Par Justine Margherin
Les données sont partout. Récemment l’état a même ouvert les siennes. Elles sont maintenant de plus en plus facilement accessibles. Accessibles à tous ? Accessibles comment ? Comment les exploiter ? A qui vont-elles être utiles ? Qu’en faire ? A quoi servent-elles ?
Une des professions liées à l’information se transforme avec cette explosion des données et est le cœur de cette table ronde. Cette profession c’est le journalisme. A l’occasion d’une conférence donnée sur cette thématique à la BnF (Bibliothèque nationale de France), observons le rapprochement des journalistes avec les données. Quelles relations entre les données, la citoyenneté ?
Réinventer le journalisme avec Internet : Data journalisme, fact-checking et nouvelles écritures numériques.
C’étaitt le 6 juin que cette conférence réunissait dans le cadre des « Rencontres du Labo » de la BnF, Xavier de La Porte (producteur de Place de la toile sur France Culture et fondateur d’internetactu.net), Carorilne Goular, co-fondatrice de Dataveyes (start up de visualisations interactives de données) Boris Razon (ancien rédacteur en chef du Monde.fr, développement des web documentaires à France Télévisions) et Julien Goetz (journaliste de projets à Owni.fr). La conférence a permis de rapidement entrer dans le vif du sujet par cette question posée aux intervenants : Qu’est-ce qui est intéressant dans la campagne présidentielle française en termes de pratiques médiatiques ?
Caroline Goulard expose le projet de Google. Le postulat de l’entreprise Google est de dire que ses données ont un potentiel éditorial. C’est ce principe qui a présidé à un concours sur la valorisation et la visualisation des dites données, google mettant ses données à la disposition des candidats. On ne sait que trop la quantité d’informations que peut produire Google et qu’il exploite (relire sur le Café Pédagogique, mensuel 122, rubrique documentation). Ce qui pose question dans ce traitement des données, selon Caroline Goulard, c’est que parmi les lauréats du concours organisé par Google, aucun n’était journaliste. Cela permet de poser d’autres questions : quelle médiation de ces données ? Pourquoi ? Comment ? Pour qui ? …
Traiter ces données permet bien d’apporter des informations au public, des informations qui ne sont pas visibles autrement. Corollaire pour les professeurs documentalistes : ce concours est une occasion de faire prendre conscience de la circulation des données et de l’impact de l’utilisation de Google, de ses modalités économiques ; d’aborder la question des enjeux de l’information, de ses choix et de la place de firmes comme Google dans la société de l’information. On appréciera aussi la visualisation des données de Twitter pendant la campagne, production très démonstrative à partir de tweets. Toutes ces opérations de storytelling de la data ont pour but de nous permettre d’y accéder, d’en extraire du sens. La mission du data journaliste est de les présenter, de les mettre en scène, cela implique un angle et un choix de traitement. Au-delà de la donnée, l’intervention du data journaliste est bien celle d’un choix de traitement et donc il convient bien de mettre en œuvre les mêmes capacités critiques. L’éducation aux médias doit intégrer cette spécialité comme la capacité à critiquer les traitements mathématiques, statistiques et de mise en récit des dites données.
Avec les médias numériques, un nouveau paradigme s’est installé : l’information en temps réel
Les médias numériques modifient les pratiques du journalisme. Il faut vérifier l’information très vite ce qui peut amener un glissement vers un journalisme en temps réel. Alors bien entendu, des écueils sont sur le chemin. Et pourtant ce n’est pas nouveau. Il faut admettre lorsqu’on est journaliste pour un média à forte audience, qu’il y a toujours plus d’experts chez vos lecteurs que dans l’équipe de rédaction. Ce n’est pas nouveau et c’est d’ailleurs cette réflexion qui avait présidé lors de l’ouverture des blogs sur LeMonde.fr explique Boris Razon. Les lecteurs prennent part à ce traitement de l’information. Mettre en ligne par exemple les données sur les budgets de toutes les écoles comme l’a fait le Guardian ne prend tout son sens que si on sait que, par exemple, suite à une tempête telle école de telle ville a dû investir pour réparer le toit de l’école…. Les données sur les budgets ne disent pas cela. L’intervention des lecteurs pour aider à pondérer, à comprendre est alors indispensable. Les journalistes peuvent donc s’appuyer sur une chaîne de personnes pour écrire, pour construire. Le web donne la parole aux lecteurs ; ils imposent un réajustement et des réorientations constantes, que ce soit dans le traitement de données ou d’informations au sens plus large. Au-delà de la donnée, il faut contextualiser. Ce n’est pas nouveau pour un journaliste.
