipline ou de corps. Et la moitié veulent partir en disponibilité tout en gardant le statut d’agent public.
Sur votre site vous avancez une hausse de 38% de démissions d’enseignants..
Ce sont des chiffres tirés de la loi de finance 2013. On note une hausse de démissions entre 2011 et 2013 car à cette époque l’indemnité volontaire de départ (IVD) était favorable aux enseignants. Les enseignants la demandaient plus que les autres fonctionnaires car ils ont plus de temps libre pour préparer une reconversion. Le récent décret de mai 2014 limite le bénéfice de l’IVD à la création d’entreprise ce qui va faire baisser le nombre des démissions. Là aussi on n’aide pas vraiment la reconversion des enseignants.
La moitié des enseignants qui demande une mise en disponibilité a-t-il des chances de l’obtenir ?
Elles sont de moins en moins accordées par les académies qui se retranchent généralement derrière les nécessités du service. C’est ce qui a permis à l’éducation nationale, dans une réponse à un parlementaire lors de la loi de finances 2013, de répondre qu’il y avait moins de demandes. C’est assez honteux. Les enseignants ont imaginé des procédures de contournement. Ils demandent un congé pour élever un enfant de moins de 7 ans puisqu’on peut travailler à mi temps avec ce congé, ou pour suivre un conjoint. Un autre phénomène devrait faire réfléchir l’administration : de plus en plus d’enseignants utilisent des congés de longue maladie pour se former et préparer leur départ.
A l’avenir pensez vous que la demande de seconde carrière augmente ?
Aujourd’hui seulement 6% des enseignants ont plus de 60 ans. Avec l’augmentation des annuités nécessaires pour partir en retraite à taux plein on peut penser que la génération en poste actuellement va devoir rester plus longtemps. Le vieillissement et l’enseignement ne font pas bon ménage.
Une autre porte de sortie traditionnelle c’est les détachements. Cette porte s’ouvre ou se ferme ?
Les possibilités de détachement se réduisent. La politique menée par l’éducation nationale est difficile à comprendre. Les associations complémentaires de l’école voient leur nombre de postes diminuer avec leur budget. A l’Onisep les fermetures de CIO réduisent les postes. Au CNED on recrute davantage de contractuels ou même de stagiaires. A Canopé tous les postes sont ouverts aux autres ministères. Les CMC invitent les enseignants à regarder du coté des emplois territoriaux. Mais la façon dont sont rédigées les fiches d’emploi décourage les enseignants qui pensent ne pas avoir les compétences requises pour des emplois souvent administratifs. L’Education nationale a ouvert ses emplois aux autres ministères. Mais dans l’autre sens il n’y a pas d’adaptation de l’offre.
Depuis la loi de 2003 quelle évolution observez-vous ?
En 2003 on a eu la loi sur la seconde carrière et en 2005 son décret d’application. En 2006, une mission seconde carrière a été créée. Une vraie impulsion a été donnée entre 2009 et 2012. On a créé les conseillers mobilité carrière (CMC), un ou deux par académie. C’était l’époque où la droite voulait dégraisser l’éducation nationale. Depuis 2012 le rôle des CMC a changé. Ils travaillent avec des psychologues de la Mgen et il y a des instructions envoyées dans les établissements pour détecter les enseignants qui ne vont pas bien. Il faut que les enseignants sachent que quand ils consultent un CMC leur dossier n’est plus confidentiel. Leur inspecteur, leur chef d’établissement pourra connaître leur voeu et leurs difficultés.
Depuis 2012 on assiste à un ralentissement des efforts pour les secondes carrières. Le mot d’ordre c’est de garder les enseignants, quitte à les changer de discipline ou de corps. Sur 30 académies seulement 5 ou 6 acceptent des départs en cours d’année. Le métier enseignant est devenu un piège entre septembre et juillet. On sent depuis 2012 une politique de pacification dans l’école qui se traduit par une chute importante du nombre de suicides.
Il y a aussi un mouvement de création de micro-entreprises chez les enseignants ?
C’est un moyen de lutter contre la routine du métier d’enseignant et de préparer éventuellement une reconversion. Depuis le décret de 2011 les enseignants peuvent créer une micro entreprise. L’administration joue le jeu, même s’il y a des lenteurs administratives. De plus en plus d’enseignants contribuent ainsi au redressement économique.
Et l’association Aide aux profs comment se porte-t-elle ?
On a développé depuis juin 2014 un vrai réseau d’entraide pour les professeurs qui veulent quitter le métier enseignant avec un nouveau site « Entre profs ». On propose des conférences et des conseils sur la seconde carrière.
J’ai créé l’association Après prof pour anticiper la disparition totale des détachements et privilégier la création d’auto-entreprises. Les profs qui font ça se sentent mieux en général. Comme le président de la République veut rapprocher les entreprises et l’école je ne comprends pas qu’une demande de création d’auto entreprise soit encore aussi difficile. On met trop de bâtons dans les roues des profs qui s investissent dans une démarche de leur choix.
Propos recueillis par François Jarraud
Aide aux profs
http://www.aideauxprofs.org/index.asp?affiche=Accueil.asp
Après profs
Magali, Estelle, Christophe et les autres : Le DOSSIER seconde carrière
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2013/Carriere2.aspx
Souffrir d’enseigner. Faut-il partir ou rester ? Le livre de R Boyer.
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2013/146_SC.aspx
Sur le site du Café
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