Par Jeanne-Claire Fumet
Un manuel pas tout à fait comme les autres sort chez Ellipses, tandis que fleurissent les nouvelles éditions scolaires traditionnelles : un livre qui prend le parti de l’histoire chronologique des idées – mais saisies du point de vue focal de la pensée de l’auteur. Olivier Dhilly s’intéresse à l’intuition matrice de chaque théorie : à quelle question commune (au sens où nous pourrions tous nous la poser) le philosophe s’efforce-t-il de répondre dans son œuvre ? Question qui n’aurait aucun sens réduite à une formule, mais qui permet de tramer l’orientation d’une pensée et sa place dans le processus historique de la réflexion rationnelle. Points de vocabulaire, repères, anecdotes viennent émailler les chapitres brefs et accessibles de l’ouvrage, qui constitue, sans prétention mais avec rigueur, un agréable précis de culture générale tout public.
Auteur d’ouvrages d’aide scolaire (éditions de l’Opportun et de l’Étudiant), mais aussi concepteur d’un site web d’aide en ligne, Web Philo, Olivier Dhilly, agrégé de philosophie, professeur au Lycée d’État de la Légion d’honneur et à l’Université Paris Panthéon Assas, explique comment il voit l’intégration de ce genre d’outils dans un enseignement sommé d’évoluer en selon les attentes du public et les moyens techniques.
Votre ouvrage se veut un Panthéon des grands auteurs ?
Olivier Dhilly : S’il y a des auteurs qui ont traversé les siècles, ce n’est peut-être pas sans raison. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont forcément bien connus et bien compris. Bergson disait qu’un philosophe a une grande intuition et passe sa vie à la décliner au travers de toute son œuvre. J’essaie d’éclairer cette idée de manière claire et concise, avec mon expérience d’enseignant au lycée et aussi en préparation des concours du CAPES, où les étudiants étaient ravis de ce genre de résumés synthétiques, qu’on n’a pas l’occasion de croiser à l’université et dont on aurait bien besoin ensuite.
Les auteurs contemporains peuvent-ils se prêter à un tel traitement ?
Olivier Dhilly : Il s’agit de montrer comment eux aussi s’inscrivent dans une tradition, mais avec l’originalité de chacun. On oublie par exemple que lorsque Deleuze parle de cinéma, c’est aussi parce qu’il est un lecteur de Bergson, ou un lecteur de Spinoza quand il parle du désir. Ce n’est pas une pensée qui émerge ex nihilo, et on la comprend mieux située dans son contexte.
Dans les milieux de l’art et de la culture, on aime bien réutiliser certaines notions empruntées aux philosophes contemporains : on parle de déconstruction, de rhizome, souvent mal à propos et comme si c’était évident alors que c’est assez compliqué. Ce sont de faux arguments intellectuels qui noient les gens, qui les intimident et qui ruinent la discussion. J’essaie au contraire de clarifier au mieux ces notions par une explication précise.
Mais un tel effort de vulgarisation peut-il vraiment ouvrir des perspectives, si on n’a pas déjà une bonne teinture de philosophie ?
Olivier Dhilly : On peut trouver des ouvertures assez générales, dans les introductions et les conclusions des chapitres, mais après… cela demande beaucoup de travail. Ce ne sont pas 2h de lecture qui peuvent rendre philosophe, de même qu’on ne devient pas musicien après avoir assisté à 3 concerts. La demande du public pour la philosophie est très forte et beaucoup pensent qu’on peut facilement s’approprier le discours d’un auteur, ce qui n’est évidemment pas le cas. J’essaie de m’approcher le plus possible d’un discours compréhensible, mais il faut s’intéresser de près aux questions et multiplier les approches pour parvenir à se les rendre familières. Disons que ce livre concerne peut-être davantage les élèves de classes préparatoires que du lycée, et un grand public cultivé, des gens ayant déjà fait des études, plutôt que des débutants.
Vous ne partagez pas l’approche populaire et œcuménique d’un Michel Onfray, par exemple ?
Olivier Dhilly : Non, ce qui ne va pas, dans cette approche, c’est la croyance à une assimilation immédiate des idées, un peu à la manière de ce que pensent les élèves qui s’attendent à ce que le cours de philo relève du débat d’opinions. Le brulot d’Onfray sur Freud, par exemple, aboutit à ce que des gens qui n’ont lu ni Freud, ni Onfray, s’en emparent pour porter des jugements définitifs sur la psychanalyse au nom de la philosophie. Il y a une réelle difficulté à faire admettre que la réflexion philosophique se travaille et s’exerce. Maintenant, il est important aussi de multiplier les approches pour favoriser l’entrée dans la pensée : telle approche va davantage aider que telle autre à comprendre, va inciter à entreprendre une lecture personnelle, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Il faut diversifier la présentation des idées.
Vous êtes le concepteur d’un site d’aide en ligne, le webphilo : pensez-vous qu’il peut aider les élèves à entrer dans le travail philosophique ?