C’est le rapport au temps qui a été profondément modifié. Les fondamentaux « informations / angle / support » restent les mêmes rappelle Julien Goetz. Mais les journalistes ont un grand intérêt à s’associer à des informaticiens pour permettre la compréhension de ces données en créant des applications interactives. Cette collaboration, cette complémentarité entre rédacteurs et informaticiens permet au journaliste la mise en perspective et l’investigation des données. Elle permet de donner les clés de compréhension.
Transformer la donnée en information
Les sites d’informations ne peuvent donc laisser ces données de côté. Cependant les journalistes ne sont pas tous à même de les traiter. Caroline Goular donne un autre exemple : l’exemple du Guardian et de l’affaire des factures des députés anglais qui avaient été analysées par le public. Les journalistes n’avaient matériellement pas le temps de tout dépouiller et c’était la communauté des lecteurs qui analysait les données diffusées par la rédaction (crowdsourcing).
Le data journalisme est un journalisme de notre temps. Il est issu d’une adaptation aux nouvelles conditions d’accès à l’information et à la quantité d’information produite. « Près de 90% des données dans le monde ont été produites au cours des deux dernières années » peut-on lire dans l’article d’Ariane Warlin (Stratégies n° 1682 du 7 juin 2012). C’est énorme. Ce déferlement d’informations sur le web -notamment l’ouverture des données publiques (data.gouv.fr par exemple). Les journalistes de données ont pour mission de créer des applications qui donnent du sens à ces données. Transformer la donnée en information. Le journaliste écrit des articles, son travail repose sur la narration verbale le plus souvent. Travailler avec les données impose de quitter cette narration verbale. Elle s’appuie sur le visuel. Au-delà du recueil et du traitement des données, la page web répond bien à cette nécessaire visualisation ainsi qu’à la possibilité de naviguer à l’intérieur de ces données. Ce support de restitution facilite ainsi la compréhension par le lecteur.
Toute une partie de notre vie est encodée… peu de gens sont capables de lire ces codes
Toute une partie de notre vie est encodée (voir les questions des traces numériques, de l’identité, numérique, de l’identité calculée, etc.). Peu de personnes sont capables de décoder ces informations. Peu de personnes sont capables de lire notre paysage informationnel. L’enjeu du journaliste est donc d’aller chercher ces données pour les restituer dit Boris Razon.
On parle fréquemment d’infobésité en documentation. Tout comme on insiste sur la capacité à trier, hiérarchiser les informations pour les sélectionner et les valider, il faut mettre en œuvre des compétences spécifiques si on veut comprendre, exploiter, critiquer les données. Elles demandent un traitement spécifique. Au-delà des compétences en termes de hiérarchisation, esprit critique et aussi capacité à en comprendre les sources, il va falloir mettre en œuvre des méthodes souvent issues (disent les journalistes de la table ronde) de la maîtrise des tableurs pour accéder au sens. Xavier de La Porte ouvre la fin de cette table ronde sur cette question des compétences. On a bien vu que les journalistes doivent s’associer avec des informaticiens pour permettre l’accès à ces données, les rendre compréhensibles. Être capable de critiquer un traitement numérique de données est une autre compétence à acquérir. Ne faut-il pas former les lecteurs à ce nouveau paysage ?
Présentation de la table ronde – BnF
http://www.bnf.fr/fr/evenements_et_culture/auditoriums/f.rencontres_labo.html[…]
Justine Margherin. « Don’t Be Evil» (ne fais pas le mal) est la phrase choisie par l’entreprise Google. Étonnant non ? A relire sur le Café Pédagogique, mensuel 122, rubrique documentation
http://cafepedagogique.net/lemensuel[…]documentation/Pages/122_CDI_lecture.aspx
Concours Google pendant la campagne présidentielle française
https://sites.google.com/site/concoursdataviz2012/
Concours Google : les candidats cités dans les tweets. Une application du concours Google
http://www.youtube.com/elections2012?x=tendances
Juin 2012