Lundi 16 mars, 8 heures. Laaldja, directrice de l’école Simon Bolivar B à Paris, dans le dix-neuvième arrondissement, est à son poste. Dix de ses collègues, sur les quinze que compte l’équipe, sont présents aussi. Ils ne voulaient pas la laisser seule. 8h20, ouverture des portes. Trois parents se présentent, Laaldja en attendait plus, il y au moins six élèves dont le parent travaille dans le milieu médical, sur les 275 que compte l’établissement. Les parents sont inquiets, pas vraiment ravis de laisser leur enfant alors que tous les autres sont chez eux. Mais ils n’ont pas le choix, l’un travaille dans un laboratoire, l’autre est infirmière et le dernier officie dans un service de réanimation. Une journée pas comme les autres, un peu apocalyptique, mais comme le dit si bien Laadja. « Nous sommes le service public, la nation a besoin de nous, nous sommes présents. On s’en sortira grâce à notre force de solidarité ».
Les directeurs, en première ligne
Comme pour tous les enseignants du territoire, ordres et contrordres ont afflué sur sa boîte mail professionnelle à laquelle elle est restée connectée durant tout le weekend. « Dès que j’avais une info, je la transmettais aux collègues ». Dernière en date ? Celle envoyée par le rectorat qui reprenait les propos du ministre : seuls les enseignants volontaires devaient se rendre à l’école. Ils étaient dix à l’école Simon Bolivar B. « Ils étaient présents pour accueillir les élèves des soignants, pour discuter des différentes modalités qu’ils vont pouvoir mettre en place pour le suivi des élèves mais aussi pour préparer des sacs contenant exercices et livres pour les élèves dont ils savent l’accès au numérique très limité. Il faut que les élèves ne perdent pas l’appétence scolaire. Ce sera très compliqué à la rentrée sinon » explique Laadja. Et ils sont nombreux dans cette école où certains élèves vivent dans des foyers ou hôtels avoisinants.
Mais c’est aussi par solidarité pour leur directrice que ses collègues se sont rendus à l’école, pour qu’elle ne se sente pas seule car bien que les directeurs ne soient pas chefs d’établissement, de fait ils sont en première ligne en ce moment. D’ailleurs, les multitudes de mails envoyés par le ministère, les rectorats et les directions académiques ne trompent pas, ils sont adressés aux chefs d’établissement, aux IEN et … aux directeurs. Mais l’heure n’est pas à la polémique, ce rôle Laadja l’endosse sans aucune amertume. « J’estime avoir une responsabilité vis-à-vis de mes élèves, de leurs parents et de mes collègues, quelle que soit la reconnaissance institutionnelle. Je suis là pour rassurer, même si j’avoue ne pas être rassurée moi-même ».
L’occasion d’investir l’ENT
Toujours positive Laadja voit aussi la situation comme une « occasion » de mettre en place l’ENT (espace numérique de travail) mis à disposition par la ville et le rectorat de Paris. « Cela fait un certain temps que cet ENT existe. Un collègue et moi avions suivi une formation sur notre temps personnel en début d’année mais nous n’avions pas encore eu l’occasion d’exploiter cet outil. Je ne le maîtrise pas encore mais ça va venir. Il va falloir que cela vienne ». Les enseignants parisiens ont donc la chance de pouvoir utiliser – à moins que les serveurs saturent là aussi – un espace numérique sécurisé et en conformité avec la RGPD, loin des systèmes D que d’autres sont obligés de mettre en place dans l’urgence pour ne surtout pas perdre le lien avec leurs élèves.
Aucune info sur l’accueil des enfants de soignants
Du côté des élèves accueillis, trois enfants de soignants se sont présentés. Une de sept ans, deux de dix. Laadja sait que dès mardi plus d’élèves devraient se présenter. « J’ai eu certains parents qui s’étaient organisés pour aujourd’hui et qui me demandaient comment faire ». Là encore, la principale tâche de Laadja est de rassurer enfants et parents. « Ils n’étaient pas rassurés en arrivant. Ils ont conscience de la gravité de la situation et ce n’est vraiment pas de gaieté de cœur qu’ils nous laissent leurs bambins. Ce sont les premiers à savoir ce qu’est une épidémie, ce qu’est le coronavirus donc ils savent qu’en laissant la prunelle de leurs yeux à l’école, les risques sont plus importants qu’en les gardant à la maison… ». Lundi, c’était Laadja et ses collèges qui avaient la charge de ces enfants, « on leur a donné des activités et demandé de rester espacés ». Le périscolaire est assuré par la mairie où les mêmes consignes sont appliquées. Concernant mardi, nulle information concernant la prise en charge ou l’éventuelle centralisation de cette garde, « on va organiser un roulement entre nous sur la base du volontariat ». Dans l’académie de Créteil, certains inspecteurs ont eu la bonne idée de permettre des regroupements d’enfants sur leur territoire, permettant ainsi un roulement de volontaires beaucoup plus espacé. A Paris, ce regroupement s’est organisé dans l’après-midi.
Alors que le pays entre en phase de confinement, beaucoup d’enseignants sont sur le front, que cela soit en préparant des séances sur les différents portails numériques, qui ne suivent malheureusement pas, ou physiquement dans les établissements. Les enseignants qui comme tous les français appréhendent avec hantise les semaines à venir, ont en plus la « charge mentale » de leurs élèves pour lesquels ils s’inquiètent…
Lilia Ben Hamouda