Alors que le ministre veut atteindre « 100% de réussite en CP », Le Café pédagogique révèle les premiers résultats de la méthode Narramus d’initiation à la compréhension de textes en maternelle. Développée par Roland Goigoux et Sylvie Cèbe en collaboration avec des enseignants, Narramus prépare les enfants à la compréhension des histoires en leur permettant de développer des compétences narratives déterminantes pour la suite de leur scolarité. Évaluée auprès de 6000 enfants de la petite à la grande section, Narramus a un impact positif prouvé scientifiquement. Les enseignants disposent de scénarios pédagogiques précis utilisables de la petite à la grande section de maternelle. Avec Narramus les enfants comprennent ce qu’est un récit et enrichissent leur vocabulaire. Une première rencontre déterminante pour les apprentissages du CP.
Travailler la compréhension
« Le meilleur moyen d’apprendre à comprendre les histoires est d’apprendre à les raconter ». Les enseignants de maternelle consacrent déjà beaucoup de temps à la découverte d’albums et à l’initiation à la compréhension de textes.
En 2016, une étude dirigée par Roland Goigoux a mis en évidence le déficit d’apprentissage de la compréhension en CP. Alors que le déchiffrage est enseigné longuement et acquis pour la très grande majorité des élèves, les enfants ont du mal à entrer dans la lecture utile car la compréhension des textes n’est pas assez enseignée.
C’est cette compétence que travaille Narramus dès la maternelle. Les enfants sont amenés à développer des compétences précises qui permettent d’assurer qu’ils comprennent l’histoire qui leur est racontée.
Expliciter l’implicite
Ainsi la méthode travaille sur la représentation mentale que les enfants ont de l’histoire avant d’en avoir vu aucune image. Cette inversion par rapport à l’ordre classique de la lecture permet de travailler la compréhension en développant leurs compétences inférentielles. Ils comprennent que dans une histoire tout n’est pas dit, qu’il y a des choses que le lecteur doit deviner…
La compréhension c’est aussi le lexique et la syntaxe qui sont enseignés. Pour les enseignants qui ont bien du mal à enseigner le vocabulaire, disons tout de suite que les enseignants participant au projet ont trouvé des astuces très efficaces comme le mime du vocabulaire.
Mais les enfants sont aussi interrogés sur les états mentaux des personnages. Ils sont invités à expliciter ce qui est implicite dans l’histoire.
Apprendre à raconter
Au final, ils sont invités à jouer l’histoire. C’est ainsi que l’on vérifie leur compréhension de l’histoire. C’est aussi comme cela que les enfants prennent conscience et jouissent enfin des compétences qu’ils ont acquises. Ce jeu est aussi une ouverture vers la maison. La méthode invite les parents à écouter leur enfant jouer l’histoire. C’est aussi un étai puissant pour la réussite à l’école.
Roland Goigoux et son équipe ont évalué scientifiquement les résultats de l’utilisation de Narramus auprès de 6000 enfants. Le Café pédagogique en publie les premiers résultats. Ils sont nettement positifs.
Dans le combat pour favoriser l’apprentissage de la lecture, Narramus apporte une aide incontestable et basée sur l’enrichissement des pratiques enseignantes. C’est un grand pas en avant que l’École peut faire.
François Jarraud
Sylvie Cèbe, Roland Goigoux, « Narramus : La sieste de Moussa » (+ album et CD-Rom), Retz éditeur, ISBN 978-2-7256-3585-9 , 25.90€
Roland Goigoux et Sylvie Cèbe : Pourquoi Narramus fonctionne
Sylvie Cèbe et Roland Goigoux reviennent sur la naissance de la méthode Narramus, la part des enseignants dans sa conception. R Goigoux présente les premiers résultats des évaluations de la méthode.
Comment est né ce projet ?
Sylvie Cèbe : On sait qu’il y a de forts écarts de transmission entre les familles. Cela a été rappelé dans la rapport Delahaye sur « École et grande pauvreté ». Beaucoup d’enseignants ne savent pas comment combler ces écarts entre 3 et 6 ans. On a réfléchi à imaginer des outils grâce à la bonne volonté d’une trentaine d’enseignants de Clermont-Ferrand qui ont accepté de travailler avec Roland Goigoux et moi sur cette question. Ils ont été pleinement associés au projet qui a réuni les chercheurs et les praticiens.
Quelle a été leur part dans Narramus ?
On est arrivé dans une école avec un prototype qu’on a rédigé à partir de ce qu’on sait des pratiques efficaces et des difficultés fréquentes chez les enfants, et aussi des pratiques des enseignants de maternelle.
Ce premier prototype a été confié à 10 enseignants qui l’ont testé en classe. Deux mois plus tard ils nous ont dit comment ils l’avaient utilisé, ce qu’ils avaient ajouté ou supprimé. On a donc réécrit un second prototype qui a été confié à 20 autres enseignants. Puis on a établi un 3ème prototype qui a été évalué auprès de 6000 enfants en 2016 en Rep et Rep+. C’est au vu des résultats qu’on l’a publié.
Quels sont les résultats de Narramus ?
Roland Goigoux : Ils seront présentés le 18 septembre pour la première fois aux enseignants partenaires. On a testé les élèves de 265 classes (83 petites sections, 92 moyennes et 90 grandes) sur le vocabulaire et sa mémorisation et sur la qualité du rappel de récit.