Olivier Dhilly : La question est bien de trouver comment prendre un élève par la main pour l’amener à travailler. Le site contient une grosse base de sujets corrigés – il est inévitable qu’internet fournisse des corrigés, qui existaient déjà et circulaient avant sur papier – mais l’objectif n’est pas là. La difficulté est de trouver comment guider l’élève dans la préparation de son travail, pour éviter qu’il ne soit perdu : débroussailler le sujet, proposer des liens vers des lectures ou des références, comprendre des questions, mais sans faire l’exercice à sa place. Nous avons entre 80.000 et 100.000 visites par mois, avec une partie payante et une partie gratuite. La plupart des élèves, c’est évident, vient chercher des corrigés tout faits. Ils en sont parfois déçus, mais le site ne leur fournit pas de copié-collé, ni de réponses à moins de 48h, pour éviter une utilisation du site dans l’urgence d’un devoir à rendre. Nous ne cherchons pas à leur éviter l’effort – ce qui nous vaut parfois des mails de protestation de certains usagers ! – mais à guider mla recherche et la réflexion. Nous avons d’ailleurs été sélectionnés par le dispositif Chèques Ressources numériques du Conseil régional, destiné à aider la dotation des établissements en ressources numériques scolaires.
En parcourant votre site, on voit que les professeurs s’efforcent de proposer des sujets inédits pour éviter justement le recours à des bases de corrigés. A l’heure d’internet, pensez-vous qu’il est encore possible de donner du travail personnel à réaliser à la maison ?
Olivier Dhilly : On voit que les élèves en ont de moins en moins, tous les travaux de type bac se font en classe, sur table. C’est un peu dommage, parce que garder un sujet à élaborer pendant 3 semaines, c’est plus formateur que de s’en débarrasser en 4 heures. Ce dont les élèves se souviennent, le jour du bac, c’est ce qu’ils ont travaillé eux-mêmes, ce sur quoi ils se sont cassé la tête. L’usage d’internet complique l’utilisation des devoirs à la maison. Mais ça exige aussi de changer la manière de travailler. Tout dépend ce qu’on veut obtenir : quand on prépare le sujet en classe, qu’on y réfléchit ensemble, qu’on conseille des textes, plutôt que de le donner sans commentaires, le site peut faciliter le travail préparatoire et aider l’élève à s’y retrouver.
Sur le site, j’ai fait développer une messagerie interne pour les profs qui s’abonnent, pour leur permettre de préparer un programme de travail, soit collectif, soit individuel, avec un tableau de bord qui permet de communiquer avec les élèves. Ils peuvent faire passer toutes les indications qui peuvent rendre l’accès aux sujets plus faciles, en fonction des questions de chacun. J’ai déjà testé un travail en autonomie, la constitution de dossiers de travail, avec une classe de STG, qui a plutôt bien marché – mieux qu’avec un manuel classique, qui les rebute un peu.
Les élèves parviennent-ils à réinvestir ensuite ces données dans un travail de rédaction ?
Olivier Dhilly : La présence du professeur reste, de ce point de vue, irremplaçable, évidemment. Un outil multimédia ne peut pas faire écrire une introduction à un élève ou lui permettre de s’approprier un raisonnement. Mais les ressources en ligne peuvent donner aux élèves une part d’autonomie qui rend le professeur d’autant plus disponible. Et puis, une bonne manière de limiter la tentation de tricher sur internet, c’est de demander aux élèves de rendre tous les états intermédiaires possibles de leur travail. Ça n’ajoute pas énormément de travail mais ça permet de suivre l’évolution du devoir, en redressant les plus grosses erreurs au fur et à mesure. On évite ainsi de se retrouver avec tout un paquet de copies où les élèves n’ont rien compris au sujet !
Pensez-vous, comme professeur et comme responsable du site webphilo, que la philosophie est devenue trop difficile pour les élèves ?
Olivier Dhilly : C’est difficile à dire, le niveau global de culture demandé au lycée est plus élevé qu’avant, et il y a davantage de très bons élèves qu’autrefois. Ce qui est certain, c’est qu’il faut continuer à exiger un travail d’écriture structuré et contraint pour les élèves. C’est essentiel pour leur formation : les exigences de la dissertation sont une aide précieuse pour bien d’autres compétences ensuite. La vertu de l’exercice, quand on le cadre vraiment et de manière très scolaire, en précisant chaque étape de manière formelle, on s’en rend compte, c’est d’aider à penser. La dissertation n’est pas qu’un exercice formel, l’élève apprend à repérer où il en est de sa réflexion et à progresser plutôt que d’attendre une inspiration dans le vide. Quant au niveau culturel, c’est aussi le travail du prof en cours que d’aller à la rencontre des élèves là où ils en sont et de les rapprocher des grands auteurs qu’on veut leur faire découvrir. Aucun outil ne peut se substituer à l’enseignant, pour faire cela !
Mais il y a aussi un réel problème de programmes : la quantité des notions, compte tenu des horaires, en particulier en section S, ne permet pas de préparer vraiment les élèves à tous les sujets qui peuvent tomber au bac. Il est vrai qu’avec trois sujets différents, les élèves sérieux peuvent toujours s’en sortir. Le problème n’en demeure pas moins de savoir comment évaluer les copies d’élèves qui ont reçu des approches tellement différentes au cours de l’année !
Comment aider nos élèves à acquérir du contenu sans les bloquer dans la récitation, les accompagner dans l’apprentissage en leur donnant des cadres formateurs, en les incitant à devenir autonomes ? Les nouvelles technologies peuvent nous aider à élaborer des outils et des techniques efficaces, adaptés aux publics scolaires. A condition de lever les peurs qui continuent de peser sur elles, en particulier sur internet…
Olivier Dhilly – Comprendre la philosophie – Éditions Ellipses octobre 2011 – 512 pages – 20,30€ – ISBN : 9782729870744
http://www.editions-ellipses.fr/product_info.php?products_id=8144
Sur le site du Café
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