Les évaluateurs ont enregistré les enfants les uns après les autres a deux moments. D’abord avant la phase d’enseignement, juste après qu’on leur ait lu et raconté l’histoire. Puis après l’enseignement. A chaque fois, on leur demandait de raconter l’histoire. Ce travail, on l’a fait chaque trimestre. En même temps, on évaluait le vocabulaire appris et, en fin d’année, le vocabulaire retenu. On a encodé ces résultats selon les différente idées proposées par le texte. Les résultats ont été établis avec ma doctorante Isabelle Roux-Baron.
On a évalué les progrès en comparant trois groupes d’élèves : ceux qui ont Narramus et des maîtres accompagnés par les conseillers pédagogiques, ceux qui ont Narramus sans accompagnement, et enfin un groupe témoin d’enfants qui ont le même album mais sans la méthode Narramus. Les maîtres savaient quand même que les élèves seraient évalués et comment ils le seraient.
On a aussi tenu compte du temps d’enseignement car quand on introduit une innovation, les enseignants passent plus de temps sur les tâches nouvelles. On sait que les enseignants qui utilisent les outils Narramus passent environ 6 heures par exemple en GS contre 4 heures pour le groupe témoin. On a donc voulu évaluer cet effet précisément.
Au final les résultats sont très clairs. Chez les moyennes sections comme les grandes sections (GS), les effets de la méthode Narramus sont forts à chaque trimestre et de plus en plus forts en fin d’année. En fin de GS, la performance des enfants est chez les deux groupes expérimentant Narramus deux fois meilleure que chez le groupe témoin pour la narration de l’histoire. Même si on pondère ce résultat par le temps , on a un effet induit par la méthode qui est très fort.
On a aussi de vrais effets de transfert. Au 3ème trimestre, dès le premier test, les deux groupes expérimentant Narramus sont nettement supérieurs en compréhension de l’histoire au groupe témoin, alors que l’enseignement portant sur l’histoire n’a pas encore eu lieu. On a un effet de l’ordre de 0.6 à 0.45. Cela veut dire qu’il y a bien eu un transfert de compétences au fil de l’année alors que l’histoire bien sûr n’est pas la même.. Les élèves entraînés avec Narramus sont capables de mieux écouter une histoire et de mieux la comprendre, et aussi de mieux la restituer.
Les tests sur le vocabulaire montrent aussi que vocabulaire acquis au 1er trimestre est toujours là au 3ème trimestre. Le dernier effet de la méthode est sur les enseignants. Ils nous disent ce qui change dans leurs pratiques.
La méthode Narramus est-elle facilement accessible aux enseignants ?
Sylvie Cèbe : Aucun enseignant ne nous a lâché en cours de route. Isabelle Roux-Baron les a interrogés. Ils disent qu’au premier trimestre ça demande une vraie prise en main. Par exemple, la recherche a montré qu’il y a un fort écart de vocabulaire entre les enfants favorisés et défavorisés. Et le manque de vocabulaire est un obstacle à la compréhension. On est allés chercher les pratiques efficaces d’apprentissage du vocabulaire. On apprend les mots toujours en les mettant en contexte. On a aussi relevé que les verbes ou les adjectifs étaient moins souvent enseignés ainsi que le vocabulaire des émotions. On met l’accent dessus par exemple en faisant travailler les élèves sur l’état mental des personnages. Pour maîtriser le lexique, on l’utilise dans des situations différente. L’école La Fontaine de Clermont a inventé la dictée mimée, par exemple. Une invention extraordinaire !
Les enseignants peuvent au départ être frappés par le côté explicite et répétitif de la méthode. Mais ils voient les effets sur les élèves. Ils nous disent par exemple qu’ils appliqueront toujours cette idée, empruntée à M. Brigaudiot : ne montrer l’image d’un récit qu’après la lecture et après qu’on en a parlé. C’est une vraie petite révolution. Les enseignants découvrent à quel point les enfants adorent ça !
Ils voient aussi à quel point les enfants adorent aussi refaire. Comme ils jouissent de leur sentiment de compétence alors que généralement l’école avance trop vite. Et quand les enfants racontent l’histoire aux parents, ceux ci découvrent à leur tour le plaisir de leur enfant.
La méthode propose tout un travail sur les compétences inférentielles. De quoi s’agit-il ?
C’est comprendre que le texte ne dit pas tout et qu’il faut interpréter une histoire. C’est une porte pour entrer dans la littérature et la compréhension en profondeur.
La méthode laisse aussi une place aux parents. Pourquoi est-ce important ?
Il est important que les parents comprennent ce que l’école fait pour leur enfant. On a du mal à les faire venir à l’école. Et le carnet de vie ne montre pas ce qui s’est passé à l’école. Là, en demandant aux parents de solliciter leur enfant pour qu’il raconte l’histoire, les parents découvrent ce qu’a appris leur enfant. Souvent ils filment le spectacle préparé par l’enfant. L’école est entrée dans la famille.
Propos recueilli par François Jarraud
Sylvie Cèbe, Roland Goigoux, Narramus : La sieste de Moussa (+ album et CD-Rom), Retz éditeur, ISBN 978-2-7256-3585-9 , 25.90€
Une quinzaine d’albums sont prévus. Tous les droits d’auteur sont reversés à une ONG.